Réalisé par Raphaël Jacoulot ; écrit par Raphaël Jacoulot et Lise Macheboeuf
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... La vie de Josef
Peu connu du grand public,
Raphaël Jacounot est pourtant de ces réalisateurs français qui, sans bruit,
filment un univers qui leur est propre en sachant tirer d’un drame une peinture
psychologique et sociale. Troisième long métrage en 9 ans, Coup de chaud fait suite à Avant
l’aube (avec Jean-Pierre Bacri et Vincent Rottiers) qui avait déjà marqué
la critique en 2011, tandis que Barrage
en 2006, plus confidentiel, inaugurait le goût du cinéaste pour le huis clos.
En effet, que ce soit la maison étouffante de son premier film, l’hôtel isolé
dans la montagne pour le second ou un petit village du Lot-et-Garonne pour son
dernier, chacun de ses films profite d’un lieu resserré où se débattent des
personnages en proie aux doutes, à la défiance et aux non-dits. En ces périodes
caniculaires, Coup de chaud trouve un
écho dans l’actualité car le village a deux problèmes : la sécheresse
menace les champs des agriculteurs et en particulier celui de Diane, une
cultivatrice acculée. L’autre préoccupation est humaine et concerne Josef.
Jeune homme singulier qui en d’autres temps se serait vu péjorativement appelé
« l’idiot du village ». C’est qu’il a manqué d’oxygène à la
naissance, alors, depuis, il n’a pas toujours le comportement qu’il faut.
Bienveillant à son égard, le maire du village, Daniel, essaye depuis des années
d’arrondir les angles avec ses administrés quant aux bêtises du grand dadais.
Mais la chaleur cristallise les tensions et l’attitude de Josef exaspère de
plus en plus les villageois. Quand des faits troubles de plus en plus sérieux
se produisent, les nerfs lâchent et une certaine psychose envahit la bourgade
qui va la mener à une tragédie. Raphaël Jacounot a cette capacité à filmer les
rapports humains dans ce qu’ils ont d’ambigu et de latent tout en distillant
savamment les éléments épars d’un drame souterrain. Sous la chaleur, il n’y a
pas de place pour la candeur…
« C’est pas de sa faute. Il est pas méchant » : devant son
petit conseil municipal réuni, Daniel, le maire (le toujours bon Jean-Pierre Darroussin)
tente de calmer les esprits face à une Diane qui se plaint une nouvelle fois
des agissements de Josef, qui, entre autres, s’amuse à faire du rodéo avec sa
voiture au milieu de ses vaches. La famille est un peu à part au village,
Daniel connait l’énergumène depuis sa naissance et a donc une empathie
particulière pour l’adolescent. C’est à lui qu’incombe la tâche d’aller parler
à la mère du jeune homme quand il dépasse les bornes. Ce n’est pas pour rien
qu’il est également le vétérinaire : doux et prévenant, le bien être des
habitants lui tient à cœur. Mais son rôle de filtre entre Josef et les autres
va être mis à mal avec le franchissement symbolique que représente la grille de
la maison du jeune homme. Lors d’un accès de fureur, Diane ira s’en prendre à
lui directement dans sa cour. Cette notion de frontière, au sens propre comme
au figuré, est d’importance dans Coup de
chaud car elle se vit à plusieurs niveaux. Josef est plus toléré
qu’accepté, en particulier par les autres jeunes. La séquence de la petite fête
le montre heureux et dansant mais la caméra du réalisateur n’oublie pas de
l’isoler totalement à l’écran, pointant la mise à l’écart d’un groupe qui se
joue de lui. Les limites sont aussi celles que franchit Josef,
géographiquement, en pénétrant de façon cavalière chez Rodolphe (Grégory
Gadebois), l’artisan récemment installé ou lors de son irruption au domicile de
la vielle dame. Mais il y a aussi ce voisin qui convoite les terres de Diane.
Chacun a donc des seuils à défendre dans ce qui apparait comme des périmètres
autant physiques que psychologiques.
Karim Leklou, qui joue Josef,
confère au personnage toute son ambivalence et sait le faire osciller entre
bonhommie enfantine (lorsqu’il raconte ses petites blagues) et comportement
inquiétant (son œil qui surprend Manon, une jeune fille de son âge, flirter,
participe du ressenti hésitant qu’éprouve le spectateur vis-à-vis de lui). Car
malgré son côté maladroit avec les autres et son pouvoir de nuisance (avec sa
musique techno à fond), il dégage aussi quelque chose de sympathique, en
particulier quand il s’éprend de Manon et lui offre une sucette puis tente de
la faire rire. Il a les préoccupations de son âge mais on ne lui pardonne pas
sa différence et son attitude jouant contre lui, il est un bouc émissaire
désigné. La disparition d’une pompe à eau cruciale pour Diane (la très
convaincante Carole Franck) et l’agression de Manon, malgré l’incertitude des
faits, mettent définitivement Josef dans la ligne de mire. Sa simple présence
est considérée comme une menace. Ce qui vaudra l’une des scènes fortes du film
où Diane lui exprimera violemment l’opprobre du village. La médiation a laissé
place à la détestation jusqu’à un paroxysme au suspense entretenu tout en retenu.
Raphaël Jacounot livre une vérité brute, celle d’une gangrène villageoise qui
conduit chacun et chacune à faire face à ses propres contradictions. Ce Coup de chaud, inspiré de faits réels, est
une fiévreuse introspection sur le comportement humain.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
12/08/15