Écrit et réalisé par Karl Markovics
… A rebours
Le film suit une avancée linéaire, celle de Roman, jeune majeur taciturne qui tente de se réinsérer, mais cette marche n’aura cependant de cesse de nous ramener en arrière. Pour construire, il faut avant tout solidifier la base. Et cette base, elle est complexe pour Roman, pas de père et une mère qui l’a abandonné enfant. Et puis il y a le drame qui l’a amené au centre de détention pour mineurs. On ignore dans un premier temps la raison de cet emprisonnement, et puis, comme pour le reste, on va comprendre, par bribes. Il y a d’ailleurs une échéance temporelle qui parcourt le film, celle de l’audition du jeune pour sa liberté conditionnelle, épée de Damoclès qui place les actions de Roman dans un contexte bien particulier. Et ce n’est que vers la fin, lors de cette audition, qu’on en sera un peu plus sur ce qui l’a envoyé en détention, la fin explicitant ainsi son statut initial.
Cette démarche du portrait à rebours, sans quitter pour autant le temps présent, repose sur un ensemble d’analogies qui vont constituer la personnalité dont on suit le parcours. Il y a un itinéraire de vie comme il y a ce plan du début où on le voit marcher sur le bord d’une route, à la marge déjà, mais en mouvement, avançant sur une route pour l’instant sans but. Il se démarque des autres détenus ne serait-ce que par le dénuement des murs de sa cellule. Une exception, symbole de l’ailleurs, d’un désir fantasmé plus qu’envisagé : l’image d’un paysage qu’il colle au mur. Il y a un train, il y a un voyage. Et pourtant, de façon étrange, il décide de travailler à la morgue. Ce qui suscite l’incompréhension. On va comprendre, plus tard.
La crudité de l’activité, la confrontation aux corps des décédés est reprise en écho par la récurrence des scènes de fouilles à la prison. Cette mise à nu du corps, verticalité vivante, tranchant avec l’horizontalité mortuaire. Résonance à l’échelle du film également, puisque la mise à nu est bien sûr celle, au sens figuré, du personnage. Il sera de nouveau fait référence à cette analogie avec la mort lors de la rencontre avec sa mère. Allongée sur le matelas, les yeux fermés comme ce cadavre qu’il avait imaginé être potentiellement celui de sa mère lors d’une scène à la morgue. Mère absente donc comme morte mais pourtant très présente pour Roman qui n’aura ainsi de cesse de s’ébattre dans la piscine du centre, cerné symboliquement par les eaux maternelles. Pivot incontournable, le face à face avec la mort est donc une clé, à l’image de celle que Roman porte autour du cou, il n’y sera jamais fait allusion, mais elle est là.
Et puis, s’il y a mort, c’est qu’il y a vie. Roman trouvera ainsi une figure paternel de substitution, ferra entrevoir une joie de vivre lors d’une brève rencontre à bord d’un train avec une jeune fille, l’ailleurs n’était peut-être pas si loin. Roman se construit, cette fenêtre symbolique sur le mur de sa cellule, s’est ouverte. Mais le poids du passé complique l’avancée et le jeune n’accepte pas encore ce présent car il ne s’y sent pas encore bien. Il a ainsi une identité flottante pour autrui : gardien de prison pour la jeune fille, moniteur de plongée pour sa mère. Impossibilité d’être soi, de s’affranchir d’une vie marquée par le drame et ce choix de vivre autour des morts sonne comme un refus d’être pleinement vivant. Et puisque les bribes se sont faites plus précises, les choses se comprennent pour nous et s’assimilent pour lui. Comme pour cet énigmatique premier plan où, forcé à mettre un casque de soudeur, Roman l’enlève violemment d’un cri. Ce n’est que lorsque que l’on apprend par la mère qu’elle a voulu l’étouffer quand il était enfant que fait sens ce rejet d’un visage entravé.
On le voit, le côté psychanalytique des actions parsème le film et donne ce ton à rebours. Il faudra un retour à l’événement traumatique, cette mort, au cours d’une bagarre avec un jeune homme de son âge, pour que puisse se faire le deuil. Cette disparition antérieur au récit et qui planait sur tout le film, latente et prégnante dans des actes que l’on comprend a postériori. Il aura fallu à Roman côtoyer la mort au plus près, dans sa réalité crue, pour mieux la dépasser, avec respect. Lui qui avait littéralement le statut de mort-vivant : sa mère l’a étouffé avant de le réanimer, qui avait ce statut d’entre-deux (nuit au centre de détention, jour au travail) se voit, par cette confrontation avec la mort, dure et frontale, doter paradoxalement d’une nouvelle vie.
Aussi bien le titre français que le titre original en allemand (Atmen : respirer) renvoient à l’acte respiratoire et donc au souffle vital. Et le mouvement de caméra ascendant final, où s'expire l'expiatoire, en forme de triptyque visuel, superpose trois notions fortes expérimentées par Roman. La mort (le cimetière), au début du plan, puis la ville (la vie) et enfin le plan se termine dans le ciel (l’ailleurs), avec un fondu au blanc. La page est blanche, il n’y a plus qu’à vivre, de nouveau.
Romain Faisant, écrit le 26/03/12.
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