Réalisé par Atom Egoyan ; écrit par David Fraser et Atom Egoyan
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... Au bout de l'hameçon
Habitué du festival de Cannes, le
réalisateur canadien Atom Egoyan y a présenté l’année dernière son dernier
film, Captives. S’il a obtenu à deux
reprises le prix du jury œcuménique (De
beaux lendemains en 1997 et Adoration
en 2008), il n’aura pas été distingué cette année pour ce qui est néanmoins
un thriller abyssal captivant. Son film précédent, Devil’s Knot (2013), étrangement sorti directement en vidéo chez
nous, traitait d’un fait divers tragique qui bouleversa l’Amérique au début des
années 90 : 3 enfants disparaissaient et étaient retrouvés égorgés. C’est
encore d’enfance dont il est question dans Captives,
d’enfance volée, manipulée, bouleversée. De nombreux films ont mis en scène ce
genre d’histoire d’enlèvement, comme le récent Prisoners de son compatriote Denis Villeneuve ; mais Atom
Egoyan choisit de l’aborder d’une façon bien particulière, à travers un
kaléidoscope de points de vue et de temporalités. En effet, le film n’est pas
constamment déroulé de façon linéaire, ce qui n’entrave pas la compréhension
mais lui donne au contraire un nouvel éclairage à chaque avancée. Soit une
disparition : celle de Cassandra, la fille de Matthew et Tina, un jour de
neige, aux abords d’une route. Ce n’est pas l’enquête immédiate qui intéresse
le cinéaste mais comment, d’une part, des années plus tard, un espoir peut
subsister et si des retrouvailles sont possibles. Dans une mise en scène au
cordeau, Atom Egoyan nous immisce, d’autre part, dans la relation psychologique
que l’enfermement a créée entre le ravisseur et sa victime. Étonnant puzzle où
la torture n’est pas physique mais mentale, non violente mais perverse et qui
surtout révélera sa signification sombre et saisissante dans ce film haletant
et troublant.
« Il ne me reste rien d’autre à faire aujourd’hui que de me souvenir »
chantonne Cassandra (Alexia Fast) devenue adolescente dans sa geôle. Avant
d’entamer une conversation avec son ravisseur. La scène a de quoi surprendre,
surtout que nous sommes au tout début du film. Si la lourde porte blindée qui
donne accès à cette pièce cachée ne nous avait pas été montrée, l’appréciation
de l’instant aurait été différente. Et c’est bien cette étrangeté que va
cultiver Atom Egoyan à travers son histoire. Sa mise en scène pointe
d’ailleurs, à chaque fois que le ravisseur vient parler avec la jeune fille, le
fait que la porte est clairement et grandement ouverte en arrière-plan. Moyen
cinématographique d’indiquer que la prison est bien plus psychologique que
physique. L’homme a l’ascendant sur Cassandra et sait qu’elle ne tentera pas de
s’échapper. Que s’est-il passé durant les années de captivité qui ont
précédé ? Le film n’en dira rien et se distingue ainsi intelligemment d’un
propos convenu. Toutes les premières scènes, articulées autour des différents
protagonistes à venir, sont des morceaux, à ce moment absconds, de situations à
venir. Cette apparence éclatée brouille les cartes et attise l’intérêt tout
autant qu’elle met l’accent sur le thème de la chansonnette de Cassandra :
la mémoire. Matthew a transformé sa voiture en mausolée, Tina vient d’année en
année faire un point sur l’enquête, Nicole (Rosario Dawson), l’inspectrice aura
une tirade sur son enfance difficile et son collègue Jeffrey (Scott Speedman) aura
l’impression de reconnaitre quelqu’un en Matthew. Tous sont hantés de souvenirs
cristallisés par la disparition de Cassandra.
« Vivre me manque » souffle Tina (Mireille Enos) à Nicole qu’elle rencontre à intervalle
régulier. Derrière la souffrance se dessine en creux la dislocation d’un couple
qui nous apparaît en lambeaux. Toujours montrés séparément avec un jeu
d’opposition intérieur / extérieur, ils avancent avec un même souvenir mais sur
des routes différentes. Là encore, l’ellipse est de mise et Atom Egoyan ne fait
qu’esquisser volontairement l’éloignement. On comprend que Tina considère
Matthew (Ryan Renolds, en père éprouvé mais déterminé comme pouvait l’être
celui de Lovely Bones) comme
responsable de la disparition de leur fille : pas besoin d’en rajouter, le
cinéaste sait user de l’économie pour conférer une couleur à une scène, une
sensation à un comportement. Matthew se tient à distance des policiers pour qui
il a de la défiance, ce qui ne l’empêche pas de continuer à espérer, comme on
le voit avec les affiches de recherche qu’il placarde. Mais cela l’enferme dans
le souvenir : il voit Cassandra en chaque jeune fille qu’il croise sur le
bord de la route et s’astreint à aller regarder patiner l’ancien partenaire de
sa fille. Cette attente du retour est ce qui le fait vivre et l’emprisonne à la
fois. D’ailleurs, c’est tout en subtilité que la mise en scène reproduit ce
cloisonnement commun à l’ancien couple. Un mouvement panoramique inaugural nous
montre le paysage enneigé : le vide, l’absence, sont déjà là tandis que le
côté circulaire du balayage annonce l’aspect répétitif de vies qui tournent en
rond autour d’un même centre, Cassandra.
Et une personne est à la
manœuvre : le ravisseur qui se rêve en démiurge (Kevin Durand, tout en
préciosité). Il est présenté comme tel au milieu de ses écrans de surveillance,
il semble se repaître de sa position dominante et prend plaisir à voir les
réactions de ceux dont il provoque les réactions. Dès le début, on se rend
compte qu’il filme en effet à son insu
Tina dans son travail. Cette dernière est femme de chambre et elle découvre
régulièrement dans les chambres dont elles s’occupent des objets lui rappelant
Cassandra. Mise en scène glaçante et voyeuriste, organisée par le
ravisseur, et dont le caractère malsain
redouble quand on s’aperçoit que Cassandra visionne quotidiennement ces mêmes
images. Le caractère maléfique du personnage est induit dès le début par une
référence à l’air de la Reine de la nuit, fameux passage de l’opéra de Mozart La flûte enchantée (1791), que le
ravisseur diffuse sur un écran. Aussi trompeur et manipulateur que son modèle
opératique, il utilise Cassandra à des fins qui dépassent l’enlèvement, étant
même prêt pour cela à fournir à sa captive de la matière à émotion. Jamais
sordide malgré son sujet, le film aborde finement la force des sentiments qui
sont autant un drame qu’une espérance.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
10/01/14
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