Réalisé par Wim Wenders ; écrit par Bjørn Olaf Johannessen
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... Fenêtres sur vies
Il faut remonter à 2008 pour
trouver le dernier film de fiction du réalisateur allemand Win Wenders. Il
n’est cependant pas resté inactif durant cette période, au contraire, il est
revenu au documentaire : l’un en 2011 pour son ode aux corps mouvants et à la
chorégraphe Pina Bauch, malheureusement disparue en 2009. Le second sur un
autre artiste, photographique cette fois : Sebastião Ribeiro Salgado dont
il a filmé le travail et recueilli les propos. Wim Wenders est un cinéaste
curieux pour qui le cinéma est un terrain fertile dont il exploite les
techniques pour les faire siennes et ainsi renouveler l’approche de ses thèmes.
Il n’est alors pas étonnant qu’il ait décidé de tourner Every thing will be fine en 3-D. Qui a dit que ce procédé,
ressuscité et amélioré il y a quelques années maintenant, était l’apanage des
blockbusters ? Nous sommes loin du spectaculaire inhérent à ces
productions : confronté au syndrome de la page blanche, un écrivain, qui s’est
isolé sur un lac gelé, fait la rencontre d’une femme, Kate, dans des conditions
tragiques. En effet, il renverse et tue par accident l’un de ses fils qui
faisait de la luge. Cet événement va être pour lui un déclencheur dans sa
carrière littéraire. Mais si l’inspiration fait à nouveau partie de son
existence, est-ce vraiment le seul bouleversement ? A-t-il conscience de
l’importance que cet accident continue d’avoir sur son présent ? Se
déroulant sur une dizaine d’années, le film est une réflexion comme Wim Wenders
les affectionne, avec la poésie qui est la sienne, un rythme mesuré et un sens
de l’image pointu, il élabore le récit d’une filiation, entre les êtres, les
lieux, les évènements. Every thing will be fine ouvre des
fenêtres sur des vies qui devront appréhender leur ressenti pour espérer
éprouver une sérénité égarée.
Wim Wenders arrive à allier le
fond et la forme avec une finesse séduisante, sa démarche s’articule autour
d’un motif récurent qui est celui de la fenêtre : Tomas (James Franco)
commence par tirer le rideau de sa cabane de pêcheur sur le lac, geste qui
découvre le paysage et qui inaugure une frontière de verre qui n’aura de cesse
d’encadrer les personnages. Tous y sont comme retranchés (Tomas se réfugie dans
sa voiture après l’accident, Kate lit son livre près de la vitre, la femme de
Tomas est au téléphone derrière une fenêtre), à l’abri mais isolés dans un
cocon intérieur que l’extériorité (l’accident) vient fissurer. Car la fenêtre
confine comme elle peut être signe d’ouverture : lors de la conversation
téléphonique entre Tomas et Kate (Charlotte Gainsbourg) à la faveur de la nuit,
Kate fait passer le combiné du dedans au dehors via la fenêtre. Ce qui annonce
d’ailleurs une rencontre dépourvue d’obstacle. Le réalisateur use les
ressources du montage pour abolir mentalement une distance physique (ils ne
sont pas au même endroit) en faisant se superposer les images dans un mouvement
fluide. Il installe ainsi ce qui sera la relation entre ses deux
personnages : quelque chose de diffus entre présence et absence, proximité
et éloignement (Tomas revient sur les lieux du drame mais finit par prendre ses
distances). Cette géographie s’apparente à un espace mental qui perdure :
les lieux peuvent changer (la nouvelle maison de Tomas) mais les souvenirs du
passé s’incarneront à nouveau via l’ouverture d’une porte vitrée dont le
franchissement ou non déterminera l’avenir.
Le travail sur ce motif est
d’autant plus prégnant par l’utilisation de la 3-D. Wim Wenders l’avait testée
pour la première fois lors du tournage de Pina
et fait figure, avec Every thing will be
fine, d’exception dans l’utilisation de cette technique par le cinéma
d’auteur. Même si Godard s’y ait également mis avec Adieu au langage (prix du jury ex-aequo à Cannes 2014), cela reste malgré
tout pour l’instant pratiquer en grande majorité par les superproductions. Or,
le réalisateur prouve ici tout l’intérêt que peut aussi avoir le relief dans
une utilisation non-intrusive : les choses ne surgissent pas de l’écran
mais viennent l’habiter d’une autre façon, lui donne une consistance avec ce
qui pourrait s’apparenter à l’empattement en peinture (Kate est d’ailleurs
illustratrice et Wim Wenders cite visuellement Hopper lors de la scène du café
entre Tomas et Christopher). Ces volumes qui s’incarnent ont un pouvoir
attractif car ils nous rendent sensible le volatile (poussière, neige) et la
texture (écorce, bois de la clôture de Kate). Les personnages, par leur
épaisseur dimensionnelle, nous semblent plus proches, ce qui va dans le sens
d’un film sur le trauma et la sensation. Car le spectateur est comme
enveloppé avec eux dans cette traversée de vie (le plan final explicitera
cette connivence) : les objets en amorce ne sont pas juste des effets, ils
nous incluent dans l’action, on ne regarde plus, on partage.
La question du partage est
également ce qui parcoure le film puisque Tomas (qui est littéralement à la
croisée des chemins) éprouve des difficultés dans sa relation personnelle avec
sa femme et doit faire face à la vieillesse de son père (joué par Patrick
Bauchau). Mais surtout : que doit-il ressentir face à Kate et
Christopher ? La froideur qui était celle du paysage inaugural semble
avoir gagné son cœur, cet accident qui, précisément, s’est passé hors-champ,
était comme les prémisses d’un refoulement, qui mieux que Christopher peut
alors faire resurgir ce qui peut être une émotion bienfaitrice ? Constant
dans son désir esthétique et dramatique, Every
thing will be fine se révèle talentueusement comme une thérapie intimiste
et sensitive.
25/04/15
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