Écrit et réalisé par Guillaume Nicloux
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... Rendez-vous avec les torts
A l’enfermement de la jeune
Suzanne dans le précédent film de Guillaume Nicloux, La Religieuse (2012), répond par contraste l’ouverture vers les
grands espaces américains. En effet, dans Valley
of love, qui faisait partie de la sélection officielle à Cannes cette
année, le réalisateur choisit pour cadre le parc national de la vallée de la Mort,
dans l’état de Californie. Un lieu singulier aussi monumental que minéral dont
la dénomination pointe la difficulté pour l’humain d’arpenter cet endroit
aride. Le titre du film se joue d’ailleurs de la connotation pour substituer au
terme original (Death Valley) celui d’amour. Car c’est bien de cette
ambivalence dont il va être question : conduit là par leur fils mort, un
couple séparé va y faire l’expérience d’un retour sur existence, la rage et
l’incompréhension se mêlant à l’espoir et aux sentiments. Pour cette quête
improbable de personnages à bout de vie, Guillaume Nicloux propose une
prestigieuse distribution : Gérard Depardieu et Isabelle Huppert, qui
campent un homme et une femme déboussolés par les dernières volontés d’un fils
dont ils s’étaient éloignés. Ce sont pour ainsi dire les seuls personnages, ce
qui permet d’apprécier d’autant plus les nombreuses joutes auxquelles le film
les amène. Valley of love met en
scène l’un de ces couples cinématographiques qui marquent les spectateurs,
Gérard Depardieu ayant eu le privilège d’en former de mémorables avec les plus
grandes actrices françaises, de Catherine Deneuve (Le dernier métro, 1980) à Isabelle Adjani (Camille Claudel, 1988) en passant par Fanny Ardant (La femme d’à côté, 1981). Celui qu’il
forme avec Isabelle Huppert est en crise : réunis par la disparition de
leur fils, ces deux âmes troublées vont donc devoir se supporter pour peut-être
mieux s’écouter. Car ce voyage surprenant, intérieur comme extérieur, empreint
de langueur, pourrait bien les mener au-delà du monde sensible…
« Pourquoi est-il mort ? » : la question d’Isabelle se
heurte à l’impossibilité d’obtenir une réponse, le fils qu’elle a eu avec
Gérard n’est plus là mais possède un statut post-mortem bien particulier. Il
guide les pas de ses parents à travers deux lettres qu’il a laissées à chacun
d’eux et qui leur enjoignent de faire un parcours précis sur différents sites
de la vallée de la Mort. Mieux : il leur promet de les y rencontrer !
Rongée par la culpabilité, Isabelle veut croire à l’invraisemblable, plus
rationnel, Gérard a accepté cette démarche pour un hommage qu’il vit comme une
contrainte. Les retrouvailles avec Isabelle sont d’ailleurs tendues. Le cinéma
aime reformer des couples autrefois animés par la passion, de Bergman (Sarabande) à Téchiné (Les temps qui changent), jouant parfois
également sur les propres souvenirs des spectateurs. Car comment ne pas se
rappeler qu’Isabelle Huppert et Gérard Depardieu formaient déjà un couple de
personnage dans Loulou (1980) de
Pialat (dont la femme est par ailleurs la productrice de plusieurs films de
Nicloux), après s’être rencontré sur Les
valseuses (1974). De même, le film brouille la frontière entre fiction et
réalité : les acteurs semblent incarner leur propre rôle et gardent leur
prénom. Enfin, le thème central de Valley
of love concerne la disparition d’un enfant qui a été aimé mais avec qui on
a eu du mal à communiquer, de cette solitude face au ressenti. Plane sur ce
père endeuillé, l’histoire personnelle de Gérard Depardieu avec son fils
Guillaume, disparu en 2008. La question de la filiation et du rapport aux
origines est une constante chez le réalisateur : il met ici ses
personnages face à un manque dont il n’avait pas conscience.
Car il aura fallu ce décès pour
que l’un et l’autre se rende compte de la distance qui s’était creusée avec
leur fils. Le rythme du film sera d’ailleurs celui d’un cheminement vers le
passé, les reproches et les confessions. Le plan-séquence d’ouverture montre
Isabelle avançant longuement de dos vers sa chambre (sur une nappe sonore
leitmotive, planante et inquiétante), ce qui fera écho plus tard à une scène
similaire mais cette fois-ci avec Gérard : tous les deux ont tourné le dos
à une vie qui maintenant leur fait face et les oblige à réagir. Les voilà donc
qui suivent le trajet imposé par leur défunt fils dans la folle espérance de
retrouvailles. Si le Scope est le format traditionnel pour épouser la largeur
de ce panorama démesuré, Guillaume Nicloux s’en sert surtout pour placer ses
personnages dans l’inconfort d’un paysage hostile, perdus dans un environnement
qu’il subisse. On retient plus la chaleur que la beauté des lieux : les
personnages en souffrent et cela se voit physiquement. Gérard sue et peste
contre cet enfer rocheux. Ces degrés écrasants étouffent les deux voyageurs
comme ils sont pris à la gorge par les rancœurs et les remords. Le réalisateur
met en avant la chair débordante et suintante de Gérard, comme s’il portait son
mal être sur ses os. Isabelle s’accroche littéralement à son téléphone et
à son autre vie avant de comprendre que l’essentiel est peut-être là. Filmant de
formidables et vibrants moments d’acteurs, Guillaume Nicloux fait peu à peu
s’immerger cet homme et cette femme dans cet environnement brûlant, eux qui
étaient face au paysage, contemplatifs, pénètrent au cœur de la roche comme de
leur histoire commune. Dans ces vestiges ancestraux, les torts ont rendez-vous
avec le sort.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
20/06/15
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