vendredi 25 octobre 2013

► PRISONNERS (2013)

Réalisé par Denis Villeneuve ; écrit par Aaron Guzikowski 


… Et Délivre-Nous du Mal

Denis Villeneuve nous avait laissé la chair marquée au fer rouge et le cœur éprouvé après le mémorable Incendies (2010) dont on se remet à peine, son nouveau film nous entraine à son tour dans l’abîme. Remarquablement filmé et interprété, ce thriller à la noire aura dissèque un drame pour mieux en susciter d’autres, plus sombres encore. Dans une banlieue américaine typique, deux familles célèbrent Thanksgiving (fête religieuse qui n’est pas anodine) et puis, soudain, les deux petites filles disparaissent. Kidnapping ? Un suspect tout désigné est pourtant relâché…La spirale du pire s’inaugure alors, un monde se dérobe sous les yeux horrifiés de ses habitants, derrière ces portes communes croupissent les parts d’ombres de chacun et chacune. 


Histoire gigogne, Prisoners distille de façon anxiogène ses indices, autant de traces multiples dont, comme l’inspecteur Loki (Jake Gyllenhaal), on ne perçoit pas encore les ramifications. C’est que le film tricote en permanence de nouvelles voies dont on ne sait que penser sinon qu’elles insinuent un doute terrifiant. Car au-delà du thriller, c’est la foi même des personnages qui  est soumise à la plus rude des épreuves : affronter (d’une façon extrême ici) celui qu’on tient responsable de la disparation de son enfant. Et le début du film ne manque pas d’instaurer d’emblée une liaison entre la mise à mort et la prière. Le père (Hugh Jackman) est en effet croyant et l’initiation de son fils à la chasse se fait au son du Notre-Père. La bête (un chevreuil) est tuée. Il y a sacrifice couplé à l’offrande puisque l’animal devient le repas de Thanksgiving des deux familles amis qui vont être directement impactées par la suite des événements. Préfiguration animale d’une proie qui deviendra humaine. Il y a une victime et un bourreau. Ce jeu de renvoi et de déplacement sera celui du film entre le détenteur de l’ordre d’un côté et le vengeur de l’autre, l’accusateur et le martyre, le sauveur et l’expiateur.  Figures bibliques fortes. Sachant que le film cultive les inversions et bouscule les lignes pour confronter les personnages à leurs actes, les pousser dans leur retranchements, là où au bout d’eux-mêmes sommeille l’indicible.


L’ambiance est lourde (nuit, pluie, froid), ce qui n’est pas sans nous rappeler Gone Baby Gone (Ben Affleck, 2007) et le temps est compté puisque chaque heures qui passent est une chance de moins de retrouver les fillettes. Le film tisse habilement une pression temporelle en diluant les calvaires, que ce soit celui des familles, celui du torturé, celui de l’inspecteur qui s’il avance, assiste et provoque à son tour de sanglantes issues. Chaque découverte remet en question le choix bestial du père qui s’enfonce dans l’horreur et, comble de l’ironie, va se restreindre dans la violence par crainte de tuer le seul coupable à ses yeux. Ce qu’il imagine alors est pire encore. L’humain disparaît derrière un acte mécanique (ouvrir l’eau / fermer l’eau) dans la salle de bain des supplices et la proie n’est plus qu’un œil tuméfié. Réduite à une métonymie par le père comme pour se reprocher de n’avoir rien vu et condamner celui qui lui, a vu.


Si le film est ainsi éprouvant, il n’en n’est pas moins dangereusement intriguant. Au suspense grandissant répond la dislocation familiale et amicale : si le père entraine son compagnon d’infortune dans sa dérive (le père de l’autre fillette), tous les deux n’ont pas le même investissement ni la même vision. Et le repas inaugural célébrant la joie et l’unité a laissé place à l’isolement (lors de la séquence des photos, la distance est consommée, aucun regard n’est échangé entre ceux qui étaient des amis proches). Comme il l’avait fait dans Incendies, Denis Villeneuve broie le noyau familial passé et présent et le choix du thriller décuple des sensations qui sont des frissons, jusqu’au bout sous tension. La foi s’y perdra ou s’y perpétuera dans un ultime sursaut, le spectateur a alors le souffle court, le souffle sourd.  
     

14/10/13    
   

1 commentaire:

  1. "L'humain disparaît derrière un acte mécanique (ouvrir l’eau / fermer l’eau) dans la salle de bain des supplices et la proie n’est plus qu’un œil tuméfié. Réduite à une métonymie par le père comme pour se reprocher de n’avoir rien vu et condamner celui qui lui, a vu".

    La scène où le père prie à haute voix, à terre, appuyé contre ce mur des lamentations, m'a marquée.

    Depuis, je récite régulièrement :

    Notre Seigneur qui est aux cieux
    Que ton Nom soit sanctifié
    Que ton règne vienne
    Que ta volonté soit faite, sur la terre, comme au ciel
    Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien
    Pardonne-nous nos offenses
    Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé
    Et ne nous soumet pas à la tentation
    Mais délivre-nous du mal...
    Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire
    pour les siècles des siècles.



    Amin.

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