Réalisé par Stephen Frears ; écrit par John Hodge, d'après l’œuvre de David Walsh
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... La fabrique d'un destin
Il y a eu les suspicions, les
accusations et enfin au bout d’un long processus, le verdict final en 2012
: le plus grand champion cycliste du Tour de France est reconnu coupable de
dopage répété et institué, un système l’ayant mené à sept reprises au sommet
des victoires. Elles lui sont toutes retirées. Lance Armstrong, sportif de haut
niveau, n’est alors plus qu’un tricheur honni. Et puis vint la tentative de
rédemption avec les aveux du coureur lors de sa fameuse interview télévisée avec
Oprah Winfrey, célèbre animatrice dont l’influence est considérable aux
Etats-Unis. Un revirement, car l’ex-champion avait fait preuve d’une constance
sans faille dans la dénégation jusqu’à ce 17 janvier 2013. Les répercussions sont
mondiales. Articles, reportages, livres : la confession fait le tour du
monde. Le cinéma ne pouvait rester insensible à une histoire contenant déjà des
ressorts dramatiques puissants. C’est le réalisateur britannique Stephen Frears
qui s’en empare. The program
s’inscrit dans son intérêt renouvelé pour les portraits d’individus réels :
de Prick up your ears (1987) à Philomena (2013) en passant par The Queen (2006), le cinéaste se plait à
contourner l’image publique pour s’immiscer du côté de l’intime et filmer des
personnes qu’il transforme en personnages. Dans The program, il choisit l’angle factuel de l’envers d’une histoire
que Lance Armstrong a raconté au monde. Son ascension a autant fasciné qu’agacé
et le récit de ses exploits est connu. Les coulisses de son système de
tricherie, moins. C’est avec le dynamisme d’une course trépidante que Stephen
Frears, en s’appuyant sur des rapports et des documents fouillés, retrace les
grandes étapes d’une carrière parallèle à l’officielle. Celle d’un homme qui avait
fait de son ambition de victoire un intérêt supérieur n’admettant ni la
contestation ni l’échec, quitte à faire preuve d’une insolente assurance face à
des performances perfusées de tricherie.
« Je n’ai jamais été contrôlé positif à des produits dopants » :
seul devant un miroir, le coureur se répète à lui-même son unique ligne de défense qu’il assénera pour
mieux couvrir ses mensonges devant la presse. Le film n’oublie cependant pas de
pointer la fois où il fut pris en défaut (en 1999) pour mettre en évidence les
habiletés et les astuces qui lui ont permis de façon récurrente d’échapper à la
patrouille (ici un faux certificat médical). Lance Armstrong (performant Ben
Foster, qui a d’ailleurs déclaré avoir testé certains produits pour le rôle)
est redoutable dans sa détermination à affirmer face aux observateurs ce que
ses pratiques quotidiennes nient. Cette dualité est aussi celle du film qui
entremêle les images d’archives des courses avec celles de la fiction, marquant
volontairement le hiatus entre ce qu’ont vu les spectateurs sur le moment et
les moyens cachés, montrés par le film, qui ont permis l’éclatante apothéose,
avant la chute. Stephen Frears souligne le côté jovial de ces pratiques (il
faut voir l’équipe plaisanter en pleine transfusion sanguine !),
ritualisées comme un massage d’après course. Depuis longtemps soupçonné de
dopage, ce qui rend sa dissimulation d’autant plus…performante, le champion
instaure un jeu du chat et de la souris, frôlant parfois la découverte. Comme
lors de cette scène où un contrôle inopiné manque de mettre en péril toute sa
stratégie. Il est devenu une machine à gagner et à tromper : le docteur
Ferrari (étonnante composition de Guillaume Cannet) voit d’ailleurs non pas un
homme mais un corps qu’il faut formater, transformer à l’aide de toute une
panoplie de produits (de l’hormone de croissance à l’EPO). Le réalisateur
choisit un rythme frénétique pour enchaîner en alternance les séquences de
courses et celles du dopage systématique, ce programme qui donne son titre au
film.
Cette rapidité stylistique est
celle de la fulgurance d’une carrière qui devient phénoménale, les rouages sont
huilés et la presse, comme le public, s’enthousiasment pour le héros de la
Grande Boucle. Les coupures de presse s’amoncèlent sur l’écran comme autant
d’assertions qui rendent Lance Armstrong presque intouchable, son arrogance
face à ceux qui doutent le prouve. Stephen Frears fait du journaliste David
Walsh (Chris O’Dowd) le principal adversaire du coureur : son désir
d’investigation, envers et contre tous, va lui permettre de mettre des bâtons
dans les roues du champion. En effet, il apparaît vite que tout le monde sait
mais ne dit rien : Lance y veille. C’est au cœur du peloton que les
pressions s’exercent, ce que le film saisit subtilement. Un homme seul ne peut
gagner le Tour : le soutien de l’équipe pendant la course est
indispensable et le coureur a su s’entourer d’une armée dévolue à sa cause. Il
parle cyniquement de son « investissement »
lors du recrutement de Floyd Landis (Jesse Plemons), qui le mènera d’ailleurs à
sa perte. Ses conférences sur le cancer qu’il a vaincu (épreuve que le film
n’élude pas) deviennent également un support à sa combattivité sportive, même
s’il arrange là-aussi la réalité, malgré la sincérité de son engagement. « Je leur dit ce qu’ils veulent
entendre » confesse-t-il. Car l’histoire du cycliste est aussi celle
de gens qui ont cru, qui ont puisé en elle une force et un respect, comme Lance
Armstrong lui-même finalement, persuadé d’être ce grand champion méritant qui a
été célébré de par le monde. Mais fabriquer son destin peut avoir son revers. Quand
tombe la décision de suspension à vie des compétitions cyclistes, un plan
couperet suffit à Stephen Frears pour sceller le sort de son personnage. Au
bord de l’écran comme au ban de son sport, le coureur n’est plus, demeure un
homme déchu.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
19/09/15