Réalisé par Thierry de Peretti ; écrit par Thierry de Peretti et Benjamin Baroche
... Les amitiés discordantes
Projeté à la Quinzaine des
réalisateurs à Cannes, le premier long métrage du réalisateur Corse Thierry de
Peretti est de ces films qui font
basculer une situation anodine dans une tragédie fulgurante où la violence adolescente,
improvisée, amatrice et brouillonne éclate dans une démesure choc. Le
réalisateur avait déjà mis en scène une certaine jeunesse sur l’île dans son
moyen-métrage Sleepwalkers en 2011. Les Apaches fait quant à lui se succéder
en quelque sorte deux parties interdépendantes qui n’ont pas le même poids
dramatique. La première installe une situation banale : un groupe d’ados,
lors d’une nuit festive dans la piscine d’une villa corse inoccupée, se laisse
aller à dérober quelques objets. Sauf que des fusils font partis du lot, sauf
qu’en Corse en règle cela entre soi (la police ne s’appelle « que si tu n’as rien à lui
demander »), sauf que des ados qui craignent la dénonciation sont
prêts à déraper et à jouer avec le feu.
L’effraction de la villa est en
latence dès le début avec un conflit extérieur/intérieur puisqu’un des jeunes,
Aziz, qui aide son père à l’entretien du jardin, se voit refuser l’accès par ce
dernier. La pulsion adolescente (au loin l’orage gronde) qui se veut la réponse
à l’interdit de l’adulte ne se fait pas attendre : cette piscine qu’il n’a
le droit que de nettoyer, il l’investit nuitamment avec des amis. Il y a là une
tribu (ce sur quoi joue le titre polysémique, renvoyant aux Indiens tout comme
au sens vieilli du mot désignant un voyou) qui s’amuse : Aziz donc,
François-Jo, Hamza, Jo et une amie (tous les acteurs ont ce naturel brut qui imprègne
le film). L’instigateur de la baignade nocturne est paradoxalement le plus
raisonnable (c’est que son père travaille pour les propriétaires) et c’est par
agacement qu’il les laisse s’emparer d’objets. L’aspect naïf de l’acte (dans la
bonne humeur) est confirmé par le certain désintérêt des propriétaires au vu de
la valeur faible du butin qu’Aziz tente d’ailleurs de rapporter dès le
lendemain.
La règle de l’entre-soi
s’illustre donc dans un premier temps par les adultes, amis des propriétaires,
qui vont ratisser les lotissements pour débusquer les coupables et faire
craquer Aziz qui devient victime d’une chose qu’il a cautionnée par énervement.
Eux aussi seront dépités du maigre résultat du vol (« si tu voles, au moins fais le bien ! »). Mais ce
sont les jeunes qui prennent en quelque sorte le relais d’une histoire qui
aurait pu s’arrêter là, et commence alors une descente vers la paranoïa et la
violence qui est la plus intéressante. La cassure est confirmée avec les autres
qui n’ont pas la même approche des choses. En particulier François-Jo qui tente
de revendre les fusils de collection qu’il n’a pas rendus. Il y a du Bruno
Dumont et du Larry Clark dans Les Apaches
avec cette loupe braquée sur des ados nonchalants dont on ne soupçonne pas qu’ils
puissent se laisser aller à une éruption de déviance et de radicalité.
La peur empoisonne ces esprits
juvéniles et la crainte « de finir
dans le maquis » va les pousser à une extrémité brutale et choquante.
La frappante séquence du long trajet en voiture, à la lueur des réverbères et
au son a capella d’un chant corse, a valeur de requiem. La recherche sur la
route qui précède est une chasse et l’acte irréparable sera celui d’une bête
qu’on abat. Comme ça. La soudaineté de la pulsion dans son horreur. La violence
sous-jacente (François-Jo regardant un meurtre sur son téléphone comme on
regarde la météo) explose comme se déchire la tribu. Thierry de Peretti joue
bien sûr avec une certaine culture corse mais il s’éloigne de ce qu’on a
l’habitude de voir pour frapper encore plus fort, là où ça fait mal, sur des adultes
en devenir. La très bien pensée séquence finale, qui surprend et interpelle, nous
met d’ailleurs, littéralement, les yeux dans les yeux avec l’insouciance d’une
jeunesse potentiellement capable, derrière les rires, du pire.
Romain Faisant, 14/08/13
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