Écrit et réalisé par François Ozon
... Belle de Saison
Un an après son étude de mœurs
qui nous avait plongés Dans la maison
(2012) d’une famille ordinaire, François Ozon poursuit son exploration d’une
constante de sa filmographie, à savoir le désir. Il se focalise cette fois-ci
sur le personnage d’Isabelle, 17 ans à peine, qui a la particularité, sous des
dehors de sage image, de se prostituer. Non par besoin ou contrainte, juste
parce qu’elle en a envie. Mais quand on n’est pas encore sorti de l’adolescence
et qu’on se lance dans ce genre de double vie atypique, est-t-on vraiment
conscient ? Et ceux qui dénoncent l’inconscience sont-ils si
irréprochables ? Hétéroclite, le nouveau film de François Ozon scrute les
affres d’un passage, celui des saisons d’une vie qui s’enfuit, jouit et
s’établit.
Le titre est une référence
explicite au magazine pour jeunes filles en fleur que fût Jeune et Jolie pendant de longues années et qui s’est arrêté en
2010. Parce que les temps avaient changé ? Parce que les jeunes filles
d’hier ne sont plus celle d’aujourd’hui ? Le film joue sur cette
temporalité à plusieurs niveaux à travers le rapport mère/fille, fille/jeune
frère, fille/client âgé. Isabelle, qui nous rappelle une autre jeune fille à un
tournant, la Suzanne de Pialat dans A nos
amours (1983), focalise les regards
(sa première apparition est d’ailleurs vue à travers des jumelles ) de
plusieurs générations (« C’est
normal qu’elle ait des propositions, jolie comme elle est » ose même
son beau-père) tandis qu’un décorum volontairement appuyé entretien l’image
d’Épinal d’un romantisme populaire (le papier peint suranné à fleurs, des
roses, forcément ; l’amour de vacances, la première fois sur la plage…)
qui laisse de marbre sa principale destinataire. Usant des contrastes, Ozon
fait rapidement perde ses pétales à la rose puisqu’à l’été succède l’automne et
ses chambres d’hôtels, ses clients parfois glauques et méprisants tandis que de
sa voix mélancolique François Hardy chante le désenchantement.
Mais Isabelle (Marine Vacth,
éclatante) ne pleure pas l’amour, elle compte ses billets. Le film n’est jamais
ce qu’il pourrait être et c’est pourquoi il se distingue. Parfois comique (les
gaffes du beau-père, toujours en rapport avec le sexe), parfois tendre jusqu’à
la mièvrerie (le baiser au Pont des Arts), soudain tragique, le film oscille
volontairement quand son personnage principal, lui, garde son cap. Ce qui
déroute les autres qui cherchent l’explication, la clé : « Qu’est-ce que j’ai donc raté »
se lamente la mère, à prendre au second degré comme une illustration du cliché
qui voudrait qu’un élément extérieur donne forcément la réponse. Eloquente
séquence chez le psy qui pointe quant à lui l’absence du père. Ozon comme
Isabelle se moque gentiment de schémas préétablis, cette dernière s’amusera
d’ailleurs à montrer que chacun à un prix, que tout se vend : une séance
chez le psy comme un baby-sitting. Prostituée par hasard (l’homme à la sortie
du lycée), elle y va comme on va au travail, sa petite tenue dans son sac
(tailleur bleu-marine et chemisier en soie grise, piqué à sa mère), elle qui
s’habille plutôt de façon négligée d’habitude. La mise en scène explicite
l’abattage des clients, c’est froid, sans passion sauf avec un. Celui qui sera
la charnière d’un nouveau seuil de vie.
Car Isabelle a cette beauté et
cette part de mystère qui intrigue, comme la Belle de Jour (Buñuel, 1967) que fût Catherine Deneuve et dont on
sent ici l’influence. A la bourgeoise bien sous tous rapports qui un jour
choisit d’explorer une autre part d’elle-même succède la jeune étudiante qui pour l’heure n’éprouve rien pour les
relations de son âge (elle traverse littéralement la scène de la fête). Ni
vulgaire, ni racoleur, ni sulfureux, Jeune
et Jolie s’aventure ailleurs, à travers des contrastes forts, dans ce qui
est de l’ordre de l’intime absolu. A savoir mettre son corps au service de son
propre désir. L’inattendue séquence finale, tendre et apaisée, nous ramène dans
la chambre inaugurale, comme le fameux poème de Rimbaud à la structure
circulaire récité par des camarades d’Isabelle , qui sait, elle, ce que c’est
que de ne pas être sérieux quand on a 17 ans, et qu’après le printemps viendra
l’été. Qui ne sera plus tout à fait le même. Un autre passage pour la Belle de
Saison.
Romain Faisant, 21/08/13
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