Réalisé par Emmanuelle Bercot ; écrit par Emmanuelle Bercot et Séverine Bosschem, d'après l’œuvre d'Irène Frachon
... Dans l’œil du cyclone
Sacrée par le prix
d’interprétation féminine à Cannes l’année dernière (pour son rôle dans Mon Roi de Maïwenn), c’est derrière la
caméra que nous revient Emmanuelle Bercot, un an après son plus gros succès (La tête haute, qui valut à son jeune
acteur, Rod Paradot, le César du meilleur espoir masculin). Car sa spécificité,
loin d’être courante dans le milieu du cinéma, est de mener en parallèle et
depuis ses débuts une triple carrière : actrice, réalisatrice et scénariste,
ce qui lui confère une richesse de points de vus. La cinéaste a une
prédilection pour les portraits de femmes (elle a mis en scène Emmanuelle
Seigner et Isild Le Besco dans Backstage
ou encore Catherine Deneuve dans Elle
s’en va) et son dernier film, La
fille de Brest, en est un vibrant exemple. Emmanuelle Bercot revient sur le
plus important scandale sanitaire de ces dernières années : l’affaire du
Mediator. Ce médicament des laboratoires français Servier prescrit à l’origine
aux diabétiques puis comme « coupe faim » à des patients voulant
perdre du poids a été reconnu dangereux en France trente ans après sa mise sur
le marché, car causant ou aggravant des valvulopathies (maladies
cardiaques). Une femme, la pneumologue
Irène Frachon du CHU de Brest, alerte en 2009 les autorités compétentes des
dégâts provoqués et des risques mortels engendrés par la prise du
médicament. C’est un combat dicté par l’urgence qui commence alors, contre un
groupe pharmaceutique puissant, contre les autorités qui ne la prennent pas au
sérieux et même contre ses propres collègues. Basé sur le livre d’Irène Frachon
paru en 2010 (« Mediator 150 mg :
Combien de morts ? »), La fille
de Brest est un film très documenté qui déroule en détail et
chronologiquement la révoltante histoire d’un scandale dont la révélation tient
à l’acharnement d’une poignée de convaincus. La réalisatrice nous place dans
l’œil d’un cyclone qui a bouleversé la vie de milliers de gens, évitant la
sécheresse d’un discours clinique, elle donne à son film le tempo d’un cœur qui
bat la chamade, celui de son héroïne et de son actrice, Sidse Babett Knudsen,
qui porte le film d’une façon formidable.
« On ne trouve que ce qu’on cherche » : cette phrase
prononcée par un collègue d’Irène résume bien la démarche de la pneumologue.
Car derrière cette évidence se trouve une volonté : celle de creuser, de
comparer, d’investiguer, c’est d’ailleurs appareil photo à la main que nous est
présentée cette figure d’« enquêtrice médicale ». L’objectif rivé sur
le tissu malade lors d’une opération, elle fait des gros plans sur ce qui était
dissimulé. Tout son combat va consister à mettre en lumière ce que personne n’avait
envie de voir en créant une chaîne dont il faudra convaincre chaque maillon.
C’est ce que le film arrive très bien à faire : accrocher son spectateur à
la course d’Irène en faisant de chaque étape une péripétie qui relance le
récit. Elle doit ainsi avant tout s’adjoindre les services d’une réelle équipe
de chercheurs. C’est le professeur Antoine Le Bihan (Emmanuelle Bercot renouvelle
sa confiance à Benoit Magimel après son rôle dans son film précédent) et sa
petite équipe qui vont accompagner Irène dans l’établissement de la vérité.
Chaque pas se heurte à un obstacle : l’Afssaps (Agence nationale de
sécurité du médicament et des produits de santé) reste sourde aux arguments de
la combattive pneumologue, un comble. Elle est bien seule lors de sa
présentation, face aux représentants du laboratoire, cravatés dans leur déni.
Même pour les médias, l’intérêt de l’affaire les laisse froids à moins qu’il y
ait un chiffre tonitruant : celui du nombre de morts… L’avis de tempête
balaye la vie d’Irène qui se heurte à la problématique des relations étroites
entre les groupes pharmaceutiques et le milieu médical comme dans Le nouveau protocole avec Clovis
Cornillac. La prise de risque est d’autant plus grande que sa quête pourrait
avoir des conséquences négatives sur Antoine dont les recherches sont financées
par…l’industrie à laquelle il s’attaque. Une chaîne humaine, parfois ténue, se
met ainsi en place avec une Irène dont la ferveur est à la hauteur de ce
qu’elle dénonce.
Les téléspectateurs français
amateurs de la fameuse série danoise Borgen,
qui a été un succès sur Arte, connaissent bien l’actrice Sidse Babett Knudsen,
les autres l’ont découvert récemment dans L’Hermine
face à Fabrice Luchini, film qui lui valut le César de la meilleure actrice
dans un second rôle. Grâce au joli succès du film, le plus grand nombre a pu
découvrir les talents de cette actrice qui irradie à présent La fille de Brest.
Emmanuelle Bercot ne devait pas se tromper car le film se construit autour de
cette figure féminine qui porte la révolte et son choix se révèle en totale
adéquation avec l’énergie du personnage. L’actrice danoise, avec son accent
charmant, est une remarquable tornade positive et consciencieuse qui mène
de front sa vie familiale et son combat pour son autre famille : ses
patients. Car le film n’oublie pas, entre les batailles juridiques et
administratives, que derrière les chiffres et les tableurs il y a des victimes.
L’une d’elle, Corinne, sera à cet effet le fil rouge qui donne littéralement,
corps, au drame en cours. Avec son franc-parler, son exaltation et son pouvoir
de conviction, Irène est une battante qui force le respect mais qui sait aussi,
sobrement, rendre hommage aux premiers concernés : l’énoncé des prénoms de
ses patients lors du journal télévisé est une séquence émouvante. Emmanuelle
Bercot sait tirer le meilleur de ses acteurs, le fait d’être elle-même souvent
devant la caméra ne peut qu’être un atout, et La fille de Brest s’en ressent. Que ce soit aux Etats-Unis avec
Edward Snowden (auquel Oliver Stone vient de consacrer un film) ou en France
avec Irène Franchon, les lanceurs d’alerte font preuve d’abnégation face à la
négation. Celle qui est surnommé la fille de Brest dans le film s’est désormais
fait un nom.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
23/11/16