jeudi 12 décembre 2013

► THE IMMIGRANT (2013)

Réalisé par James Gray ; écrit par James gray et Ric Menello


... Lointainement proche

Après son intimiste Two Lovers réalisé il y a 5 ans déjà, James Gray nous entraine avec un talent intact dans la grande histoire des Etats-Unis, celle de l’immigration du début du XXème siècle avec une approche forcément hautement personnelle puisque sa propre famille a fait ce voyage à la même époque depuis la Russie. Lui, l’enfant d’immigré va ainsi raconter la destinée d’une polonaise, Ewa, (Marion Cotillard, intéressante mise en abîme pour la comédienne française qui a elle aussi traversé l’Atlantique pour se faire une place en Amérique) fuyant les violences de son pays avec sa sœur. Ce retour aux sources familiales du réalisateur est nécessairement marqué par la ville d’accueil incontournable pour les immigrés de l’époque arrivant en bateau : New-York. Ville de naissance de James Gray et décor de tous ses films. Son acteur fétiche Joachim Phénix, Bruno, est au rendez-vous, tout comme un triangle amoureux autour duquel se noue et se dénoue la vie américaine d’une femme dont l’apprentissage ne se fera pas sans ambages.


« Qu’espérez-vous trouvez-ici ? » demande-t-on à Ewa, « Simplement être heureuse » répond la fragile polonaise qui a dû laisser sa sœur sur Ellis Island car cette dernière est malade. Ce lien fort qu’elle entretient avec elle est essentiel puisque toutes ses actions seront déterminées par cette volonté de la faire sortir l’hôpital et de payer pour cela son traitement. Déracinée, Ewa subit une nouvelle séparation alors même qu’elle a atteint la Terre promise. Au milieu de la foule, le réalisateur isole celle qu’il va suivre : l’individualité au sein de l’Histoire. C’est elle aussi que choisit Bruno, qui la sauve donc de l’expulsion car on l’accuse d’être une femme de mauvaise vie. Cet homme qui semble bien sous tous rapports et qui a le bras long va même jusqu’à l’héberger. Avec efficacité, James Gray a tracé un contexte pour rapidement resserrer son propos et nous emmener dans son domaine de prédilection : l’intime, représenté en l’occurrence par l’appartement de Bruno qui désigne à Ewa le lit sommaire où elle pourra dormir. Symbole de la décadence à venir.


La relation qui s’établit entre les deux est d’emblée marquée  du sceau dominant / dominée puisque Ewa doit tout à celui qui l’a aidé et elle ne peut aller nul part ailleurs. Ce dont elle est bien consciente, d’où une défiance face à lui et même une haine quand Bruno va la forcer à travailler pour lui dans le numéro burlesque qu’il anime avec des filles dénudées. Voilà Ewa avilie en statue de la liberté version fille de joie, détournement de son symbole même, celui d’une promesse d’espoir, celle de cette terre où on dit que tout est possible. La première vision des immigrés étant précisément l’imposante statue, celle-là même qui ouvre le film. Le rêve américain est déchu de son piédestal. Une seconde scène, plus dramatique encore, humilie même Ewa de façon redoublée quand les spectateurs soulards la ramènent crûment à la condition qui est devenue la sienne : prostituée. Le lit qui fut sa première couche est devenu son lieu de travail.


L’espoir terni renaît avec la relation, douce et tendre, qui se tisse dans l’ombre de Bruno avec son propre cousin, le magicien Orlando (Jeremy Renner) qui propose, littéralement, du rêve aux immigrés lors de spectacles à l’hôpital d’Ellis Island. Ce maître de l’illusion permet à Ewa d’entrevoir un bonheur non feint qui va attiser le désir d’un Bruno plus complexe que le laissaient voir ses actes. Un amour naissant en précipite un autre, latent et paradoxal,  qui mettra les personnages, comme toujours chez James Gray, face à de dures décisions. Arrivée pour trouver le bonheur d’une nouvelle vie, Ewa vivra ainsi son acte fondateur aux couleurs de la passion, aux couleurs du sang (le lettrage du titre, qui passe, au début et à la fin, du blanc au rouge est d’une intelligente simplicité) et toujours avec détermination. La fin est d’ailleurs un écho au commencement : le vrai voyage commence maintenant.

Sélectionnée et publiée par Le Plus du NouvelObs.com


Romain Faisant,  30/11/13