Réalisé par Asghar Farhad ; écrit par Asghar Farhad, adapté par Massoumeh Lahidji.
... Se souvenir de l'avenir
Déjà récompensé à Berlin, aux
Oscars et aux Césars, le réalisateur iranien Asghar Farhadi le sera peut-être
cette année au Festival de Cannes où son film est en compétition. Cela serait
mérité car Le passé est une nouvelle
réussite du réalisateur d’Une séparation (2010)
(Oscar meilleur film étranger l’année dernière). Il nous introduit à nouveau
dans son univers dramatique de prédilection : la cellule familiale
gravitant autour du couple. Pour la première fois, l’action ne se déroule pas
en Iran, mais en France, dans la banlieue parisienne. Ce changement
géographique lui permet de mettre l’accent sur une thématique fondamentale du
film, à savoir ce qui fait retour.
Car, comme l’annonce le titre, le présent est hanté par le souvenir ou plutôt
par les souvenirs. En effet, chacun des protagonistes est retenu par une
histoire que le présent n’a pas su clore et cette prégnance du passé va
précisément s’incarner dans le retour d’Iran d’Ahmad (Ali Mosaffa) à qui Marie
(Bérénice Bejo, impeccable en mère troublée) a demandé de venir officialiser
leur divorce (le thème de la cassure du couple était déjà à l’œuvre dans Une séparation). Elément humain
déclencheur et révélateur de tensions sous-jacentes dans une famille recomposée
minée par les doutes, les incertitudes et les non-dits. Le réalisateur nous
livre ainsi un poignant tableau psychologique sur les affres familiales et
sentimentales de personnages perdus au sein d’un même foyer, toujours avec
cette finesse d’approche, toujours avec cette maîtrise rigoureuse de la mise en
scène des histoires et des lieux.
Car Asghar Farhadi confère
toujours à ses décors une fonction dramatique (on se souvient de la maison de
plage ouverte aux quatre vents et aux vitres brisées dans A propos d’Elly (2009), réceptacle de l’éclatement relationnel à
venir entre les amis), la maison de Marie en travaux (on refait les peintures)
est un écho à l’appartement de La fête du
feu (2006), lui aussi en plein chamboulement comme l’est le couple qui y
vit. L’arrivée d’Ahmad à l’aéroport donne lieu à une intéressante séquence muette
où, Marie et lui, séparés par une vitre, se voient mais ne s’entendent pas. Le
problème de communication en latence est ici posé sobrement, par la signifiance
de l’image. L’ex-mari revient dans un présent qui n’est plus le sien, les
filles de son ancienne femme ont grandi, les choses ne sont plus là où elles
étaient et les références récurrentes à la peinture fraîche, sous l’aspect
anecdotique, rappelle ces passés qu’on essaye de camoufler sous une couche de
peinture, sous une nouvelle couche de vie.
Marie vit en effet avec un
nouveau compagnon qu’elle va bientôt épouser, Samir (Tahar Rahim), et son fils
qu’il a eu avec sa femme, dans le coma suite à une tentative de suicide. Ce qui
ne pourrait être qu’un mélodrame amoureux s’impose au contraire comme un drame brut où chaque
rouage concourt à mettre les personnages face à eux-mêmes. Ahmad arrive en
pleine crise familiale, comme l’employée de maison de La fête du feu se retrouvait malgré elle au cœur d’une dispute
conjugale, puisque la fille aînée de
Marie, Lucie, ne supporte pas Samir. La rencontre entre les deux hommes traduit
la difficile cohabitation entre le passé de l’un et le présent de l’autre:
réparant l’évier, Ahmad a les mains sales et ne peut donc serrer la main
tendue. Le contact n’a pas lieu. C’est le symbole d’une difficile jonction,
entre les adultes mais aussi entre les enfants, figures importantes du film.
Les deux plus petits (la fille cadette de Marie et le fils de Samir) seront
sujets à des dissensions comme leurs parents (l’histoire des cadeaux). Quant à
Lucie, un lourd secret la ronge et accentue les tensions entre un trio
déstabilisé qui ne s’avoue pas les choses (pourquoi Marie a-t-elle réellement
fait revenir Ahmad ? Pourquoi a-t-il vraiment accepté ? Samir est-il si détaché de sa femme comateuse ?).
Le film instaure subtilement cet
équilibre entre les différents personnages, alternant focalisation et
distanciation, pour rendre au mieux des parcours de vie qui l’espace de
quelques jours, au même endroit, se télescopent. La maison, où les places de
chacun sont mouvantes (les lits) devient l’emplacement de l’étouffement commun.
Marie, à l’instar de Firouzeh dans Les
enfants de Belle Ville (2004), ouvre souvent la fenêtre vers la voie
ferrée. Espoir d’un nouvel aiguillage. Et comme dans ses précédentes
réalisations, Asghar Farhadi sait aussi
nous surprendre et jouer du suspense, les révélations, comme ce personnage
secondaire qui devient un élément clé dans les relations conflictuelles, est à
l’image du film. A savoir comment ce qui est au loin, dans le temps et dans le
plan, là-bas, qu’on avait oublié, dont on ne voulait pas se souvenir ou qu’on
ne voulait pas dire, s’impose au fur et à mesure dans une parole, dans un geste,
dans un chemin qu’on rebrousse.
17/05/13
Je pense voir ce long-métrage, prochainement.
RépondreSupprimerEt "Abus de faiblesse" aussi, j'adore les deux protagonistes.
Il ne me reste plus qu'à trouver du temps.