Réalisé par J.J Abrams ; écrit par J.J Abrams, Lawrence Kasdan et Michael Arndt
... La transmission de l'histoire
Et dire qu’il avait d’abord dit
non ! Mais il est des défis qui se doivent d’être relevés : J.J
Abrams avait donc finalement accepté la responsabilité, ô combien fatidique, de lancer la suite de la franchise
certainement génératrice des plus grands superlatifs. Réaliser un épisode de
Star Wars, c’est prendre part à une épopée spatiale mythique qui dure depuis
presque quarante ans mais c’est également succéder au créateur en personne,
Georges Lucas. J.J Abrams est le troisième à oser l’aventure après Irvin Kershner
et Richard Marquant (généralement oubliés du grand public) et les épreuves n’étaient
pas ce qui manquaient tant l’univers de cette galaxie est riche. Le choix
du réalisateur s’était révélé cohérent, voire évident. Son parcours recèle de
nombreux atouts qui servent cet épisode VII : que ce soit à travers ses
séries (Lost) ou ses films (Star Trek), il a brassé les genres et
les thèmes (action, science-fiction, mythologie…) qui nourrissent la saga. Chacune
des deux trilogies s’inscrivait dans une chronologie qui marquait les étapes
d’une vie, celle de la famille Skywalker. Le père et le fils furent ainsi les
protagonistes d’une histoire générationnelle. C’est en conservant cet esprit
que l’épisode VII, qui se déroule 30 ans après la bataille d’Endor qui voyait
la victoire de l’Alliance Rebelle, met en scène une nouvelle descendance. Secret
bien gardé, l’intrigue défile dans un générique inchangé au son de la musique
familière de John Williams : Luke Skywalker a disparu, sa sœur, la
princesse Leia, fait tout pour le retrouver car les forces obscures menacent à
nouveau. Elle envoie un pilote chevronné, Poe, récupérer une carte révélant
l’endroit où Luke se serait exilé. Mais attaqué par l’armée du Premier Ordre,
mené par le sinistre Seigneur Kylo Ren, il est obligé de confier la précieuse
carte à BB-8, un droïde qui trouve refuge auprès de Rey, une jeune pilleuse
d’épave qui vit sur Jakku, une planète désertique…Quelques secondes suffisent à
J.J Abrams pour faire renaître la saga de nos souvenirs étoilés (dix ans après
le dernier épisode en date) et comme le laisser présager le talent du
réalisateur, cet épisode hautement convainquant devrait satisfaire les
spectateurs de la première heure et surtout en conquérir de nouveaux. Le réveil de la force atteint
l’équilibre entre le passé et le présent, l’action et l’émotion, la nostalgie
et la tragédie.
C’est sur un rythme soutenu que
se mène ce nouvel opus qui fait fortement écho à l’épisode IV : la planète
Jakku rappelle par de nombreux points Tatooine et son sol sableux, tout comme
la faune qui y réside, même s’il n’y a qu’une seule aube. De même, le film
ranime la mémoire du spectateur en instaurant une mise en parallèle des
situations d’hier et d’aujourd’hui. Poe transmet à BB-8 (à l’anthropomorphisme
réjouissant) une information capitale, qui rappelle celle que Leia avait
laissée à R2-D2, elle était alors capturée par Dark Vador dont la place vacante
est à présent occupée par Kylo Ren (Adam Driver). L’intrépide Rey (Daisy Ridley)
hérite du message et du danger qui va avec, comme Luke en son temps. Ce système
de renvois n’est pas un manque d’imagination mais un parti pris plus global qui
met en jeu la destinée et la notion de répétition de l’Histoire (problématique
en vigueur chez les historiens et les philosophes). Les décors sont d’ailleurs
à l’image de la mémoire du spectateur : parsemés des traces du passé. Les
déambulations de Rey dans les épaves (on verra celle d’un Destroyer Impérial)
est une plongée à double temporalité : celle d’un monde qu’elle n’a pas
connu (les héros qui nous sont familiers ne sont pour elle que des légendes) et
les vestiges d’une guerre dont nous connaissions les protagonistes et les
engins (un quadripode semblable à ceux de l’épisode V est enseveli sans parler
du Faucon Millenium dont l’envol n’a pas pris une ride). L’apparition des
figures à fort pouvoir évocateur que sont Han Solo, Leia ou Chewbacca procède
du même ressort : ce sont autant les personnages de fiction qu’on retrouve
que ceux qui les incarnent, en l’occurrence Harrison Ford et Carrie Fischer. La
nouvelle génération évolue ainsi dans les pas tutélaires de leurs aînés :
comment ne pas voir dans le tandem Rey et Finn (un stormtrooper repenti et
sympathique joué par John Boyega), l’empreinte des caractères tranchés de Leia
et Solo ? Les réparties fusent comme les lasers et ce duo prometteur est
une digne relève dynamique pour le côté lumineux de la Force.
Car en miroir se déploie
fatalement le côté sombre dans une continuité génétique et historique, l’épopée
de la famille Skywalker se confondant avec celle de la galaxie. J.J Abrams et
ses scénaristes (dont Lawrence Kasdan aux commandes des épisodes V et VI) ne
pouvaient pas proposer le même mystère autour de l’identité du méchant de la
nouvelle trilogie. C’est donc assez rapidement qu’est révélée l’ascendance de
Kylo Ren qui hôte même son masque ! Moyen direct d’indiquer que
l’essentiel n’est pas dans la révélation (les possibilités étaient connues et
restreintes) mais dans sa gestion. Comment ce jeune homme qui basculé du côté
obscur, comme jadis feu son grand-père, un certain Dark Vador, va-t-il se
comporter avec sa famille et vice versa ? Tout dans son habillement et la
manière de le filmer rappelle son dramatiquement illustre aïeul dont il
conserve, telle une sombre relique, le casque légendaire (l’admiration du
réalisateur pour Spielberg se ressent dans une atmosphère parfois à la Indiana Jones). Ce changement dans la
continuité s’accompagne d’une variation dans l’aspect de son sabre laser. Dans
l’épisode I, Dark Maul avait innové avec son fameux sabre à double lame tandis
que le général Grievious dans l’épisode III s’était distingué en en maniant
quatre à la fois. Kylo Ren s’octroie un sabre inédit en croix du plus bel
effet. Il a d’ailleurs l’occasion de s’en servir lors du tant attendu premier
affrontement au sabre laser de cet épisode VII. Dans un décor enneigé rappelant
le duel entre Black Mamba et O-Ren Ishii (Kill
Bill), le Seigneur défie ses ennemis dans une séquence déjà mémorable où
l’habileté de J.J Abrams pour les scènes d’action fait merveille. Mais le choc
stupéfiant du film est réservé à l’instant le plus fatidique : sur la
passerelle de leur destin, Kylo Ren et son adversaire singulier changent à
jamais la saga par l’issue de leur échange dans une séquence grave qui fait
déjà partie des moments cultes de Star Wars. Ménageant l’intime au cœur du
spectaculaire, soufflant sur la nostalgie pour mieux embrasser l’avenir, Le réveil de la force comble le
spectateur et ravive puissamment un plaisir stellaire.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
16/12/15