Écrit et réalisé par Dan Gilroy
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... Voracité au poing
Connu jusqu’à présent comme
scénariste, en particulier du dernier Jason
Bourne : l’héritage (2012) qu’il a co-écrit avec son frère,
réalisateur de l’opus, Dan Gilroy franchit le pas en passant derrière la
caméra, et de quelle manière ! En effet, son premier film se révèle d’une
efficacité haletante et montre qu’au-delà de savoir raconter une histoire,
puisqu’il signe son propre scénario, Dan Gilroy sait la mettre en scène. Il
fait ainsi une entrée remarquée et sur les chapeaux de roues. Sa caméra
embarquée nous fait passager de folles équipées nocturnes dans les rues de Los
Angeles, suivant à la trace un reporter d’image spécialisé dans les faits
divers spectaculaires et sensationnalistes. Lou Bloom, petit voleur de
ferraille vénal, découvre par hasard cette activité choc où il faut être sans
arrêt sur la brèche, conduire vite et filmer tout autant. Sans perspective florissante,
il tente sa chance avec un simple caméscope. Car Lou a des idées et une volonté
à toute épreuve. Il flaire là un moyen rapide et efficace de se faire une
place, de devenir quelqu’un, quitte à se laisser dévorer par l’ambition et à
laisser l’homme vorace qui sommeille en lui conquérir les écrans par ses images
toujours plus impressionnantes. Car Night
Call n’est pas seulement une course effrénée au scoop, le film, via le
portrait du personnage principal, brosse un panorama terrifiant d’une société
où les chaînes de télévision abreuvent un public en demande de surenchère. Dan
Gilroy filme de façon acerbe et énergique l’exhibition télévisuelle pour en
disséquer les rouages pervers et trompeurs dans un monde où la seule étique est
celle de l’audimat.
« Cela doit être choquant » : voilà l’unique consigne
que donne à Lou (Jack Gyllenhaal) la directrice des informations d’une des
chaines locales de télévision de Los Angeles quand ce dernier se lance dans le
reportage sur des faits divers. Lui qui était un voleur de grillages et de
plaques d’égout va désormais gagner sa vie en volant avec sa caméra des images
de drames quotidien comme les accidents de voitures et autres attaques à mains
armées. Il a tout à apprendre, il adore ça : les cours de commerce qu’il a
pris sur internet vont rythmer ses paroles comme ses actes. Il va appliquer une
logique de rentabilité à cet univers qui s’y prête si bien. Le voilà qui se met
à apprendre les codes radio de la police pour déterminer rapidement quel acte
vient d’être commis et arriver premier sur place. Car la concurrence est rude,
sur le terrain comme pour les chaînes d’information. A l’instar de la
présentatrice sans scrupules jouée par Nicole Kidman dans Prête à tout (Gus Van Sant, 1995) ou de la journaliste carriériste
Gale Weathers dans Scream (Wes
Craven, 1996), Lou est un arriviste qui ne pense qu’à lui-même et qui utilise
jusqu’à la moelle les autres, pourvu que cela aille dans son sens. Glaçante
séquence de l’accident d’un de ses confrères : « Ne filme pas, c’est l’un des nôtres ! » lui lance
son assistant, « C’est une
vente » répond froidement Lou, caméra au poing pointée sur le corps
ensanglanté. Son audace est insolente : le dîner auquel il invite
Nina (Rene Russo), la productrice, tourne à une démonstration de force
arrogante où il lui assène sa supériorité fraîchement acquise. Pour lui, tout
est négociation, à son avantage. Cinglante scène où l’efficace jeu de Jack Gyllenhaal
et les dialogues parfaitement ciselés instaurent un malaise face à l’inhumanité
en marche.
L’arène médiatique a ses fauves
et un nouvel entrant aux dents longues est ainsi en train de s’imposer dans ce
film qui captive crescendo. Lou a l’instinct du chasseur et c’est ce qui va lui
permettre d’être tout de suite raccord avec ce qu’on lui demande. « Mes reportages sont comme des animaux
rares » dit-il, la comparaison n’est pas innocente : il est un
prédateur excité par l’appât du sang qui veut dire rémunération. Pourquoi se
fait-il remarquer dès sa première descente sur le lieu d’un accident ? Car
il était au plus près du corps mourant et ce sont ces images là que veut Nina
pour écraser la concurrence. Dan Gilroy filme d’ailleurs Los Angeles comme un
terrain de chasse où un Lou avide de reconnaissance guette dans sa voiture
l’annonce d’une proie intéressante sur le scanner de la police. La pleine lune
qui règne fait de Lou un loup affamé de chair médiatique qui servira ses
intérêts. L’assistant qu’il prend à son service n’est qu’un exécutant, l’empathie
est systématiquement exclue de son système de pensée. Et il faut effectivement
ne pas en avoir pour regarder, à travers sa caméra, une victime mourir. Nina se
laisse convaincre et subjuguer par cet homme sans limite qui lui permet de
faire grimper l’audience de sa case. Elle est de la même trempe que le
personnage joué par Eva Mendes dans Live !
(Bill Guttentag, 2007) qui n’hésitait pas à lancer un jeu basé sur la roulette
russe en direct à la télévision ; il faut l’entendre donner dans
l’oreillette ses directives pour augmenter le pathos et accentuer la terreur.
Car c’est là aussi que réside l’intérêt
de ce film savamment construit : pointer les raccourcis et les effets de
manipulations dont usent ces rédactions pour créer l’évènement. Les crimes dont
les victimes sont des gens blancs habitants les quartiers huppés sont la
priorité et les nerfs de l’audimat. « A
la télé, ça a l’air tellement réel » s’exclame Lou lorsqu’il découvre
les plateaux et le décor en arrière-plan qui représente une vue de Los Angeles
de nuit. Il va comprendre et vite mettre en pratique ces faux-semblants pour
transgresser cette ligne jaune qu’il a si souvent franchie au volant de son
bolide. Pour conserver un coup d’avance, Lou va donc travestir la réalité pour
une bonne image. Si cela commence par le déplacement d’un corps pour un
meilleur cadrage, c’est bien plus loin que sa soif d’ascension va le mener, au
détriment de ceux qui auront le malheur de faire partie de son reportage. Il y
a presque quarante déjà, le Network (1976)
de Sidney Lumet avec Faye Dunaway dénonçait l’horreur médiatique et la pression
d’une audience qu’on attise autant qu’elle dévore. Night Call sonne comme un rappel stupéfiant et pessimiste où la
propagation d’informations biaisées semble inéluctablement irriguer chaque
foyer.
29/11/14
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