Réalisé par Thomas Vinterberg; écrit par Thomas Vinterberg et Tobias Lindholm
...Le verdict de la vindicte
Quand le chasseur devient le chassé, c’est toute une vie à repenser, tout un mode d’existence à réadapter, tout un futur à inventer. La métaphore animale du film s’applique au personnage principal, Lucas, accusé un jour d’attouchement envers une enfant. La ville est petite mais la fureur sera grande. Là où tout le monde se connait et se fréquente, la nouvelle choque et se répand comme le sang d’un animal blessé que l’on a déjà mis à mort. Sauf que l’accusé est innocent. Le réalisateur danois Thomas Vinterberg traite ce sujet grave avec sobriété en choisissant la froideur de l’Hiver qui répond à la dureté des cœurs qui se ferment. Remarquable homme pris dans la tourmente, Mads Mikkelsen a obtenu le Prix d’interprétation à Cannes.
Le thème du faux coupable est
souvent traité dans les films policiers ou les thrillers, certains illustres
réalisateurs s’en sont fait une spécialité comme Hitchcock. Ici, c’est sous l’angle
social que l’histoire s’ancre avec un sujet sensible puisqu’il est question d’abus
d’enfants dont l’actualité se fait malheureusement souvent l’écho. Le spectateur
est d’emblée mis du côté de Lucas puisque l’on va assister à ce qui va
déclencher le témoignage de la petite Klara et par là-même montrer son
innocence. Un cadeau refusé, un cœur, un sens propre comme au figuré, dont
Lucas ne veut pas être le destinataire. Ce rejet, fait en toute responsabilité
et avec tact, va être vécu comme un drame par la petite, d’où des déclarations
fausses dont elle ne mesure pas la portée.
Lucas devient le gibier,
situation qui avait été annoncée par la rigoureuse mise en scène du réalisateur
qui nous avait montré son arrivée à l’école d’une manière amusante mais
signifiante. En effet, les enfants jouent à se cacher pour le surprendre et lui
joue leur jeu. Il se laisse donc attaquer par surprise, ignorant encore que c’est
parce qu’il refusera précisément d’entrer dans le jeu de Klara qu’il deviendra
cette proie réelle. Et cette fois, ce sont les adultes qui l’attaqueront. Comme
dans tout processus de rumeur, les choses vont vite et deviennent incontrôlable,
le film gravit ainsi les échelons, de la confrontation avec la directrice, qui
se met même à fuir à l’approche de celui devenu une bête immonde, à la haine
des autres parents et amis. La proximité rime aussi avec promiscuité :
rien de pire que le non-anonymat d’une petite ville lorsque se déchaine la
calomnie. Lars Von Trier, compatriote du réalisateur, avait également eu l’occasion
de montrer la cruauté du groupe à l’encontre d’un seul, au sein de son Dogville (2003). Et Thomas Vinterberg lui-même, à travers son fameux Festen (Prix du jury à Cannes en 1998), nous immergeait déjà dans des affrontements familiaux en vase clos où l'union d'apparat volait en éclat.
On l’a vu récemment avec un
film comme Polisse (Maïwenn, 2011) et
dans de retentissantes affaires judiciaires, il est toujours difficile de
trouver l’équilibre entre la parole de l’enfant et celle de l’adulte, ce que l’on
est enclin à croire de prime abord n’est pas forcément la vérité. Mais ce qui
malheureusement est vrai, ce que même si l’on est innocent, on reste coupable
pour certains. Rien ne pourra plus être comme avant, c’est un engrenage
terrifiant que montre bien le film comme cette séquence éloquente où Klara révèle
assez vite à sa mère qu’elle a dit des bêtises et que cette dernière l’auto-persuade
que Lucas lui a bien fait du mal. Trop tard, quand les parents sont convaincus,
il ne peut plus y avoir de retour en arrière. L’effet de contagion est
destructeur : l’analogie avec l’animal traqué trouve son climax lors de la
scène du supermarché. Chassé par ses concitoyens, en sang, il ne peut que
regagner son terrier, en sortir signifie se mettre en danger.
Mais s’il y a la déchéance, il
y a aussi l’espérance. Et si le film a également obtenu le Prix du Jury Œcuménique à Cannes, c’est que l’on y retrouve les
questions de la foi et du pardon. Foi en l’ami (un de ses amis chasseur lui
reste fidèle), foi en son père (le fils de Lucas est là pour le soutenir) et
foi en l’autre. C’est lors d’une poignante scène à l’église, le soir de Noël,
devant toute la ville réunie qu’une violente mais belle confrontation a lieu
entre Lucas et le père de Klara. Sous la nef s’expriment les griefs dans ce
lieu chargé de symboles. A la pesanteur des relations entre ces adultes s’oppose
la légèreté de Klara que l’on a vu plus tôt danser sous la neige tandis que son
grand frère sanglotait : pour eux, ce bonheur n’est plus que du malheur.
C’est une vie entière que l’on
voit ainsi basculer pour être broyée, aux éclats de rire du début (séquence inaugurale
au lac d’un bonheur révolu) ont succédé les menaces et les coups. Lui, le
chasseur dont la détonation subite nous faisait sursauter (scène de l’abatage
du cerf) devient la victime d’une autre déflagration violente car soudaine :
la pierre qui brise sa fenêtre (lorsqu’il arrive à partager un bref moment d’intimité
avec son fils). On le vise, au propre comme au figuré et c’est pourtant avec un
courage et une humilité qui force le respect qu’il n’aura de cesse de tendre la
main à son prochain. Et ce cerf qu’il tuait au début, il le laisse à présent s’en
aller car il sait ce que c’est d’être chassé. Tous ces moments forts ne sont
pas soulignés par une musique, toujours cette sobriété. Seule la force des
images impose le drame de la cassure, de la blessure qui jamais ne cessera de
faire mal à chaque fois qu’un regard en biais se posera sur lui. La dernière
image est un visage, celui d’un ravage.
Romain Faisant, 14/11/12
Sélectionné par Le Plus du Nouvelobs.com
Sélectionné par Le Plus du Nouvelobs.com
Merci à vous Romain Faisant pour cette juste analyse, loin des critiques tant manipulatrices que violentes à l'encontre de ce grand film du danois Thomas Vinterberg, LA CHASSE (JAGTEN)
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