Réalisé et écrit par Kim Ki-duk
... Chairs martyres
Le cinéma du sud-coréen Kim Ki-duk
est un cinéma de la meurtrissure. Celle des corps, des sentiments et des âmes. On s’y fait battre (la gifle est une
image type), on bat et on s’ébat sur la frontière vacillante de la raison et de
la folie. Ses personnages tendent tous vers un extrême (amoureux, vengeur,
rédempteur…) et ce cheminement s’accompagne alors souvent d’une certaine
violence (psychologique, physique, visuelle) qui fait partie intégrante de
l’accomplissement des personnages, qu’elle mène à l’espoir ou au désespoir. Pieta, Lion d'or au dernier Festival de Venise, laisse une empreinte forte dans ce
parcours filmique fait de cailloux acerbes. D’une noirceur percutante et
bouleversante, le film nous assène ses coups comme ceux que distribue Kang-Do (Lee
Jung-Jin) homme d’une froideur morbide au regard psychotique. Sa tâche :
récupérer de l’argent auprès de petits artisans endettés d’un quartier
déshérité. Sa méthode : il estropie pour récupérer l’argent de
l’assurance. Ses sentiments : aucun. Il est une machine à meurtrir :
sa journée commence d’ailleurs toujours de la même façon, il reçoit sur son
portable la photo de la personne à aller voir et se présente comme un bourreau.
Sans pitié. Ce côté mécanique fait écho aux différentes machines qu’utilisent
les victimes pour leur travail. L’arrivée d’une femme disant être sa mère (Min-soo
Jo) pourra-t-elle changer la donne et faire éclore le sentiment dans ce cœur
sec ? Dans son lyrique L’arc (2004),
le réalisateur y observait l’éveil des sens et la découverte candide des
émotions. Ici, la candeur a laissé place à l’horreur.
Les chemins sont serpentins chez
Kim Ki-duk et cette étrange relation entre une mère inconnue et un fils perdu
sera aussi choquante qu’éprouvante. Adresse
inconnue (2001)nous avait déjà montré un conflit filial empreint de coups
et de ressenti, entre amour et haine, Pieta
s’aventure encore plus loin dans le sacrifice à travers ce personnage de
mère prête à s’abandonner elle-même pour mieux faire naitre de l’amour chez
celui qui semble en être dénué. Dans Samaria
(2004), le père de l’écolière basculait lui aussi dans d’effroyables actions
pour sauver l’âme de sa fille, quitte à se perdre lui-même. Leur première
rencontre instaure cet aspect sacrificiel : d’un côté Kang-Do oblige des
pauvres à sacrifier un de leur membre, de l’autre la mère rattrape le poulet
que vient de perdre son fils et le lui tend. Offrande à celui dont elle veut
les faveurs pour absoudre sa faute inaugurale, l’abandon. La cible sur le mur,
là où il lance son couteau, arbore un dessin de femme anonyme, il vient de prendre
un visage. La mère y mettra d’ailleurs sa photo à la place. Image ambiguë que
ce cœur de cible.
Elle devient alors l’ombre de
Kang-Do en le suivant partout et en rodant autour de chez lui. Son abnégation
n’a pas de limite et sa recherche d’affirmation de son statut de mère franchit
sans cesse le pic précédant. Ainsi, être dans ses pas ne suffisant pas (leur
rencontre est d’ailleurs précisément basée sur leurs enjambées en montage
parallèle), être dans ses coups est une étape supplémentaire (elle fait à son
tour craquer les os d’une victime de son fils). Enfin, souffrir jusqu’à
l’écœurement de sa propre chair sera le
dernier supplice de cette mère à la dévotion si particulière. Kim Ki-duk nous
avait habitués à cette flagellation du corps, c’est une thématique récurrente.
Et pour atteindre le mens sana in corpore
sano, ses personnages doivent d’abord en passer par l’inverse. A l’instar
du pêcheur suicidaire avalant ses hameçons dans L’île (2000), des multiples coupures du Bad Guy (2001) ou des coups répétés que subit le squatteur de Locataires (2004). On souffre corps et
âme mais toujours dans une optique.
Les extrêmes qu’endurent les
personnages sont parfois aussi ceux des situations dans leur opposition. Ainsi,
la personnalité abjecte de Kang-Do contraste jusqu’au grotesque avec la scène
du clown de rue qui pointe la carence affective de ce froid exécuteur et
enterre toute idée du mal absolu. Le
dilemme finale qu’exprimera la mère dans une scène où se superpose passé et
présent résumera toute l’ambiguïté déjà soulignée et le statut fluctuant des
personnages. Car s’il y a de la tragédie, il y a également du thriller et les
effets d’inversion et donc de suspense, déjà à l’œuvre dans le surprenant Time (2006), jouent toujours ici. Une
fois de plus, Kim Ki-duk impose son style aussi radical qu’attractif mais
toujours réflexif. Les spectateurs impressionnés par la poésie du fameux Printemps, été, automne, hiver…et printemps
(2003) n’y retrouveront pas la même douceur. Et pourtant, au moine pénitent
gravissant sa colline, entravé volontairement par sa pierre, répond la
mortification finale de Pieta. Si le
sang, c’est la mort, c’est aussi la vie.
10/04/13
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