Réalisé par Raúl Arévalo ; écrit par Raúl Arévalo et David Pulido
... La froide équipée
Si nous avons nos Césars, les
espagnols ont leurs Goyas et ces derniers ont d’ailleurs lieu également en
Février, la prestigieuse cérémonie ibérique a ainsi récemment décernée ses
récompenses à l’occasion de sa 31ème édition et La colère d’un homme patient (Tarde
para la ira) de Raúl Arévalo en a remportés pas moins de 4 ! Meilleur film,
meilleur nouveau réalisateur, meilleur scénario et meilleur acteur dans un
second rôle pour Manolo Solo, de quoi se faire remarquer en dehors de son pays.
Le festival international du film policier de Beaune ne s’y est d’ailleurs pas
trompé en attribuant à son tour deux prix au film espagnol : celui du jury
ex-aequo et celui de la critique, de quoi confirmer l’intérêt pour ce qui est
le premier film de son réalisateur, connu jusqu’ici comme acteur. En effet, Raúl
Arévalo est très populaire en Espagne où il est apparaît aussi bien dans des
séries qu’au cinéma ou au théâtre, ses rôles lui ont permis de remporter plusieurs
prix dans son pays d’origine. Après un court-métrage en 2008, il passe donc à
la réalisation de son premier long avec un talent certain. Il ne choisit pas la
facilité en proposant un thriller sec et violent qui prend la forme d’un
road-movie vengeur. José fréquente le bar d’un centre-ville, il est un ami du
patron dont le beau-frère doit sortir de prison dans quelques jours. Lié à la sœur
de ce dernier, Ana, dont il a un enfant, Curro est un dur qui vient de passer 8
ans derrière les barreaux pour un braquage qui a mal tourné. Il était le
chauffeur et fut le seul à se faire arrêter. Alors que José est troublé par
Ana, Curro réintègre le foyer : c’est le moment que choisit José pour le
contacter : il a besoin de renseignements sur les complices qu’il n’a
jamais dénoncés… Au fil du temps, le film de vengeance a fini par devenir un
genre à part entière mais tous n’ont pas la même qualité et encore moins la
même ambition. La colère d’un homme
patient se distingue et évite quant à lui l’emphase pour mieux être en
phase avec des personnages embarqués dans une froide et atypique équipée qui se
révèle être une partie de poker au suspense affuté et meurtrier.
Récompensé à juste titre, le
travail sur le scénario se fait sentir dès le début : le film est scindé
en quatre modules introductifs annoncés par des cartons (Le bar, la famille,
Ana, Curro) et un cinquième (La colère) qui déroulera la traque proprement
dite. L’histoire ménage son spectateur en distillant des éléments épars et en
jouant sur les fausses pistes. C’est finalement José (Antonio de la Torre), l’ami
de la famille, qui semble étrangement s’intéresser à cette affaire classée du
braquage. Son duel à la table de poker avec un Curro (Luis Callejo) fraîchement
sorti prend tout son sens à rebours : la tension qui est alors palpable n’est
rien face à ce qui attend les deux hommes et cette fois-ci, José ne se
contentera pas d’abattre des cartes. L’affrontement change de dimension et
procède par inversion : le calme et terne José se transforme en meneur
déterminé et implacable tandis que l’ex-taulard nerveux et impulsif devient l’outil
d’une vengeance, subissant les manœuvres d’un homme qui n’a pourtant a priori
ni le caractère ni la carrure pour mener ses expéditions punitives. Tel était
le cas de Dwight dans le fameux Blue Ruin
(la surprise du cinéma indépendant en 2014) ou encore de Diane dans Moka (2016), l’un voulant venger ses parents,
l’autre son fils : tous ces personnages ont en commun une cassure qui a
nourri une douleur viscérale, faisant de ces êtres ordinaires, des
protagonistes en quête du pire. José a ainsi basculé dans une nature qui n’est
pas la sienne et qu’il va acquérir au fur et à mesure, c’est là toute la
subtilité du film. Il faut le voir tremblant face à Curro alors même qu’il
vient de le contacter pour lui exposer son plan, à la violence physique de ce
dernier répond un homme impassible qui encaisse et que les passages à l’acte ne
feront qu’endurcir tandis que Curro se liquéfiera.
La scène du premier meurtre est à
ce propos remarquable dans la gestion de son intensité : trois personnages
et un tournevis suffise au réalisateur pour composer crescendo un moment fort
qui lance la sauvagerie et montre le basculement de José. Les deux compères de
circonstance ont retrouvé Triana (Mano Solo), l’un des braqueurs, et sont avec
lui dans un sous-sol quand surgit l’opportunité d’en finir. La mise en scène s’appuie
sur un contraste entre la future victime lancée dans une joyeuse logorrhée, un
Curro qui ignore comment compte agir José, et ce dernier dont l’acte germe en
direct. Cette haletante hésitation sera reprise dans la scène de la voiture où,
jusqu’au dernier moment, chacun semble ignorer (spectateur compris), si José va
descendre ou pas pour suivre le second braqueur. Efficace. D’autant plus que Raúl
Arévalo filme cette échappée macabre avec un parti pris qui est celui du gros
plan, faisant ainsi de cette proximité le récit d’une intimité implicite :
celle de deux hommes qui agissent par amour, chacun pour une femme, soit
perdue, soit en danger. Et l’unique scène où José ose la confession (séquence de
la nuit à l’hôtel) est précisément filmée non pas en plan rapproché, commun à
ce genre de situations, mais en plan large, dans une pénombre qui ne montre
même pas son visage, seule sa voix se dévoile dans une mise en scène à la
distance pudique pour cet instant explicitement sensible. Le réalisateur, qui décidemment
se différencie positivement, a également fait le choix de tourner en Super 16,
ce retour à la pellicule (de plus en plus rare) confère à l’image un grain
important qui lui donne cette rugosité qui n’est autre que celle de l’histoire
à laquelle on assiste. La colère d’un
homme patient est une découverte qui mérite amplement que le spectateur
suive ces deux hommes jusqu’au bout d’un périple au chemin du retour incertain…
26/04/2017