Réalisé par Denis Villeneuve ; écrit par Aaron Guzikowski
… Et Délivre-Nous du
Mal
Denis Villeneuve nous avait
laissé la chair marquée au fer rouge et le cœur éprouvé après le mémorable
Incendies (2010) dont on se remet à
peine, son nouveau film nous entraine à son tour dans l’abîme. Remarquablement
filmé et interprété, ce thriller à la noire aura dissèque un drame pour mieux
en susciter d’autres, plus sombres encore. Dans une banlieue américaine typique,
deux familles célèbrent Thanksgiving (fête religieuse qui n’est pas anodine) et
puis, soudain, les deux petites filles disparaissent. Kidnapping ? Un
suspect tout désigné est pourtant relâché…La spirale du pire s’inaugure alors,
un monde se dérobe sous les yeux horrifiés de ses habitants, derrière ces
portes communes croupissent les parts d’ombres de chacun et chacune.
Histoire gigogne, Prisoners distille de façon anxiogène
ses indices, autant de traces multiples dont, comme l’inspecteur Loki (Jake
Gyllenhaal), on ne perçoit pas encore les ramifications. C’est que le film
tricote en permanence de nouvelles voies dont on ne sait que penser sinon
qu’elles insinuent un doute terrifiant. Car au-delà du thriller, c’est la foi
même des personnages qui est soumise à
la plus rude des épreuves : affronter (d’une façon extrême ici) celui
qu’on tient responsable de la disparation de son enfant. Et le début du film ne
manque pas d’instaurer d’emblée une liaison entre la mise à mort et la prière.
Le père (Hugh Jackman) est en effet croyant et l’initiation de son fils à la chasse
se fait au son du Notre-Père. La bête (un chevreuil) est tuée. Il y a sacrifice
couplé à l’offrande puisque l’animal devient le repas de Thanksgiving des deux
familles amis qui vont être directement impactées par la suite des événements.
Préfiguration animale d’une proie qui deviendra humaine. Il y a une victime et
un bourreau. Ce jeu de renvoi et de déplacement sera celui du film entre le
détenteur de l’ordre d’un côté et le vengeur de l’autre, l’accusateur et le
martyre, le sauveur et l’expiateur. Figures
bibliques fortes. Sachant que le film cultive les inversions et bouscule les
lignes pour confronter les personnages à leurs actes, les pousser dans leur
retranchements, là où au bout d’eux-mêmes sommeille l’indicible.
L’ambiance est lourde (nuit, pluie,
froid), ce qui n’est pas sans nous rappeler Gone
Baby Gone (Ben Affleck, 2007) et le temps est compté puisque chaque heures
qui passent est une chance de moins de retrouver les fillettes. Le film tisse
habilement une pression temporelle en diluant les calvaires, que ce soit celui
des familles, celui du torturé, celui de l’inspecteur qui s’il avance, assiste
et provoque à son tour de sanglantes issues. Chaque découverte remet en
question le choix bestial du père qui s’enfonce dans l’horreur et, comble de
l’ironie, va se restreindre dans la violence par crainte de tuer le seul
coupable à ses yeux. Ce qu’il imagine alors est pire encore. L’humain disparaît
derrière un acte mécanique (ouvrir l’eau / fermer l’eau) dans la salle de bain
des supplices et la proie n’est plus qu’un œil tuméfié. Réduite à une métonymie
par le père comme pour se reprocher de n’avoir rien vu et condamner celui qui
lui, a vu.
Si le film est ainsi éprouvant,
il n’en n’est pas moins dangereusement intriguant. Au suspense grandissant répond
la dislocation familiale et amicale : si le père entraine son compagnon
d’infortune dans sa dérive (le père de l’autre fillette), tous les deux n’ont
pas le même investissement ni la même vision. Et le repas inaugural célébrant
la joie et l’unité a laissé place à l’isolement (lors de la séquence des photos,
la distance est consommée, aucun regard n’est échangé entre ceux qui étaient
des amis proches). Comme il l’avait fait dans Incendies, Denis Villeneuve broie le noyau familial passé et
présent et le choix du thriller décuple des sensations qui sont des frissons,
jusqu’au bout sous tension. La foi s’y perdra ou s’y perpétuera dans un ultime
sursaut, le spectateur a alors le souffle court, le souffle sourd.
14/10/13
"L'humain disparaît derrière un acte mécanique (ouvrir l’eau / fermer l’eau) dans la salle de bain des supplices et la proie n’est plus qu’un œil tuméfié. Réduite à une métonymie par le père comme pour se reprocher de n’avoir rien vu et condamner celui qui lui, a vu".
RépondreSupprimerLa scène où le père prie à haute voix, à terre, appuyé contre ce mur des lamentations, m'a marquée.
Depuis, je récite régulièrement :
Notre Seigneur qui est aux cieux
Que ton Nom soit sanctifié
Que ton règne vienne
Que ta volonté soit faite, sur la terre, comme au ciel
Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien
Pardonne-nous nos offenses
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé
Et ne nous soumet pas à la tentation
Mais délivre-nous du mal...
Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire
pour les siècles des siècles.
Amin.