Écrit et réalisé par Xavier Dolan
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... L'espoir maternel
Son premier film l’avait amené à
Cannes il y a cinq ans à peine avec, déjà, une histoire centrée sur les
relations tumultueuses entre une mère et son fils (J’ai tué ma mère, 2009). Une nouvelle confrontation familiale l’y
ramène, saluée par le Prix du jury (ex-aequo avec Adieu au langage de Godard). Xavier Dolan continue sur sa lancée,
celle, impressionnante, d’un jeune réalisateur qui maîtrise également le
scénario et le montage de ses œuvres. S’il choisit un terme unique et enfantin
pour intituler son film, c’est pour que s’y superpose le désigné et le désignant :
la mère et le fils, dans une même focalisation qui annonce une relation fusionnelle. Cette appellation est
en partie ironique puisqu’elle suggère une tendresse qui va au contraire
n’avoir de cesse de rimer avec détresse. Car c’est là toute l’histoire
ambivalente de Diane et Steve, celle d’une mère haute en couleur qui récupère
son fils adolescent dont même le centre correctionnel ne veut plus, en
particulier après qu’il a mis le feu au réfectoire, brûlant grièvement un autre
pensionnaire. C’est que Steve a de sérieux troubles du comportement,
hyperactif, il est incapable d’exprimer son amour pour sa mère d’une façon
adéquate, il est toujours dans l’excès. Diane va tenter, en le reprenant à la
maison, de le gérer au mieux avec son énergie et son franc-parler mais quand
Steve entre en crise, elle se retrouve démunie face à sa rage dévastatrice.
L’amour maternel et filial est pourtant aussi fort que le sont leur disputes
épiques, mais une relation peut-elle perdurer quand chaque moment de bonheur
est annihilé avec fracas ? Xavier Dolan a réalisé un film funambule, d’une
intensité constante, à l’humeur contrastée et à la passion exacerbée.
Un film de Xavier Dolan est
toujours singulier, ce qui frappe de prime abord ici, c’est le choix d’un
format cinématographique inusité : le 1 : 1, soit un carré parfait
(proche du format du cinéma muet, le 1.33, ce qui donna le 4/3 sur les écrans
de télévision). Ce format est un choix formel audacieux tant il propose une
rupture dans notre habitude visuelle des films contemporains, même si ces
dernières années ce format (sous sa forme du 1.33) a fait son retour avec un
parti pris esthétique marqué chez Andrea Arnold (Fish Tank, 2009), plus récemment chez Mathieu Amalric (La chambre bleue) et, déjà, dans Laurence Anyways (2012) du même Xavier Dolan.
Les personnages vont ainsi envahir pleinement l’écran, emplir de leur présence
l’amplitude réduite du cadre, les paysages, ce sont eux : l’humain est au
centre de tout. Cet espace confiné est aussi celui de l’intime : la
relation, belle et chaotique, de Diane et Steve s’épanouit et se détruit avec
d’autant plus de force qu’elle évolue dans la tension de ce cocon familial
scandée par les limites de l’image. Quand les protagonistes hurlent et
étouffent, le spectateur est dans une empathie décuplée par le dispositif
formel. L’initiative ne s’arrête pas là, comme il avait pu le faire dans Tom à la ferme (2013), Xavier Dolan va
moduler le format en fonction du contenu narratif et émotionnel des scènes.
Ainsi, à plusieurs reprises, comme lors de la ballade à vélo et en longboard,
instant de liberté et de bonheur, l’écran, sous l’impulsion d’un geste de
Steve, va s’élargir pour retrouver le format conventionnel du 1.85. La
respiration interne devient celle de l’image, cette largeur nouvelle et
ponctuelle va de pair avec les personnages qui déploient, momentanément, leur
apaisement.
Car la relation entre la mère et
le fils est comme une sinusoïde : l’horizon n’est jamais plat, mais
toujours dans un mouvement dont on sait qu’à une montée succèdera une descente.
« On ne s’ennuie jamais avec Steve » déclare Diane (spectaculaire
Anne Dorval, lumineuse et charismatique). Et elle sait de quoi elle
parle : son entretien avec la responsable du centre correctionnel oscille
entre comédie et mise en garde : « Vous
aurez au moins enrichi son vocabulaire ! » s’exclame Diane en
entendant les jurons que profère son fils. Le retour à la maison la remettra
d’emblée face au comportement surexcité de Steve : provocation envers le
voisin, musique à tue-tête. Il ne faut pas se fier à son visage angélique de
blond aux yeux bleus, choix voulu qui ajoute au contraste (survolté Antoine-Olivier
Pilon, qui jouait la victime dans le clip réalisé pour Indochine College Boy en 2013). S’il partage
l’énergie et le débit de parole de sa mère, il a en revanche l’exclusivité de
la violence. Une scène paroxystique y révèle toute la réalité d’un mal qui le
ronge et qu’il ne contrôle pas. Alors qu’il vient d’offrir à Diane un pendentif,
cette dernière le braque en suspectant un vol. Le déchainement qui s’en suit
glace le sang : on est passé d’un instant convivial, d’un sourire, d’une
joie d’offrir à une situation inverse brutale où fusent les insultes terribles
et les coups.
Cette relation cédera une partie
de son exclusivité à Kyla (Suzanne Clément, d’une grande justesse), la voisine
qui va se lier d’une amitié forte et émouvante avec Diane et Steve, non sans
avoir dû d’abord affronter le tyran dans une scène surprenante où elle ira au
bout d’elle-même. Car telle est la spécialité de Steve : pousser à leurs extrémités
les rapports avec l’autre. Et c’est sa mère bien sûr qui est la première à se
heurter à ce trop plein d’émotions dans une relation à la tension incestueuse
(la scène de la danse sensuelle entre autre). La caractéristique de Diane est
sa force : sa légèreté apparente (tenues voyantes, langage fleuri…) cache
le drame de sa vie : aimer son fils malgré tout. La scène où elle retient
ses larmes avec vigueur est poignante tant elle est à l’image d’une mère qui
refuse de céder à l’abattement. « Les
sceptiques seront confondus » assure-t-elle, clamant ainsi sa foi en
un avenir meilleur. Xavier Dolan, dans un ultime ralenti, laisse au spectateur
tuméfié le soin d’épouser l’espérance d’une mère ou de céder à l’amère.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
11/10/14
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