lundi 15 avril 2013

► PIETA (2013)

Réalisé et écrit par Kim Ki-duk


... Chairs martyres

Le cinéma du sud-coréen Kim Ki-duk est un cinéma de la meurtrissure. Celle des corps, des sentiments et des  âmes. On s’y fait battre (la gifle est une image type), on bat et on s’ébat sur la frontière vacillante de la raison et de la folie. Ses personnages tendent tous vers un extrême (amoureux, vengeur, rédempteur…) et ce cheminement s’accompagne alors souvent d’une certaine violence (psychologique, physique, visuelle) qui fait partie intégrante de l’accomplissement des personnages, qu’elle mène à l’espoir ou au désespoir. Pieta, Lion d'or au dernier Festival de Venise, laisse une empreinte forte dans ce parcours filmique fait de cailloux acerbes. D’une noirceur percutante et bouleversante, le film nous assène ses coups comme ceux que distribue Kang-Do (Lee Jung-Jin) homme d’une froideur morbide au regard psychotique. Sa tâche : récupérer de l’argent auprès de petits artisans endettés d’un quartier déshérité. Sa méthode : il estropie pour récupérer l’argent de l’assurance. Ses sentiments : aucun. Il est une machine à meurtrir : sa journée commence d’ailleurs toujours de la même façon, il reçoit sur son portable la photo de la personne à aller voir et se présente comme un bourreau. Sans pitié. Ce côté mécanique fait écho aux différentes machines qu’utilisent les victimes pour leur travail. L’arrivée d’une femme disant être sa mère (Min-soo Jo) pourra-t-elle changer la donne et faire éclore le sentiment dans ce cœur sec ? Dans son lyrique L’arc (2004), le réalisateur y observait l’éveil des sens et la découverte candide des émotions. Ici, la candeur a laissé place à l’horreur.


Les chemins sont serpentins chez Kim Ki-duk et cette étrange relation entre une mère inconnue et un fils perdu sera aussi choquante qu’éprouvante. Adresse inconnue (2001)nous avait déjà montré un conflit filial empreint de coups et de ressenti, entre amour et haine, Pieta s’aventure encore plus loin dans le sacrifice à travers ce personnage de mère prête à s’abandonner elle-même pour mieux faire naitre de l’amour chez celui qui semble en être dénué. Dans Samaria (2004), le père de l’écolière basculait lui aussi dans d’effroyables actions pour sauver l’âme de sa fille, quitte à se perdre lui-même. Leur première rencontre instaure cet aspect sacrificiel : d’un côté Kang-Do oblige des pauvres à sacrifier un de leur membre, de l’autre la mère rattrape le poulet que vient de perdre son fils et le lui tend. Offrande à celui dont elle veut les faveurs pour absoudre sa faute inaugurale, l’abandon. La cible sur le mur, là où il lance son couteau, arbore un dessin de femme anonyme, il vient de prendre un visage. La mère y mettra d’ailleurs sa photo à la place. Image ambiguë que ce cœur de cible.


Elle devient alors l’ombre de Kang-Do en le suivant partout et en rodant autour de chez lui. Son abnégation n’a pas de limite et sa recherche d’affirmation de son statut de mère franchit sans cesse le pic précédant. Ainsi, être dans ses pas ne suffisant pas (leur rencontre est d’ailleurs précisément basée sur leurs enjambées en montage parallèle), être dans ses coups est une étape supplémentaire (elle fait à son tour craquer les os d’une victime de son fils). Enfin, souffrir jusqu’à l’écœurement  de sa propre chair sera le dernier supplice de cette mère à la dévotion si particulière. Kim Ki-duk nous avait habitués à cette flagellation du corps, c’est une thématique récurrente. Et pour atteindre le mens sana in corpore sano, ses personnages doivent d’abord en passer par l’inverse. A l’instar du pêcheur suicidaire avalant ses hameçons dans L’île (2000), des multiples coupures du Bad Guy (2001) ou des coups répétés que subit le squatteur de Locataires (2004). On souffre corps et âme mais toujours dans une optique.


Les extrêmes qu’endurent les personnages sont parfois aussi ceux des situations dans leur opposition. Ainsi, la personnalité abjecte de Kang-Do contraste jusqu’au grotesque avec la scène du clown de rue qui pointe la carence affective de ce froid exécuteur et enterre toute idée du mal  absolu. Le dilemme finale qu’exprimera la mère dans une scène où se superpose passé et présent résumera toute l’ambiguïté déjà soulignée et le statut fluctuant des personnages. Car s’il y a de la tragédie, il y a également du thriller et les effets d’inversion et donc de suspense, déjà à l’œuvre dans le surprenant Time (2006), jouent toujours ici. Une fois de plus, Kim Ki-duk impose son style aussi radical qu’attractif mais toujours réflexif. Les spectateurs impressionnés par la poésie du fameux Printemps, été, automne, hiver…et printemps (2003) n’y retrouveront pas la même douceur. Et pourtant, au moine pénitent gravissant sa colline, entravé volontairement par sa pierre, répond la mortification finale de Pieta. Si le sang, c’est la mort, c’est aussi la vie.

10/04/13

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