Réalisé par Abdellatif Kechiche ; écrit par Abdellatif Kechiche et Ghalya Lacroi, d'après la bande dessinée Le bleu est une
couleur chaude de Julie Maroh.
… Et leurs yeux se
rencontrèrent
On connait la passion de
l’immersion d’Abdellatif Kechiche, immersion dans la vie des personnages qu’il
met en scène, et aussi la fulgurance de sa réalisation en osmose avec des
acteurs au jeu à l’impact cinglant. Comment allait-il s’emparer de cette
histoire d’amour vive et soudaine entre deux jeunes femmes, librement inspirée par
une bande-dessinée (Le bleu est une
couleur chaude de Julie Maroh). A bras-le-corps, forcément, tant il y avait
là de quoi saisir l’intense dans le quotidien, le sublime dans l’amour et le
drame dans le vécu. Le réalisateur aime étendre ses histoires car il faut que
ses personnages vivent et évoluent à l’écran comme dans l’existence qu’ils
incarnent. Au fil des plans, c’est le fil du chemin d’une ado que l’on va
suivre : hagarde, tremblante, troublante, Adèle bascule dans ce qui va
être sa vie.
Dès le début, Abdellatif Kechiche
insiste sur la quotidienneté répétitive d’Adèle (incroyable Adèle Exarchopoulos
qui vibre de tout son être) : la sortie du pavillon familiale, l’arrivée
au lycée, le cercle des copines. De la même façon qu’il pointe le désir encore
inconscient d’un ailleurs chez cette jeune femme au regard souvent perdu,
vagabond, en quête sans savoir de quoi. Dans cet horizon balisé, il y a l’amour
des textes, ceux étudiés en classe qui vont directement faire écho à ce que va
vivre Adèle avec Emma, la fille aux cheveux bleus (Léa Seydoux, qui se dépasse).
Qu’il s’agisse du livre de Marivaux, La Vie
de Marianne (la filiation du titre du film), d’une citation de Sartre sur
l’existentialisme ou de passages de Francis Ponge, les références littéraires
scandent leur statut de nourriture de l’âme. Pensées absorbées avec passion par
Adèle qui digère cependant cela à sa façon car elle n’aime pas « quand les textes sont trop
décortiqués et analysés ». Elle a besoin du concret, de l’expérience
de la vie. D’où une audacieuse et amusante comparaison entre Sartre et une
chanson de Bob Marley. La pulsion de la vie, de l’affranchissement est déjà là.
La métaphore de la nourriture
n’est pas anodine, outre la volonté du croquis du quotidien habituel chez le
réalisateur, il y a cette fois-ci une
insistance récurrente sur l’acte de manger. De nombreuses scènes se passent
autour du repas, que cela se passe au parc (avec Emma), dans la chambre (les
sucreries) ou à table. Des gros plans isolent la bouche d’Adèle, dans son
sommeil ou quand elle mange des spaghettis. Elle a de l’appétit (« je mange de tout, tout le temps,
sauf les produits de la mer ») au sens propre comme au sens figuré. On
voit poindre alors le rapprochement avec
l’appétence charnelle (« j’ai
envie de toi ») dont le film n’élude rien. La chair s’y déguste avec
fougue et une intensité due au jusqu’au-boutisme des deux actrices et à une
réalisation scrutatrice sans être voyeuriste même si elle est explicite. Les
deux corps enchevêtrés n’en forme plus qu’un au terme de corps à corps sur le
même accord, celui des souffles de l’envie.
Le film se déroulant sur
plusieurs années, il évite ainsi de se focaliser sur une période et donc de
réduire à un événement les nouvelles sensations d’Adèle (on la découvre ado et
on la quittera institutrice). La scène primitive de la rencontre est belle,
simplement belle car il n’y a rien sinon un regard échangé furtivement et
alors, soudain, il y a tout. Perdue au milieu de la route, Adèle vient de
basculer dans sa vie, pas celle qu’elle suivait mollement, non celle qu’elle va
vivre ardemment, maintenant. Cette rencontre avec l’autre, c’est avant tout une
prise de conscience, qu’elle rejette d’abord vigoureusement face aux regards
accusateurs (scène de la bagarre avec la copine) avant d’apprendre à évoluer
dans un univers qui lui est étranger, d’apprivoiser, avec ses hésitations et
ses ratés, ce qui peut autant combler que désespérer : l’amour. Le
réalisateur laisse ainsi le temps imprégner les plans, marquer les cœurs et nous accroche aux visages, aux peaux et aux
larmes de ses personnages dans un ensemble évolutif violemment émouvant,
passionnément tranchant.
13/10/13. Sélectionné et publié par Le Plus du Nouvelobs.fr
Mouai, pas convaincue.
RépondreSupprimer(Une lesbienne m'a dit qu'il était vulgaire, ce film).