Réalisé par Lou Ye ; écrit par Mei Feng, Yu Fan et Lou Ye.
... In Memoriam
Le réalisateur chinois Lou Ye
nous revient avec un film dans la continuité de ses précédents. Il poursuit en
effet son exploration du sinueux chemin des sentiments mais en empruntant
cette-fois les codes du thriller. Et c’est une nouvelle réussite qui tient en
haleine le spectateur comme les personnages tant l’histoire est évolutive. Comme
à son habitude, le réalisateur s’émancipe d’une trame au sujet commun
(l’adultère) pour se mettre à explorer les réactions humaines de personnages
pris dans quelque chose qui les dépasse. Il retrouve d’ailleurs Hao Lei,
l’actrice principale de son effervescent
Une jeunesse chinoise (2006),
qui interprète Lu Jie, une femme en désarroi. Son couple se trouve au cœur
d’une tourmente et, au-delà, ce sont les vies de nombreuses autres personnes
qui se trouvent bouleversées par la découverte de l’infidélité inaugurale. Car
le film est un surprenant puzzle aux multiples ramifications où chacun lute
pour son propre désir.
La brutalité et la soudaineté de
la séquence d’ouverture (l’accident de voiture) est fondatrice à plusieurs
niveaux. Elle est à la fois cette scène primitive où meurt une jeune femme qui
erre sur la route et dont nous n’aurons la clé originelle que bien plus tard.
Et également une instauration de la tonalité à venir ou comment, en un instant,
des existences entières basculent violemment dans l’inattendu. Nerveuse,
fiévreuse, la réalisation de Lou Ye scrute les visages des personnages pour y
saisir l’émotion de l’instant, le temps du basculement. Le film installe les images du bonheur entre
les deux mères de famille qui se rencontrent, l’agréable vie de couple de Lu
Jie et de son mari pour mieux en révéler l’envers.
La tromperie, comme dans Nuit d’ivresse printanière (2009), du
même réalisateur, est d’abord conjugale avant que chaque pièce du puzzle nous
fasse prendre conscience d’un plus vaste mensonge et que se pose l’inextricable
question : qui manipule qui ? Dans un monde qui s’écroule, les
personnages auront tous des réactions différentes sans que les mêmes causes
produisent les mêmes effets. Tous ont cependant un point commun : ils font
partie d’un couple. Qu’il s’agisse du mari avec l’une ou l’autre de ses femmes
mais aussi le couple d’enquêteurs que forme l’inspecteur avec son ami,
périphérique mais essentiel. Les conflits ricochent ainsi d’un couple sur
l’autre, entre volonté de préservation, destruction et révélation. Lou Ye
orchestre avec le talent qu’on lui connait ce ballet dramatique qui glisse vers
le tragique sans en avoir l’air.
Les cœurs s’ébattent et se
battent et l’énigme trouve son acmé dans le retour à la scène primitive de
l’accident et pourtant, si l’on sait alors comment, sait-ton vraiment qui est
mort au bout de la chaîne des tromperies ? Cette jeune étudiante qui n’est plus après avoir été la cause puis
l’objet de la rage. Pièce sacrifiée dans un échiquier passionnel où seule
compte la bataille du présent, ne suffit-il pas au mari d’un simple clic sur
l’ordinateur pour « supprimer le
contact » ? D’ailleurs, lors de la relation entre l’étudiante et
le mari à l’hôtel, la mise en scène joue avec le flou, au sens propre,
signifiant par là le statut d’entre deux, entre présence et absence, de la
jeune femme. S’il n’y avait pas eu l’ami de l’inspecteur, l’affaire aurait été
classée encore plus rapidement. Mais voilà, lui a connu cette victime dont on
ne découvrira pas l’histoire. A l’instar du cadavre de l’écolière de Poetry (Lee Chang-Dong, 2010) dont on ne
saura presque rien et qui est aussi un élément déclencheur. Dans Mystery, en souvenir de la morte, l’ami agit. Pour leur
avenir, les autres l’oublient. Trois ralentis significatifs lui sont pourtant
consacrés, comme pour étirer cette présence fantomatique. Et si c’était elle,
le vrai mystère.
23/03/13
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