Réalisé par Roman Polanski ; écrit par Roman Polanski et David Ives d'après sa pièce.
... Coups de théâtre
Projetée en compétition au dernier Festival de Cannes, La Vénus à la
fourrure fait la part belle au jeu des joutes oratoires à travers ses deux
seuls personnages, un dramaturge et une comédienne qui veut le rôle dans la
pièce qu’il a adaptée d’un roman. Polanski retrouve avec une délectation
certaine un décor qu’il affectionne : celui du huis clos (Carnage, La
Jeune fille et la Mort), qui lui permet dans l’apparente contrainte du
cloisonnement de ciseler sa mise en scène pour mieux lui conférer une intensité
dramatiquement érotique. D’un face à face théâtral il fait un affrontement
cinématographique où s’entrechoquent nombre de ses obsessions, là, sur quelques
mètres carrés seulement, ceux d’un plateau de théâtre où un soir d’orage une
apparition féminine nous entraîne au-delà des lignes…
Car ce duel évolutif ne va avoir
de cesse de jouer avec les mots et les situations dans un trouble et enivrant
cheminement où l’inversion et l’influence seront des maîtres ordonnateurs.
Thème Polanskien par excellent, la manipulation se distille sur plusieurs
niveaux grâce à des mises en abîmes multiples. En effet, un réalisateur tourne
l’adaptation en train de se jouer de la pièce que lui-même adapte en film (d'après
la pièce de David Ives, d'après le roman La
Vénus à la fourrure de Leopold von Sacher-Masoch). Le personnage féminin,
Vanda (prénom du personnage comme celui du rôle qu’elle vient auditionner),
n’étant autre que sa propre femme (Emmanuelle Seigner, Vénus vénéneuse) et le
personnage masculin, Thomas, un adaptateur théâtral (Mathieu Amalric, qui nous
offre une riche palette d’interprétations), autant dire une projection de
Polanski dont la majorité des films sont des adaptations de romans ou pièces de théâtre. Lui-même a joué
dans des pièces et en a monté d’autres. D’ailleurs, certaines scènes de Mathieu
Amalric soulignent à plusieurs reprises une ressemblance physique nette avec le
Polanski d’une époque passée. Ce
brouillage des places ne tardent pas à devenir celui des personnages qui, comme
de façon récurrente chez Polanski, sont frappés du sceau de la fatalité.
Ainsi, tout aurait pu s’arrêter
dès le début puisqu’à l’issue d’une comique scène d’ouverture où une Vanda
nunuche mâcheuse de chewing-gum plaide sa cause perdue à Thomas qui refuse de
la voir jouer et s’apprête à sortir comme dans Carnage où le départ est sans cesse latent mais toujours répoussé car la confrontation est inéluctable). Et pourtant, en quelques plans la
situation s’est inversée du tout au tout. Vanda se métamorphose sur scène et
subjugue un Thomas pris de court. Jeu de l’ambivalence qui est celui du film
puisqu’à l’instar du contenu de la pièce, les personnages, progressivement
contaminés par ce qu’ils interprètent (comme dans Vous n’avez encore rien vu, Resnais, 2012), vont glisser vers
l’ambigu. Qui s’adresse vraiment à qui ? Et surtout qui domine
l’autre ? Car c’est là que se noue le drame en miroir entre cet homme
et cette femme où derrière les mots échangés s’intensifient la lutte des sexes
sur fond de sadomasochisme.
La séduisante Vanda est en effet
bien mystérieuse, tantôt actrice sublime, tantôt gouailleuse, ici ingénue, là
fine connaisseuse de son texte et que dire de son sac à malice d’où elle tire
des accessoires étrangement si bien à propos. Elle qui était sur le point de se
faire mettre dehors par Thomas prend au fur et à mesure une ascendance redoutable.
N’est-ce pas elle qui s’approprie le réglage des lumières dans ce qui devient
sa mise en scène ? Un Thomas extatique et colérique tente de reprendre le
dessus précisément dans une scène où il doit jouer le dominé (forçant Vanda à
se placer à tel endroit). Il semble n’avoir plus que l’insulte pour affirmer sa
puissance d’adaptateur, dépassé qu’il est par son propre personnage.
L’asservissement monte d’un cran par une transmission symbolique (le
collier-chien) et plus encore dans une inversion ultime des rôles. Sans nous
avoir fait quitter la scène du théâtre et par des glissements dramatiques successifs, Polanski vient passionnément et malicieusement de nous
mener crescendo vers les éclats
filmiques d’une vengeance aux accents antiques dont l’épigraphe biblique de la pièce adaptée : « Le Tout-Puissant le frappa et le livra aux mains d’une
femme », résonne comme tonne le ciel au-dessus du théâtre.
13/11/13
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