Écrit et réalisé par Catherine Breillat d'après son ouvrage.
... Dans de beaux draps
Catherine Breillat donne comme
titre au film, celui de son livre où elle raconte un drame, son drame. Celui qui lui est arrivé en
2005 : victime d’une attaque cérébrale, la voilà hémiplégique du côté
gauche, s’en suit la rééducation et le difficile réapprentissage des gestes du
quotidien. Mais un drame peut en cacher un autre et c’est ce qui va nourrir le
film. Diminuée, la réalisatrice va se faire extorquer de l’argent par celui qui
n’en n’est pas à son coup d’essai, Christophe Rocancourt qui devient Vilko
Piran dans le film. Que cherche la réalisatrice en tournant sa propre histoire
qui a connu une issue judiciaire en 2012 par la condamnation de Rocancourt. Se
poser en victime ? Donner sa version ? Réaliser une œuvre
cathartique ? La teneur du film et sa réalisation pertinente impose une
réponse : il y a avant tout quelque chose à raconter de l’ordre du désir,
ni amoureux, ni charnel mais fait d’une confrontation ambigüe entre attraction
et répulsion. Catherine Breillat se saisit corps et âme de cette incursion,
forcément singulière, puisque tournée par celle qui l’a vécue.
C’est pourtant Maud (Isabelle
Hupert qui joue celle qui la filme avec une conviction saisissante) qui décide
d’introduire Vilko dans sa vie. « Je
le veux ! » insiste-t-elle quand elle le voit raconter son
histoire d’arnaqueur sans repentir à la télévision. Sa froideur et son cynisme,
ainsi que sa « gueule », lui font voir en lui l’acteur de son
prochain film. Cette apparition provoque littéralement un sursaut chez une Maud
handicapée qui voit là une chance de reprendre une vie qui l’a soudainement
mise sur le bas-côté. Leur première rencontre installe ce qui va être une
relation basée sur le désir de faire quelque chose ensemble, tout en étant sans
cesse dans l’opposition, la provocation et la dépendance. Elle aime sa
désinvolture (il escalade sa bibliothèque à peine arrivé), il apprécie une
certaine perversité chez elle (il faut la voir lui jeter ses bottes et lui
demander autoritairement de les lui mettre). Leur premier échange s’articule
autour d’un champ-contrechamp où chacun scrute l’autre, chacun jour sa carte.
Maud en racontant le rôle qu’elle veut lui confier, Vilko (Kool Shen, à
l’interprétation brute et au visage dur) en posant déjà ses conditions. Elle ne
voit pas ses acteurs avant le tournage ? Lui la prévient qu’il sera là,
tout le temps. Maud se laisse soumettre, la caméra la filme en plongée,
accentuant une soumission qui va la dépasser.
Il sait se rendre omniprésent
jusqu’à être intrusif. Les nombreux coups de fils, de jour comme de nuit
renforcent paradoxalement la solitude dans laquelle s’enferme Maud. Il devient
son seul interlocuteur, il la sort et l’aide à se déplacer mais n’hésite pas à
l’abandonner à son sort quand il est question d’argent. La scène où elle
s’écroule chez elle en revenant des courses saisit le pathétique en un plan qui
étire sa détresse et sa faiblesse. Vilko veut l’impressionner (le sac de billet
exhibé) mais ce n’est pas ce qui l’intéresse, elle reste stoïque, ce qui le
déstabilise. Leur relation à l’argent n’est pas du tout la même : si Maud
signe sans rechigner les chèques qu’il lui demande, c’est pour entretenir ce
désir de futur, elle a besoin de lui pour son film, « aucun acteur n’est comme lui ! », mais aussi,
surtout, dans sa vie. Lui, au-delà de cultiver les signes extérieurs de
richesses, ne peut s’empêcher de vouloir posséder de l’argent, là est son
désir.
Ce rapport malsain ira forcément
en se dégradant dans une singulière cohabitation où Maud en est réduite à
devenir celle qui réclame de l’argent, son
argent (édifiante scène où elle est obligée de lui faire les poches). Dans
cette maison en travaux qui est le reflet d’une existence en vrac, cet étrange
couple aux relations platoniques et conflictuelles atteint le point de
non-retour. D’un lit à l’autre il y a un monde, deux vies différentes happées
par un désir brouillé qui a perdu de son sens. Ce lit, qui ouvre le film de
façon anxiogène, est la seule chose qu’elle lui interdit, et pour cause, c’est
son dernier refuge, là où le corps n’est plus un poids, où elle n’a plus à
lutter pour faire un mouvement, où elle n’a pas besoin de lui. Les draps
remontés jusqu’au visage comme pour se protéger, Maud semble avoir dormi sa
vie, le réveil est brutal, le regard embué, l’incompréhension palpable. « C’était moi mais ce n’était pas
moi » répète-elle pour amère constatation. Une chose est sûre,
désormais c’est un intéressant drame de cinéma.
Sélectionnée et publiée par Le Plus du NouvelObs.com
15/02/14