Écrit et réalisé par Alejandro Fadel.
... Le voyage animal
Echappés d’un centre de détention pour mineur, quatre garçons et une fille, se lancent dans la traversée des plaines sauvages et de la forêt pour atteindre la maison du parrain de deux d’entre eux. Une expédition aux évidents accents initiatiques, on pense aux Chemins de la liberté (Peter Weir, 2010) et à ses évadés d’un camp sibérien, mais le film d’Alejandro Fadel est bien plus que cela. A travers son traitement singulier et très esthétique, il nous entraine à la suite de ces fuyards peu bavards qui tous trouveront un exutoire dans une de leurs actions ou décisions. Cette évolution dans la nature est synonyme de liberté comme de danger mais, indéniablement, de tournant. Le film procède par étapes et désunit le semblant de cohésion instauré au début lors du convivial repas dans la cabane. En effet, s’ils avancent ensemble, c’est pour évoluer seuls.
Ces sauvages du titre s’échappent
donc de leur cage, groupés dans un premier temps (le pré-générique s’ouvre et
se clôt sur le grillage), en justifiant de leur violence supposée puisqu’ils
abattent deux personnes froidement. La nature sera-t-elle un espace plus
adapté ? Comme les jeunes survivants de Sa majesté des mouches (Peter Brook, 1963) sur leur île déserte,
ils vont plutôt s’accommoder rapidement d’un environnement qui aurait pourtant
dû leur être hostile (dans les deux films, qui ont certaines accointances, la
bête rôde, ici un sanglier). Mais c’est sans compter sur la résurgence de
l’instinct animal. Les enfants sur l’île comme les jeunes évadés organisent
leur survie à travers les feux de bois et la chasse même si dans les deux cas
cette cohabitation forcée anime les tensions. Les instants de détente comme les
baignades apparaissent comme un répit fragile face à une situation instable
sans cesse bouleversée au fur et à mesure du choix des individualités.
Le film s’organise ainsi moins
autour du groupe qu’à travers les aspirations de chacun, que le voyage en forêt
va confirmer, éveiller ou empêcher. Ainsi, Gaucho, le guide, rêve-t-il d’une
vie avec sa copine Grace, lors d’une scène dans un éden forcément éphémère.
Tous font d’ailleurs un usage régulier de paradis artificiels. Et si Grace met
son copain en joue par jeu, la menace en annonce une autre plus dramatique. Demián
n’aspire qu’à retourner à la civilisation pour commettre un vol et s’enrichir
facilement. Grace va trouver en route un but qu’elle ne s’était pas fixé.
Monzón expérimente un sentiment nouveau et enfin Simón, le mutique, doit faire
face à la pénitence qui le mine depuis le début et dont le périple lui
apportera l’expiation.
Proche par certains aspects d’Oncle Boonmee (Apichatpong Weerasethakul,
2010) à travers l’atmosphère prégnante de la faune et de la flore, dans la
durée songeuse de plans et la contemplation attentiste de la nature, Los Salvajes se découvre en chemin. Il
n’est pas une fuite mais une rencontre avec les destinées de chacun. La
minutieuse mise en scène fait d’ailleurs retentir un grondement leitmotiv qui
scande les étapes d’une marche où l’anxiogène côtoie l’oxygène, le souffle d’un
accomplissement de soi. Comme lors de ce long instant de grâce où Simón se
tient aux côtés de Monzón dans la grotte
et où, immobile, il maintient sa main sur le corps meurtri de son compagnon. Le
temps est comme suspendu, seule la variation lumineuse dispense le diffus de la
vie. Splendide.
Faisant corps avec la nature,
retrouvant des rites tribaux et une certaine animalité, chacun vivra son
expérience différemment mais toujours intensément. En particulier Simón, qui
inaugure et clôture le film, le plus troublé mais certainement aussi le plus
déterminé à atteindre son but et à refermer la plaie du passé quitte à
affronter la bête, ce sanglier présent en filigrane. Et quoi de mieux que de
faire sienne sa plus grande peur pour pouvoir enfin s’en libérer et se
confronter alors, serein, à sa rédemption lors d’une dernière scène à la beauté
enflammée. C’est la fin du voyage. Un voyage à la fois inaugural et terminal.
28/03/13
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