Écrit et réalisé par Terrence Malick
...Les sens de l'existence
Le cinéma de Terrence Malick a
cela de fascinant que sous une constance formelle et sa récurrence de motifs
associés, le voyage, physique et intérieur, que font les personnages, conserve
ce caractère enivrant, troublant, unique. Le cinéaste au style bien spécifique,
inauguré dès son premier film (La Ballade
sauvage, 1973), a toujours excellé dans l’art de marier l’homme et la
nature, ses personnages n’évoluent pas dans leur environnement, ils évoluent avec lui. Cinéaste du détail et de l’intime, du vivant
au sens large, Terrence Malick nous revient de façon très inhabituelle, deux
ans à peine après The Tree of Life
(2011). En effet, il nous avait habitués à prendre son temps, et nous
patientions bien volontiers. Quarante ans de carrière et six films. Mais cette
proximité avec sa précédente œuvre n’est pas seulement temporelle. A la merveille est dans cette continuité
narrative faite d’instants, d’étapes, d’ellipses et de fragments mémoriels.
Le film, comme son prédécesseur,
construit plus que jamais son récit au travers cette mosaïque d’émotions et de
sensations qui caractérise l’ensemble de son œuvre. La parole s’efface de plus
en plus au profit du ressenti du moment, de l’expression d’un visage, d’une
caresse. L’Amour est toujours au centre de ses préoccupations, ce sentiment si
simple et si compliqué, si merveilleux et si destructeur. Le cinéaste n’a de
cesse de le questionner depuis ses débuts à travers les voix off de ses personnages
tour à tour tournés vers eux-mêmes, la nature, Dieu. Et ces pensées sont cette
fois-ci celles d’un couple qui se délite (Neil, Ben Affleck et Marina, Olga
Kurylenko) ainsi que celles d’un prêtre (Javier Barden). Tous questionnent
l’âme et le cœur, tous sont en proie au doute.
L’histoire en elle-même reste
ordinaire au sens où la force vient de la façon dont elle va nous être racontée
ou plutôt montrée afin d’en faire quelque chose d’extra-ordinaire qui, comme chacun des films précédents, tend vers
le spirituel pour devenir une branche d’un arbre filmique dont le tronc est
commun à toutes les autres réalisations de Terrence Malick. On ne peut en effet
isoler A la merveille du reste de sa filmographie tant le jeu de miroir est
puissant. C’est ainsi à notre propre mémoire qu’il fait également appel, comme
les personnages qui oscillent entre présent et passé, à l’instar de l’image récurrente
de la femme à la balançoire que l’on retrouve ici mais aussi dans The Tree of Life ou encore La Ligne rouge (1998). Les films de
Terrence Malick sont comme un terreau où éclosent de nouvelles pousses aux
racines communes.
Ainsi, le procédé de la voix off
qui nous immisce dans l’intimité d’une âme s’inaugurait dès le début de La Ballade sauvage. L’alternance de
scènes de vie fugitives et de plans de la nature, faune et flore, est semée sur
chaque œuvre. Les bisons du film présent se trouvent déjà dans Les
Moissons du ciel (1978). Le ballet des oiseaux, l’astre lunaire et solaire,
les champs dorés, l’eau qui coule, le ciel et ses nuages…Il ne s’agit pas ici de
faire une liste superficielle, qui couvre d’ailleurs les quatre Eléments, mais
de montrer cette constance de motifs qui ne doivent pas être pris de façon
isolée mais à l’aune d’un Tout qui est à la fois réceptacle (les gestes de
gratitude et de bonheur envers la Nature de Pocahontas dans Le Nouveau monde (2005) ont des
ascendances avec ceux de Marina ici), obstacle (cette pollution souterraine à
laquelle s’intéresse Neil, ces collines verdoyantes devenues tombeau des
soldats de La Ligne rouge) et miracle
quel qu’en soi le sens qu’on lui donne (la main du prêtre sur les vitraux
baignés de soleil, cette goutte d’eau sur le bourgeon que boit Marina et qui
perlait déjà sur les blés des Moissons du
ciel).
Le réalisateur nous retransmet
ainsi ce rapport particulier, car total, de ses personnages au monde du
sensible. Et cette approche passe également par un aspect fondamental du cinéma
de Terrence Malick qui est cet attrait du toucher. Le tactile fonde le rapport
à l’autre et exprime tellement plus qu’un mot. Le plan d’une main sur une
épaule est tout aussi essentiel que récurent. Il est ce geste, à la fois simple
et bouleversant, qui pardonne ou qui demande pardon (les deux frères dans The Tree of life) tout comme il est
affection et passion. Neil et Marina sont souvent montrés dans ces échanges qui
en deviennent sensuels où, peau à peau, on tente d’appréhender l’autre comme on
découvre une nouvelle terre (Le Nouveau monde
est éloquent à ce propos). Mais la sérénité des choses est souvent remise en
question (la maison du couple et ses pièces vides traduisent cette difficulté
d’installation pérenne), car la vie, comme la nature, peut être cruelle (les
disputes de Neil et Marina, les errances du prête chez les miséreux). Et cet
état de fait est comme toujours chez le cinéaste baigné par une atmosphère sonore
qui là aussi joue de l’alternance entre les sons de la faune et la flore
(oiseaux, vent, rivière) et de la musique classique, souvent céleste. Cela
confère à l’ensemble sa tonalité unique, un lyrisme toujours entre orage et
éclaircies.
Le vent de la vie souffle sur les
échos des jours des personnages comme sur les saisons qui passent. La nature a
ses cycles, comme les humains ont leurs étapes. Ainsi, les doutes se confirment
ou s’infirment pour nos protagonistes, qui, d’une façon ou d’une autre
reprendront la route. Car, à l’instar de ce soleil dont les rayons dardent sans
cesse les feuillages sous lesquels ils déambulent, tout continue, tout avance
malgré tout, tout resplendira, ici ou là-bas. On comprend mieux alors pourquoi
cela commence dans un train qui file à travers le paysage et pourquoi, à la
toute fin du générique, le son off de ce même train revient. Il est tout aussi
souvenir qu’avenir. « Je pleure mes
ennuis/ Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante/ Si bien qu’en les
chantant, souvent je les enchante » (Du Bellay, Les Regrets, 1558).
6 /03/12
Publié et sélectionné par Le Plus du Nouvelobs.com
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