Réalisé par Michel Gondry; écrit par M.Gondry, P.Proch et J.Grimshaw
...L’être et le paraître
Après son adaptation déjantée du comics The Green Hornet, Michel Gondry
revient à un cinéma moins spectaculaire mais toujours doté d’une vitalité
visuelle et narrative même si le principe formel du film semblait l’en
éloigner. En effet, il s’agit d’un huis clos en mouvement puisque toute
l’action se passe à l’intérieur d’un bus qui ramène chez eux des lycéens du
Bronx lors du dernier jour de l’année scolaire. Loin d’être sclérosé par son
dispositif, le film fait du trajet en
bus une dynamique confrontation entre ces bouillonnants ados où, au grès des
descentes, les discours changent et les amitiés s’affinent tout autant qu’elles
s’infirment.
Le voyage se divise en trois
parties clairement identifiées et titrées de façon inventives à travers des
objets ou panneaux qui sont annonciateurs du contenu à venir. Ainsi, le titre
de la première partie (The Tyrants,
Les Tyrans) est écrit sur un paquet de cigarettes, ce qui annonce une des
scènes qui tournera autour de cet objet et au-delà autour de la notion de show off en exhibant le fait de braver
les règles (interdiction de fumer dans le bus). La seconde partie s’inscrit par
la réflexion de néons sur les vitres du bus (The Chaos), prémisse de retournements de situations, de
personnalités duelles qui s’allument quand d’autres s’éteignent (quittent le
bus). La dernière partie est celle qui s’affiche, littéralement, en plus grand,
sur un panneau publicitaire avec ces simples lettres The I (le Je) et qui pointe le resserrement final sur le
questionnement qui est celui du film.
A savoir : à partir de
quel moment ne sommes-nous plus nous-même face aux autres ? Pourquoi
sommes-nous cette personne dans un groupe et une autre en solo ? Les
personnalités marquées de ces élèves du Bronx vont ainsi, après une première
partie bruyante où chacun exhibe la personnalité qu’il doit tenir tout comme le
rang qu’on lui a imposé ou qu’il s’impose, s’approfondir et faire tomber cette
personne publique qu’il ne sont pas, comme on fait tomber son masque de théâtre
(étymologie latine de personne, persona).
La force des confrontations entre ces jeunes issues des diverses communautés du
quartier (y sont représentés les blancs, les afro-américains, les asiatiques
entre autres) vient du naturel des acteurs qui produit cette impression de
tranche de vie à vif.
La démarche est la même que
pour le film de Laurent Cantet , Entre
les murs, qui proposait un autre huis clos (la salle de classe) sur un
sujet au fond similaire : le vivre ensemble. Des acteurs non
professionnels qui interprètent plus ou moins leur propre rôle (Michel Gondry
les a castés dans leurs lycées) et un scénario basé sur leurs expériences tout
autant que sur celle du réalisateur qui s’est inspiré de ses propres souvenirs. Le fait qu’il y ait des archétypes (les bad boys assis au fond du bus, le
timide, l’ado en surpoids, la fille mal dans sa peau…) n’est pas un élément qui
entrave le film car il s’affranchit de cette posture, d’une part par
l’interprétation des ados qui n’est pas artificielle, d’autre part car cette
monstration de personnages catégorisés est assumée et renvoie à une réalité.
Celle-ci est forcément ici concentrée car il s’agit d’un microcosme mais où
chacun retrouve des parts de soi.
Si c’est donc une mosaïque qui est explorée le temps d’un
voyage, le fil rouge est tout de même celui des bad boys, les chahuteurs du fond, qui provoquent mais déclenchent
du même coup de nouvelles interactions. Et l’un d’eux en particulier changera
sa façon d’être à mesure que le bus se vide et que la pression du groupe se fait
moindre. La mise en scène sait accompagner ces changements de comportements.
Elle se montre ainsi dynamique dans la première partie avec l’utilisation
constante de musique (en particulier du rap) et de nombreux flash-backs qui
nous sortent du huis clos pour mieux montrer ceux qui y sont. Gondry utilise
l’esthétique du clip voire du cartoon pour vivifier ces séquences dont l’humour
n’est pas exempt. Les jeux d’ados, plus ou moins consentis, font ainsi sourire
mais derrière la façade couve parfois le drame et les ressentis ne sont pas
forcément à l’unisson.
Ainsi, jeu de chaises
musicales, ce trajet est à la fois le dernier de l’année scolaire et le premier
d’un changement qui s’amorce et qui sera, peut-être, à confirmer. Le calme
succédera à la musique, les mots échangés aux mots jetés mais la transition
vers cet autre soi-même qu’on dissimule au groupe n’est pas aussi simple. La
tentative du bad boy repenti pour
nouer des liens hors de son groupe le prouvera. Si lui arrive facilement à
passer d’un état à un autre, il n’en n’est pas de même pour le camarade qui a
assisté à son numéro durant tout le trajet. Et pourtant, ils avaient des choses
à partager. Reste alors la réponse à un choix qu’on nous propose. Et si le
salut venait d’autrui ? C’est alors à notre moi profond de prendre les
devants, décider de descendre à l’arrêt
du Je ou continuer le trajet du Nous.
Romain Faisant, 12/09/12
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