Réalisé par Neill Blomkamp ; écrit par Neill Blomkamp et Terri Tatchell
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... L'éducation sentimentale
Les robots de Neill Blomkamp sont
de retour ! S’il ne s’agit pas d’une trilogie à proprement parler, ce
troisième film du réalisateur sud-africain entretient néanmoins des liens
étroits avec ses précédents opus. Chappie
lui permet de poursuivre sa réflexion sur le rapport entre humains et créatures
qui ne le sont a priori pas, en
l’occurrence des droïdes, à travers la confrontation des corps faits de chair
et ceux constitués de métal. Propulsé sur le devant des écrans grâce à Peter
Jackson qui a produit District 9, son
premier et intelligent long-métrage, Neill Blomkamp est resté fidèle à ses
thématiques et à un univers de science-fiction robotique. Les créatures
humanoïdes font partie des sociétés que dépeint le réalisateur : soit pour
en être exclues (les extraterrestres de District
9), utilisées à des fins militaires (Elysium)
ou en remplacement des forces de police (Chappie).
Au-delà des effets spectaculaires que produisent ces films, le réalisateur
reste préoccupé par les formes que peut prendre l’évolution de l’humain et de
ses créations dans un monde en mutation. Comme dans ses films précédents, Chappie met en scène une instance
dirigeante chargée de veiller sur une société où a eu lieu de profonds changements.
Ce sont les unités robotiques d’une entreprise privée d’armement qui ont pris
la place des forces de l’ordre : infaillibles et redoutables, ces agents
d’acier sont un rempart au chaos. Leur inventeur, Deon, veut aller plus loin et
doter ses machines d’une conscience, ne plus en faire des exécutants mais des
êtres pensants. Ce à quoi s’oppose sa hiérarchie. Il s’attire également la
haine de Vincent, un ancien militaire qui a créé un robot destructeur qu’il
peut contrôler avec la pensée mais dont personne ne veut entendre parler. Deon
décide alors de tester sur un modèle endommagé son programme informatique
révolutionnaire. Sa créature en titane va dépasser ses espérances mais
également faire naitre des enjeux surprenants ayant trait à la conscience
humaine. Sérieux et bariolé à la fois, Chappie
a un côté excentrique assumé, mais sous des allures parfois désinvoltes, le
film mène une vraie réflexion sur l’être et la machine jusqu’à questionner
l’âme.
Les robots de Deon (Dev Patel) et
Vincent (Hugh Jackman, qui en avait déjà côtoyés dans Real Steel) sont à leur image : les droïdes sont élancés et
racés tandis que l’Original (nom de la machine de guerre de Vincent) est une
masse aux couleurs militaires. Deon est un jeune ingénieur enthousiaste,
Vincent est plein de rancœur : l’opposition classique entre le
scientifique et le militaire est à l’œuvre avec un côté caricatural tel qu’on
pouvait le trouver dans Avatar.
Sigourney Weaver incarne d’ailleurs la directrice de la société qui emploie
Deon, son rôle reste néanmoins anecdotique et on espère la revoir, sous une
forme ou une autre, en Ripley dans Alien
5 dont Neill Blomkamp vient d’être désigné comme réalisateur. Car ce qui
intéresse le cinéaste est moins cet affrontement que la métamorphose qui va
animer Chappie (joué en motion-capture par l’acteur fétiche du réalisateur, Sharlto
Copley). Là où Vincent veut garder le contrôle sur son robot, Deon offre au
droïde l’autonomie qui est celle de l’humain. Constitué de pièces détachées
suite à sa mise au rebut, celui qui n’est encore que le numéro 22, est donc
remonté par Deon. L’analogie avec Frankenstein
est de mise, surtout lorsque l’ingénieur s’écrit « Il est vivant ! ». L’installation du programme
informatique capable de produire une conscience équivaut à une naissance :
« Je suis ton créateur, je t’ai
donné la vie » explique-t-il à celui qui est baptisé
« Chappie » (en anglais familier : gars). Il a désormais une
identité propre. Cet acte créateur futuriste nous rappelle celui, ancestral, de
Dieu dans la Bible : « Il souffla
dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant »
(La Genèse, 2,7). Mais une conscience s’acquière et évolue : Chappie en fera la
douloureuse mais aussi amusante expérience.
Car c’est une étrange famille qui
va élever le droïde doté de pensée : enlevé par une bande de malfrats
hauts en couleurs qui veulent en faire leur atout pour un braquage, Chappie va
être confronté à ses premiers conflits intérieurs. Composé du leader Ninja, de
sa petite amie Yolandi et de leur compère Amerika, ce gang déjanté et loufoque
sera un foyer initiatique pour le robot. Ninja choisit la manière forte pour
propulser Chappie dans le vrai monde : il l’abandonne face à une bande de
voyous dont il ne peut comprendre l’agressivité. Le droïde a l’état de conscience
d’un enfant et cette scène violente déclenche ce qui ne quittera plus le
spectateur : une empathie forte pour Chappie. C’est là une réussite
évidente de Neill Blomkamp, qui, comme dans District
9, nous rend attachant cet être de métal, de par ses attitudes et sa voix,
il fait naître l’émotion. Yolandi préfère la douceur, cette femme-enfant
peroxydée devient vite une maman dans un hangar aux allures de pouponnière
punk. Interprété par les membres d’un groupe de musique sud-africain, étendard
de la contre-culture, ce couple de parents improbables s’avère finalement en
adéquation avec un Chappie qui est lui-même différent des autres et donc au
banc d’une certaine société. Comme Robocop,
auquel on songe : pas tout à fait une machine et pas tout à fait un
humain.
Chappie est dans la lignée des enjeux développés dans l’excellente
série suédoise Real Humans où des
androïdes acquièrent progressivement un système de pensée comparable aux
humains grâce à un code informatique. « Chappie existe ! » prononce d’ailleurs le robot lorsque
Vincent s’en prend à lui : c’est la naissance du sentiment, en
l’occurrence la peur, qui fait basculer celui qui n’a désormais de machine que
l’apparence, dans une humanité inédite. Ce
cri résonne tel le « Cogito ergo sum »
(Je pense, donc je suis) de Descartes. Malgré des facilités et des raccourcis
scénaristiques, le film questionne l’intelligence artificielle dans la grande
tradition de la littérature de science-fiction (Asimov) ou
cinématographique : comment ne pas évoquer Ghost in the Shell, le diptyque de Mamoru Oshii étant une somme
fascinante sur le sujet. Neill Blomkamp se nourrit de cela en évitant
l’étouffement : il retrouve dans Chappie
le Johannesburg de son premier film comme pour ne jamais oublier ce qui a
irrigué sa propre conscience et comment le poids des différences peut être
dommageable. Sur un ton relativement plus léger que ses deux précédentes
réalisations mais toujours avec un sens formidable du visuel, le cinéaste
envisage, après l’hybridation de District
9 et l’exosquelette d’Elysium, une
nouvelle forme de conscience, à la croisée de l’humain, de l’informatique et de
la robotique. Électrisante expectative.
07/03/15
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