Réalisé par Vincent Grashaw ; écrit par Vincent Grashaw et Mark Penney
![]() |
... Dressage carnassier
Le premier long métrage de
l’américain Vincent Grashaw, surtout connu pour avoir produit, monté et joué
dans Bellflower (succès critique en
2011), heurte le spectateur par son réquisitoire sans concession, sec et brutal contre les centres de redressement
pour mineurs aux États-Unis. Ces structures privées ne sont pas dépendantes de
l’État et peuvent donc agir à leur guise en ce qui concerne leur programme de
prise en main de ces adolescents. Hasard du calendrier, Coldwater sort quelques semaines après Les poings contre les murs, violente descente dans l’univers
carcéral. Si certains films du genre sont redondants, celui de Vincent Grashaw
se distingue déjà par un parti pris politique : nous faire pénétrer dans
un univers à la marge du système pénitentiaire dont les détenus ne sont pas
envoyés là par la justice mais par leurs propres parents. C’est ce qui arrive
au personnage principal, Brad (P.J. Boudousqué, dans son premier rôle au cinéma),
par qui on pénètre dans ce ranch isolé où les règles ne dépendent que de ceux
qui décident de les créer. Ce centre de détention à ciel ouvert où le soleil ne
lâche jamais les prisonniers est plus étouffant que le huis clos d’une prison
puisque tout y est permis pour les gardiens, du sadisme à la torture. La
chaleur du lieu n’a d’égal que la froideur de ses pratiques : Coldwater fixe sur l’écran un constat
terrifiant et glaçant.
Le réveil brutal de Brad par les
agents du centre est le premier impact d’une onde qui va se répandre sur tout
le film : des menottes (qui seront l’objet récurent de l’asservissement) à
l’agressivité des gardiens (et les
inspections surprises en pleine nuit), la méthode se donne à voir, les actes
seront bien pires. « On va vous
redresser, vous changer, vous faire évoluer », le discours rodé du
colonel, ancien marine, claque au visage des nouveaux arrivants. Il ignore
alors à quel point il a raison. Ce dernier est la caricature de lui-même :
reconverti dans l’éducation de délinquants, cigarillo à la bouche, il règne en
despote sur ce qui est son territoire. Des plans répétés sur les barbelés
marquent la frontière, il fait courir les jeunes jusqu’à la porte d’entrée grillagée,
comme pour mieux leur asséner leur impossibilité de sortir (on est à 40km de la
première ville). Même la police ne saurait interférer dans le fonctionnement du
centre : Brad en fera l’amère expérience en étant ramené par le
représentant de la loi (shérif adjoint) au ranch après avoir tenté de dénoncer
les actes de maltraitances. L’Irlande a eu ses Magdalene Sisters (Peter Mullan, 2002), la
Norvège l’île Bastøy et la dureté de son centre pour jeunes délinquants vu dans
Les Révoltés de l’île du Diable (Marius
Holst, 2010), l’Amérique a ses camps de correction.
Dans le sillage du Dog pound de Kim Chapiron (2010), Coldwater se focalise pour sa part sur
une figure de proue en la personne de Brad, des flashbacks nous font comprendre
les raisons de sa présence, de son endurcissement et esquissent des parents
dépassés qui ignorent souvent la réalité de ces centres, l’Amérique n’a-t-elle
pas toujours une solution aux problèmes ? Son statut va changer au cours
de sa détention : le film choisit, à raison, de développer l’histoire sur
deux années et de montrer ainsi la perversité d’un système où rien ne se perd
mais tout se transforme. En effet, un simple détenu peut devenir
« éclaireur », un grade qui lui permet une fonction semi-dirigeante,
puis « assistant » une fois terminé son séjour contraint. Ainsi, sous
cet aspect valorisant, le colonel met en place une vie en vase-clos où les
victimes deviennent les bourreaux avec d’autant plus de sadisme qu’ils ont
eux-mêmes vécu cela précédemment. Brimades, épuisement, humiliations sont le
lot quotidien de ces adolescents traités comme des bêtes : menottés et suspendus
comme un morceau de viande à un croc de boucher ou obligés de courir encadrés
par des quads comme des animaux traqués dans la savane. Dans Un Prophète (le fameux film carcéral de
Jacques Audiard), il fallait survivre aux autres, ici il faut résister à ceux
que des familles payent en espérant une remise dans le droit chemin. Ils
ignorent que c’est un chemin de croix pour leurs enfants.
L’administration fait figure de
pantomime : les deux inspecteurs sociaux ne veulent pas voir, pas savoir.
Quant au médecin du centre, personnage muet à l’image de sa soumission, il
panse ce qu’il peut mais brille par son inaction. Brad va expérimenter les
différentes postures à tenir face à ces représentants avec qui il faut composer
avant une humiliation violente et publique par le colonel qui lui fera choisir
une orientation inattendue. Car si tout semble se répéter et se perpétuer, la meilleure
solution pour dénoncer le système n’est-il pas d’être à l’intérieur ? Zone
de non-droit aberrante, le ranch martyrise pour rééduquer, loin de tout, là où
on cache ce qu’on ne veut pas assumer, jusqu’à un point de non-retour d’une
violence inouïe. Vincent Grashaw taille dans le vif d’une Amérique aveugle qui
laisse engendrer sa propre barbarie.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
12/07/14
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire