Réalisé par William Friedkin; écrit par Tracy Letts d'après sa pièce.
…Le loup dans la bergerie
On n'avait plus revu le mythique réalisateur de L’exorciste depuis 2006
et son très réussi et très paranoïaque Bug. Il nous revient de plein fouet avec
une comédie noire ultra-violente aussi jubilatoire que terrifiante. En effet, l’arrivée
d’un tueur à gage bien particulier dans une famille de beaufs texans ne pouvait
que provoquer le chaos. Le fils avait pourtant eu une idée simple : faire
tuer sa mère pour récupérer son assurance vie mais l’intelligence n’est pas l’apanage
de la famille et le tueur recruté n’a pas le sens de l’humour, il serait plutôt
du genre psychopathe pervers…
Les brebis sont ainsi loin d’être
blanches et la bergerie est un mobil-home miteux. Le tableau de famille parle
de lui-même : Chris, le fils qui a l’idée du meurtre, est un looser acculé
qui doit de l’argent au caïd de la
ville, son père est un pataud à l’esprit limité et qui n’a surtout aucune
autorité, la belle-mère est vulgaire et déteste Chris. Y-a-t-il quelqu’un à
sauver dans ce marasme de médiocrité ? Il y aurait bien la fille, Dottie,
sorte de Baby Doll texane qui va retenir l’attention de Joe bien que sa candeur
soit plus inquiétante qu’autre chose. Mais sa différence fait d’elle un gibier
pour celui qui réclame son dû.
Personnage à la Tarantino, Joe
nous apparaît tout en symbole puisque le générique est rythmé par le son de son
briquet, attribut viril tout autant que représentation de sa capacité à mettre
le feu aux poudres. Le titre même du film nous rappelle la filiation de
Fridekin avec son compatriote, comme un écho aux Kill Bill. Chapeau texan sur la tête, lunettes impénétrables,
dégaine qui en impose, Joe est un flic qui se mue en tueur à gages quand on lui
en fait la demande. Il est tout l’inverse de la famille presque dégénérée à
laquelle il va se confronter. Son élégance et sa prestance tranche avec la
crasse et la pauvreté vestimentaire des autres. Même quand le père voudra faire
un effort, chez le notaire, sa manche de costume usé se détachera lors d’une
scène coquasse.
Joe domine ce petit monde misérable,
le chien enragé qui ne cesse d’aboyer à l’entrée de la caravane ne s’y trompe
pas : il se tait à l’instant où Joe débarque. Et c’est bien sûr la jeune
brebis qui le fait entrer et qui scelle par là ce qui va être le nouvel ordre
familial. Légère et court vêtue, Dottie a déjà conquis malgré elle celui qui
vient tuer sa mère, en prenant place à table, Joe installe sa nouvelle
position, la scène finale rejouera ce dispositif pour mieux le faire imploser.
Car si Joe vient pour exclure par la
mort l’un des membres de cette famille, il va finir par s’y inclure.
En effet, rien ne se passant
comme prévu, voilà que Dottie devient la caution bancaire du tueur qui révèle
alors sa perversité lors d’une scène dérangeante à la limite du fétichisme. Ce qui
n’est pas pour déplaire à sa proie qui vit dans un monde bien à elle et dans
lequel Joe est le prince qui vient la charmer. Possédant l’attribut principal
de la famille, l’affrontement avec le fils qui veut protéger sa sœur est inexorable.
On pense bien sûr à La nuit du chasseur
(Laughton, 1955), chef d’œuvre mythique où le Mal fait homme s’insinue au
sein d’un foyer innocent en quête d’un butin. Sauf qu’ici la famille est tout
aussi détraquée que le nouvel arrivant. Et si le repas final nous rappelle
celui de History of violence
(Cronenberg, 2005), où le père revenait après avoir littéralement tué son passé
pour instaurer un nouvel ordre des choses, l’instabilité est ici de mise dans
une scène d’anthologie où brutalité extrême rime avec outrance.
Plongée radicale dans une Amérique
sanglante (on pense à No country for old
men, Coen, 2008), Friedkin prend un malin plaisir à tourner en dérision
certains codes du genre tout en conservant un côté cru et bestial que l’on
retrouve dans son cinéma. A la frontière de plusieurs genres, son dernier film
bénéficie de l’interprétation percutante de Matthew McConaughey qui fait entrer violemment son personnage dans la
galerie des tueurs sadiques aux allures respectables. L’orage inaugural nous
mettait en garde : quand la foudre s’abattra, ce sera avec fracas…
Romain Faisant, le 14/09/12
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