Écrit et réalisé par Nicolas Winding Refn.
... Hypnotique mélancolie
Après l’envoûtant Drive (2011), unanimement salué, le
réalisateur Nicolas Winding Refn nous embarque à nouveau dans un voyage
singulier et sans concession. Plus brutal, plus radical, plus abstrait que son
précédent film mais tout aussi esthétique, captivant et mélancolique. Only God Forgives vous accapare l’œil
comme il tranche dans vos sens. De façon visuelle, sonore et émotionnelle, le
film déploie ses tableaux crépusculaires d’un Bangkok décadent où règne la loi
du talion. La mort du frère de Julian (Ryan Gossling, qui retrouve le
réalisateur qui l’a mené à la consécration et dont la seule présence habite le
cadre) déclenche un règlement de compte sanglant entre le chef de la police,
Chang (impassible Vithaya Pansringarm) et la mère des deux frères
(méconnaissable Kristin Scott Thomas, vénéneuse et malsaine vengeresse). Peu de paroles, peu de
personnages car ce cercle restreint se suffit à lui-même dans une démarche
filmique funambule entre contemplation, action et sensation.
Le film baigne dans une teinte
vermeille dominante, comme si les décors étaient déjà imprégnés du sang à
jaillir. Cette pesanteur est accentuée par le côté nocturne de la majeure
partie des scènes et par la volonté du réalisateur de claustrer ses personnages,
en particulier Julian, dans un espace labyrinthique (chambre, couloirs, bar) où
s’esquissent des rapports, où s’ébauchent des vies, où plane la mort.
L’ensemble est très stylisé et tend vers une certaine abstraction qu’on trouve
par exemple chez David Lynch. Nicolas Winding Refn joue ainsi du rêve et du
cauchemar (la prestation sensuelle de la fille), de l’étrange (l’eau devenant
sang dans le lavabo) et de décalages incongrus dans le contexte oppressant de
l’histoire (scène récurrente du chef de la police au karaoké). Les décors et
les lumières colorées très travaillées confèrent au film cette atmosphère
singulière qui nous happe et fait de certaines séquences de violence des
moments surréalistes.
Car la férocité est une constante
dans le cinéma du réalisateur (son premier film qui inaugurait une trilogie, Pusher (1996), en portait déjà l’empreinte quand Bronson (2008) traduisait son attrait pour les destins extrêmes)
mais il ne se livre jamais à sa mise de scène de façon anodine. On retiendra
entre autres les sévices que fait subir Chang à celui qui lui a envoyé des
tueurs. Dans un décor grandiloquent de cabaret, entre deux bouquets de fleurs, le
pire se déroule devant les yeux sagement fermés d’une assemblée féminine
pomponnée. L’esthétique du contraste est le maître mot de cette déambulation
sanguinaire qui aurait pu être celle de Kill
Bill (Tarantino) (la mère vengeresse, Chang et sa lame) mais qui n’en n’est
rien. Car Only God Forgives se
singularise par sa forme comme on l’a vu mais aussi par une histoire qui ne
suit pas le fil qu’elle avait pourtant initié.
Le héros de Drive n’est pas celui de ce film, et pourtant, Julian, qui s’occupe
d’un club de boxe, nous est montré dans une posture guerrière (analogie avec la
statue du boxeur) mais ce n’est pas lui qui monte sur le ring. De la même
façon, il est rabaissé par sa mère dominatrice (scène du restaurant où il se
sent obliger d’amener une fille qu’il fait passer pour sa copine) qui lui
préférait son frère, ce frère qu’il dit ne pas pouvoir venger. C’est toute une
posture virile qui est ici déconstruite jusqu’à la confrontation à mains nus avec
Chang qui inscrira sur le visage meurtri la réalité en latence. Julian n’est
pas cette bête féroce qu’était One-Eye dans le Valhalla Rising (2009) du même réalisateur et que sa mère aimerait
qu’il soit. Il porte au contraire sa mélancolie comme on porte le fardeau d’une
existence. N’avait-t-on pas demandé à sa mère d’avorter de cet être
différent ? De l’inconvénient d’être
né écrivait Cioran. Pris dans des désirs qui ne sont pas les siens, Julian
a peut-être là l’occasion de choisir son destin. Ainsi, expérience sensorielle,
Only God Forgives, use avec un
raffinement violent des ressources cinématographiques pour une descente
hypnotique dont on sort à la fois soufflé et subjugué.
22/05/13
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