Réalisé par Benoît Jacquot; écrit par Benoît Jacquot et Gilles Taurand, d'après le roman éponyme de Chantal Thomas.
...Corps et âme
Il y a six ans nous découvrions
une Marie-Antoinette rock mise en
image par Sofia Coppola, celle de Benoît Jacquot est bien différente car son
film commence là ou se termine l’histoire de la reine déchue (interprétée par
Diane Kruger). Quatre jours à Versailles, du 14 au 17 Juillet 1789, vont nous
êtres racontés au travers les yeux de la jeune lectrice de la reine, Sidonie
(Léa Seydoux). Le dévouement absolu de cette dernière est fortement marqué dès
le début et pose les jalons d’une relation particulière et excessive. Cette
horloge qui sonne pour tirer Sidonie de son sommeil est comme un ordre qui
claque, une mécanique royale à laquelle se soumet avec plaisir la lectrice,
pourvu qu’elle soit aux côtés de sa douce reine. La voilà qui s’apprête et se parfume
à la violette comme on va à un rendez-vous galant. Elle court même, quitte à
chuter dans la boue dans l’indifférence (situation prodromique) pour ne pas
manquer le rendez-vous avec sa maîtresse, qui ne l’est qu’au sens de Reine.
Le contraste est évidemment saisissant
entre les deux chambres qui se succèdent : la chambre de bonne de Sidonie
et celle de la reine, sous les dorures. Le caractère intime de leur relation
est accentué, outre par le lieu, par la tenue légère de la reine, en chemise de
nuit. Cela dit, la domination de cette dernière fait très vite peser le soupçon
sur le degré d’intimité supposé. Malgré les apparences, dont se contente et se
réjouit Sidonie, l’une donne les ordres, l’autre exécute. Ainsi, voir la reine
soigner les piqures de sa lectrice comme on prend soin d’une poupée est tout
aussi ambigu que révélateur d’une relation dominante /dominée dont Sidonie
est la victime consentante. Benoît Jacquot a déjà eu l’occasion d’explorer ce
genre de relations troubles avec son film précédent Au fond des bois (2010).
C’est une Marie-Antoinette elle-même
subjuguée par une autre femme, la Duchesse de Polignac (Virginie Ledoyen), qui se
donne à voir, en proie à la tourmente de son cœur alors que sa situation de
reine touche à sa fin. Un triangle de femmes passionnées pris dans la grande
Histoire. C’est toute une ambiance fin de règne qui va ainsi agiter le film à
travers une réalisation toujours sur le qui-vive, qui multiplie les mouvements
secs de caméras, n’hésitant pas à utiliser le zoom dans un cadre, qui, comme
ceux qui le traversent, traduit l’agitation et la précipitation. De nombreuses
séquences filmées caméra à l’épaule nous montrent Sidonie de dos qui parcourt
les couloirs à vive allure comme un monde se bouleverse, comme un cœur qui s’accélère
plus l’étau de la fin se resserre.
Car si les évènements ne parviennent
que de façon diffuse à la Cour, ce n’est de toute façon pas la préoccupation première
de Sidonie, qui ne vit ce tournant qu’à travers les tourments de sa reine. Une seule
chose lui importe : être à ses côtés, quitte à se nier elle-même. Le fait
qu’elle cache à la reine son talent de brodeuse uniquement pour ne pas risquer
de ne plus être sa lectrice est éloquent. Son dévouement dépasse tout et elle
veut bien assister à la tendresse amoureuse de la reine pour la duchesse, tant
qu’elle peut la contempler elle. Quand la reine lui confie sa passion absolue
et lui demande si elle peut s’imaginer ce bonheur, l’acquiescement de Sidonie
vaut bien sûr pour celle à qui elle fait face. Mais cette Marie-Antoinette
amoureuse n’en n’est pas moins perverse, car elle joue de cet amour admiratif
que lui porte sa lectrice pour qui elle affiche parfois de l’ignorance, parfois
du mépris ou encore de l’insatisfaction. « Estimez-vous
heureuse des confidences que je vous fais ! » lâchera-telle pour
seule reconnaissance.
De la même façon que Sidonie vit
les événements à travers sa maîtresse, Marie-Antoinette les vit au travers la
menace qui pèse sur la tête de sa duchesse favorite. Le roi a en effet refusé
de quitter Versailles, la condamnant ainsi à rester, ce qui l’affecte
profondément. Le réalisateur profite alors de cette déchéance qui guette pour
faire une citation visuelle du fameux dernier plan des Liaisons dangereuses (Frears, 1988). A Glenn Close devant sa glace
faisant tomber le masque des apparences succède le visage démaquillé, la perruque
retirée, d’une Marie -Antoinette meurtrie face à son miroir, aux sentiments en
péril mis à nu. De même, une longue et forte séquence, qui se déroule dans un
long couloir où les membres de la cour tiennent conciliabule à la lueur des bougies, instaure
cet état d’urgence, ce feu qui couve. Un monde s’écroule et ce tumulte du
peuple, dont on ne verra rien, a déjà gagné le cœur du pouvoir, à l’instar de ce
couloir bruyant. Et la liste des têtes à coupées circule. La discrète mais efficace
musique à base d’instruments à cordes (violons, violoncelles, contrebasses)
ponctuent le crescendo dramatique qui trouve son acmé dans le sacrifice ultime
de la lectrice pour sa reine.
Désireuse naïve et jusqu’au-boutiste,
amoureuse à sa façon, Sidonie obéit à sa reine en toutes circonstances. En
effet, répondant au souhait désespéré de sa maitresse pour sauver sa bien-aimée
à qui elle a demandé de fuir, elle accepte de servir d’appât en se faisant
passer pour la Duchesse. La voilà parée des atours de cette dernière, telle une
poupée dont on change la panoplie. Son corps nu fait écho à celui de la Duchesse
entrevu auparavant par Sidonie. Réduite à l’état de corps-objet, c’est
finalement là le plus grand rôle que lui donnera la vie. Le jeu de l’amour et des
apparences avait déjà permis à Benoît Jacquot d’en faire un très bon film, La fausse suivante (2000). On retrouve
ici l’ambiguïté des sentiments et des gestes puisqu’à travers ce déguisement,
la lectrice devient celle qu’elle a rêvée d’être : celle qui serait aimée
de la reine tandis que cette dernière ne voit encore que l’image de celle qu’elle
sauve et non pas le sacrifice de celle qui endosse les habits.
La voilà devenue quelqu’un qu’on
salue et même si on la prend pour une autre, cela n’a pas d’importance puisque
dans les yeux de ceux qui la regardent, elle est la favorite de la reine, elle
est aimée et sait que même loin d’elle, à travers sa mission, elle continue de
la servir. Et pour un instant, pour l’éternité d’un ralenti, elle savoure sa
descente d’escalier dans ses nouveaux habits. La lectrice n’est plus, elle est
une femme, une femme qui garde son énigme, qui sourit à la vie, à la mort. Qu’importe,
elle a obéit.
20/02/12
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