Réalisé par James Gray ; écrit par James gray et Ric Menello
... Lointainement proche
Après son intimiste Two Lovers réalisé il y a 5 ans déjà,
James Gray nous entraine avec un talent intact dans la grande histoire des
Etats-Unis, celle de l’immigration du début du XXème siècle avec une approche
forcément hautement personnelle puisque sa propre famille a fait ce voyage à la
même époque depuis la Russie. Lui, l’enfant d’immigré va ainsi raconter la
destinée d’une polonaise, Ewa, (Marion Cotillard, intéressante mise en abîme
pour la comédienne française qui a elle aussi traversé l’Atlantique pour se
faire une place en Amérique) fuyant les violences de son pays avec sa sœur. Ce
retour aux sources familiales du réalisateur est nécessairement marqué par la
ville d’accueil incontournable pour les immigrés de l’époque arrivant en
bateau : New-York. Ville de naissance de James Gray et décor de tous ses
films. Son acteur fétiche Joachim Phénix, Bruno, est au rendez-vous, tout comme
un triangle amoureux autour duquel se noue et se dénoue la vie américaine d’une
femme dont l’apprentissage ne se fera pas sans ambages.
« Qu’espérez-vous trouvez-ici ? » demande-t-on à
Ewa, « Simplement être
heureuse » répond la fragile polonaise qui a dû laisser sa sœur sur
Ellis Island car cette dernière est malade. Ce lien fort qu’elle entretient
avec elle est essentiel puisque toutes ses actions seront déterminées par cette
volonté de la faire sortir l’hôpital et de payer pour cela son traitement.
Déracinée, Ewa subit une nouvelle séparation alors même qu’elle a atteint la Terre
promise. Au milieu de la foule, le réalisateur isole celle qu’il va
suivre : l’individualité au sein de l’Histoire. C’est elle aussi que
choisit Bruno, qui la sauve donc de l’expulsion car on l’accuse d’être une
femme de mauvaise vie. Cet homme qui semble bien sous tous rapports et qui a le
bras long va même jusqu’à l’héberger. Avec efficacité, James Gray a tracé un
contexte pour rapidement resserrer son propos et nous emmener dans son domaine
de prédilection : l’intime, représenté en l’occurrence par l’appartement
de Bruno qui désigne à Ewa le lit sommaire où elle pourra dormir. Symbole de la
décadence à venir.
La relation qui s’établit entre
les deux est d’emblée marquée du sceau
dominant / dominée puisque Ewa doit tout à celui qui l’a aidé et elle ne peut
aller nul part ailleurs. Ce dont elle est bien consciente, d’où une défiance
face à lui et même une haine quand Bruno va la forcer à travailler pour lui
dans le numéro burlesque qu’il anime avec des filles dénudées. Voilà Ewa avilie
en statue de la liberté version fille de joie, détournement de son symbole
même, celui d’une promesse d’espoir, celle de cette terre où on dit que tout
est possible. La première vision des immigrés étant précisément l’imposante
statue, celle-là même qui ouvre le film. Le rêve américain est déchu de son piédestal.
Une seconde scène, plus dramatique encore, humilie même Ewa de façon redoublée
quand les spectateurs soulards la ramènent crûment à la condition qui est
devenue la sienne : prostituée. Le lit qui fut sa première couche est
devenu son lieu de travail.
L’espoir terni renaît avec la
relation, douce et tendre, qui se tisse dans l’ombre de Bruno avec son propre
cousin, le magicien Orlando (Jeremy Renner) qui propose, littéralement, du rêve
aux immigrés lors de spectacles à l’hôpital d’Ellis Island. Ce maître de
l’illusion permet à Ewa d’entrevoir un bonheur non feint qui va attiser le
désir d’un Bruno plus complexe que le laissaient voir ses actes. Un amour
naissant en précipite un autre, latent et paradoxal, qui mettra les personnages, comme toujours
chez James Gray, face à de dures décisions. Arrivée pour trouver le bonheur
d’une nouvelle vie, Ewa vivra ainsi son acte fondateur aux couleurs de la
passion, aux couleurs du sang (le lettrage du titre, qui passe, au début et à
la fin, du blanc au rouge est d’une intelligente simplicité) et toujours avec
détermination. La fin est d’ailleurs un écho au commencement : le vrai
voyage commence maintenant.
Sélectionnée et publiée par Le Plus du NouvelObs.com
Sélectionnée et publiée par Le Plus du NouvelObs.com
Romain Faisant,
30/11/13