Réalisé par Michael Mann ; écrit par Michael Mann et Morgan Davis Foehl
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... Les nerfs du cyber
Michael Mann est de retour et
c’est forcément un évènement. Après nous avoir fait un coup à la Terrence
Malick, à savoir disparaitre des écrans pendant de longues années, le cinéaste
américain revient avec un thriller cybernétique dans un style qui est incontestablement le sien.
Alors qu’il nous avait laissé au cœur des années 30 avec Public Enemies (2009), Hacker
nous entraine dans un XXIème siècle où la menace passe par la manipulation
informatique. Point de départ : un incident se produit dans le réacteur
d’une centrale nucléaire en Chine ; l’acte d’un mystérieux hacker aux
obscures motivations. Le réalisateur aime mettre en scène la traque et la
confrontation : comment oublier le duel entre Pacino et De Niro dans Heat (1995), le combat de Russell Crowe et
Pacino contre l’industrie du tabac (Révélations,
1999) ou encore la collaboration forcée entre un chauffeur de taxi et un tueur
à gages dans Collatéral (2004). Dans Hacker, cet antagonisme s’exprime par la
coopération entre deux puissances mondiales : les États-Unis et la Chine
dont les relations ne sont pas optimales. Mais deux ennemis peuvent vite
s’allier pour contrer une menace commune. Le représentant chinois, Chen Dawai,
obtient sous conditions la libération de Hathaway, un américain emprisonné,
ancien camarade avec qui il avait créé le code informatique dont le hacker
se sert. La sœur de Chen se joint à l’équipe, chaperonnée par l’agent Barret du
FBI et un marshal chargé de surveiller Hathaway. Les forces en présence sont
multiples, ce qui permet à Michael Mann de nous plonger au cœur d’un système
pour mieux en décortiquer les tenants et les aboutissants. Une course contre la
montre s’engage dans ce film au rythme ciselé qui entremêle le technologique et
le physique, les réseaux informatiques et les liens humains.
L’ouverture du film pose les
bases d’une nouvelle géographie : celle d’une Terre irriguée par ses
réseaux de communications. Ces autoroutes d’énergie électrique composées de
codes informatiques qui, si elles mettent en relation le monde entier, sont
aussi capables, par des chemins de traverse, de provoquer le chaos si ceux qui
les empruntent sont mal intentionnés. La réalisation nous fait passer de
l’infiniment grand (vue depuis l’espace) à l’infiniment petit (les circuits
informatiques) par un effet d’engouffrement des plus réussis mais qui traduit
une vulnérabilité insidieuse. Le virus gangrène le système et la caméra explore
ces entrailles comme le film va pénétrer l’univers de ces pirates numériques.
Remonter à la source : tel est l’objectif d’Hathaway qui s’engage dans la
traque contre une remise de peine car il a bien conscience d’être un pion dont
le gouvernement se sert. Le bracelet électronique qu’il porte est là pour le
lui rappeler. L’agent Barret (Viola Davis) est toujours hantée par le
11-septembre et l’allusion résonne comme un constat : le terrorisme change
de forme et à l’action spectaculaire se substitue l’action souterraine et
anonyme. L’une des scènes les plus fortes se situent précisément dans un tunnel
où s’affrontent la police et les sbires du hacker, la configuration des lieux
obligeant à une progression à l’aveugle avec sans cesse un angle mort. Et c’est
bien de cette façon qu’Hathaway et son équipe doivent progresser : rien
n’est plus trompeur qu’un message informatique, manipulable à souhait. Un mail
piégeur en sera l’illustration.
Cette assise du virtuel
s’articule autour d’une traque bien réelle : le choix de Chris Hemsworth
pour incarner Hathaway s’avère judicieux dans le sens où, en plus de l’expert
informatique qu’il est, son corps musculeux incarne l’humain face à la machine,
le mouvement face à l’immobilisme du hacker, la puissance physique face à la
force de frappe de l’ordinateur. Car le hacker reste désincarné pendant la
majorité du film : il n’existe qu’à travers ses actions qui sont des
traces informatiques, à distance d’un combat où l’on ne tape pas que sur un
clavier. Hathaway apparaît au contraire tout aussi efficace derrière un
ordinateur que sur le terrain : la scène du restaurant est exemplaire
dans ce qu’elle révèle de la nature de
l’affrontement. Le hacker les observe via le système de surveillance qu’est la caméra
tandis qu’il leur envoie ses sbires. L’organique et l’électronique n’en sont
pas encore au point de rencontre. L’équipe d’Hathaway multiplie les
déplacements dans divers pays (voiture, avion, hélicoptère, métro) pour se
rapprocher de la source. Il est intéressant de constater que Michael Mann ancre
son récit pour une bonne partie dans le vieux Hong-Kong alors même qu’il est
question de haute technologie : l’ancien et le moderne sont deux notions
autour desquelles se déploie le film. Hattaway se voit désigner comme « obsolète » par le hacker, il a en
effet passer ces dernières années en prison. Chen (Leehom Wang) déclare qu’il
va falloir aller débusquer la source « à
l’ancienne », en se rendant physiquement sur place. La confrontation
avec le hacker n’a-t-elle d’ailleurs pas lieu lors d’une cérémonie
traditionnelle ?
Hathaway est comme un trait
d’union entre deux mondes, deux époques car c’est bien son code qui est
ressuscité par le hacker et qui, malgré lui, réactive aussi l’homme
puisque cela provoque sa sortie de prison. Car le film de Michael Mann, s’il
est conçu autour d’une traque informatique, est également une histoire
humaine : à la froideur du hacker qui ne conçoit le monde que comme une
suite de 0 et de 1 répondent les relations qui se tissent entre les personnages
de l’équipe et en particulier entre Hathaway et la sœur de Chen (Wei Tang).
Angela Bennett était seule dans Traque
sur internet (1995), l’union est primordiale dans Hacker, ce que n’hésite pas à renforcer le réalisateur en provoquant
de brutales disparitions de personnages dans un élan pathétique. La mélancolie
des personnages est une constante du cinéma de Michael Mann et elle affleure
aux détours de plans parfaitement imbriqués dans un ensemble remarquable et
esthétique qui culmine dans un face à face qui n’a plus rien de cybernétique.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
21/03/15
Bravo pour cette critique qui vient au secours d'un film (cyber)attaqué de toutes parts. Voilà une lecture qui épouse parfaitement mon sentiment sur ce "Hacker" malheureusement mal vu. Certains voudraient y voir du James Bond stylisé, j'y vois au contraire un réalisateur qui s'attache autant aux formes qu'à l'humain qui en est le créateur. Mann questionne la virtualité relative du monde actuel (de l'impulsion électrique à l'explosion d'une centrale), la confronte à la substance même de ce monde (des circuits miniaturisés à ces filaments lumineux qui connectent les villes entre elles vu du ciel) et entre les deux place les êtres, fragiles et faillibles. Le travail de Mann à l'image est conforme à sa personnalité, unique en son genre, et cela constitue en soi déjà une valeur inestimable.
RépondreSupprimerBonjour, merci pour votre commentaire pertinent sur ce film qui le mérite. Ce serait en effet bien mal connaître Michael Mann que d'y voir un simple film d'action (bien qu'il en maîtrise évidemment les codes), sa façon d'aborder une ville, un personnage, une situation (ne serait-ce qu'à travers un discret ralenti) prouve si nécessaire que nous sommes là devant un film qui creuse en deçà de la surface...
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