Réalisé par Jalil Lespert ; écrit par Jalil Lespert, Marie-Pierre Huster et Jacques Fieschi, librement adapté de l'ouvrage de Laurence Benaïm.
![]() |
... Éclats
Troisième long métrage d’un Jalil
Lespert que l’on connait plus en tant qu’acteur, cette réalisation vibrante du
portrait d’Yves Saint Laurent devrait le faire découvrir en tant que
réalisateur auprès du grand public. Disparu depuis 2008, le couturier aux
nombreux qualificatifs laudatifs n’avait pas encore eu son image
cinématographique fictionnelle, lui qui avait tant à faire avec les images
précisément : celles de ses croquis, celles de silhouettes féminines qui
l’inspiraient et sa propre image, celle certainement avec laquelle il avait le plus de mal, lui le
créateur à la timidité viscérale. C’est qu’il faut également du temps pour
tisser sur grand écran une vie de cette ampleur que Jalil Lespert a voulu au
plus près de ce qu’elle a été (librement inspiré par l’ouvrage de Laurence Benaïm). Le compagnon de toujours,
Pierre Bergé, lui a ainsi ouvert la malle aux souvenirs, faite de dessins
orignaux, de photos, de costumes issus des collections, d’objets. Autant
d’éléments épars, autant d’éclats d’existences que le réalisateur assemble avec
soin pour faire défiler des décennies fondatrices de l’art de la mode en
choisissant d’attirer notre regard vers l’alcôve refuge d’Yves Saint Laurent,
les coulisses de sa propre vie…
Une scène située à la fin du film
nous le montre d’ailleurs jeter un coup d’œil, comme au théâtre, dans un petit
trou prévu à cet effet dans le rideau séparant les coulisses de la scène du
défilé. Plus à l’aise en concevant qu’en se montrant, sa rencontre avec Pierre
Bergé lui permit de se consacrer à la seule chose pour laquelle il n’éprouvait
pas la sensation d’être perdu : la haute-couture. La marche en avant
d’Yves (une focalisation sur le prénom lors de l’apparition du titre positionne
sur le film sur l’objet de son attention) sera aussi le portrait en creux de
Pierre Berger. « Qui
êtes-vous ? » lui lance une journaliste. Il est l’homme de
l’ombre tout autant que l’homme d’une vie, celle de celui qu’il va porter vers
la lumière des défilés. Deux destins liés dont Jalil Lespert devait réussir le
casting tant les éclats des personnages dans leur relation tumultueuse devaient
trouver une juste interprétation.
Guillaume Gallienne continue
ainsi de convaincre après son triomphe dans son propre film Les garçons et Guillaume, à table !,
il compose une interprétation solide d’un homme à la fois amoureux, protecteur
et accompagnateur. Et puis, bien sûr, il y a Pierre Niney, de la
Comédie-Française, comme son camarade, qui devient
Yves Saint Laurent. Le mimétisme saisissant se décline aussi bien physiquement
qu’à travers le phrasé si particulier et reconnaissable du couturier en passant
par la gestuelle jusqu’au détail qui fait sens (ce tic de réajuster ses
lunettes). Loin de se retrouver piégé dans un carcan interprétatif, Pierre Niney
arrive à faire siennes ces attitudes pour jouer sur les nuances et rendre la
complexité d’un personnage à failles.
Car le réalisateur n’occulte pas
les dérives qui ont été celles d’Yves Saint Laurent lors des premières années de création. « Au pire, je ferai de mon mieux », cette belle formule est sa
réponse lorsqu’il devient le directeur artistique chez Dior dont il était
l’assistant. La déclaration, à valeur d’oxymore, contient en elle-même les
descentes et les remontées qui seront celles du créateur. Sa timidité en public
semble ainsi voler en éclats quand il s’agit, nuitamment, d’expérimenter les
milieux interlopes, d’exacerber les désirs et de goûter aux paradis
artificiels, sous les yeux désapprobateurs de Pierre Bergé. Subjugué par le
talent et désemparé face à ce comportement destructeur. « Si tu veux mourir, moi je ne peux rien faire pour toi ».
La force créatrice l’emportera sur le mal être et les tentations vers
l’obscure, Yves atteignant même la sérénité dans une scène pleine de
simplicité, celle du bonheur, lorsqu’il répond au « Questionnaire de Proust » dans la piscine.
Ce portait ainsi intimiste
consacré au couturier est fait de ces alternances d’humeurs, de privé et de
public, d’éclats de voix et de génie. Jalil Lespert montre tout autant la
naissance d’un créateur qui changea radicalement le vestiaire féminin que
l’éclosion d’une passion, faite non pas de tissu mais de chair et d’esprit.
Celle avec celui qui, en voix off, s’adresse précisément directement à son
compagnon. A l’éclatant défilé final sur les envolées vocales de Maria Callas,
aux lumières et aux flashes succèdent avec raison la silhouette au crépuscule
(écho au début du film, dans la maison familiale à Oran, où de dos, face à la
fenêtre, le jeune Yves trace des esquisses). Il y a le silence, l’apaisement,
deux hommes, un amour.
12/01/14
Nuitamment.
RépondreSupprimer