Réalisé par Park Chan-wook ; écrit par Wentworth Miller
... Liaisons sanguines
Le sud-coréen Park Chan-wook revient
nous prendre aux tripes avec, pour la première fois, une co-production américano-britannique
et un casting occidental. Ce changement de situation a-t-il joué sur sa manière
de faire ? Que l’on se rassure immédiatement : le réalisateur n’a
rien perdu à l’exportation de ses obsessions toujours teintées de pourpre,
entre poésie visuelle et virtuosité violente, les rapports humains se heurtent
toujours dans le fracas des corps livrés à des destins extrêmes. Son dernier
film, Thirst (2009), l’adaptation
vampirique (!) du Thérèse Raquin de
Zola nous avait confirmé son habile ingéniosité à faire sien un classique pour
mieux le réinventer. Avec Stoker, il
part d’un schéma classique du cinéma : l’arrivée d’un intrus au sein d’une
famille dont il va bouleverser l’existence. C’est ici un oncle inconnu, Charles
(Matthew Goode, avenant et angoissant) qui surgit suite au décès de son frère, le
mari d’Evelyn (Nicole Kidman, beauté froide et voluptueuse à la fois) et le
père d’India, une jeune fille (Mia Wasikowska, au faux air de Mercredi dans La famille Addams, Barry Sonnenfeld,
1991). Ce canevas (déjà celui de Thirst d’ailleurs avec l’introduction du
prêtre dans la cellule familiale), Park Chan-wook va l’éventrer pour mieux en
faire couler le sang du thriller. Il nous livre ainsi un magistral film
anxiogène, minutieux puzzle torturé à l’esthétisme raffiné qu’il écorche avec
son style habituel et un malin plaisir.
Les relations familiales ont
toujours été une source d’inspiration pour Park Chan-wook, cocon sous tension
dont il se délecte de l’implosion. Son premier film déjà, Moon is the sun's dream (1992) mettait en scène deux frères au mode
de vie radicalement opposé, quant à sa fameuse trilogie de la vengeance (Sympathy for M .Vengeance, Lady Vengeance et Old boy), le lien avec un être familial cher était un des ressorts
fondamental des drames. Dans Stoker,
l’oncle fait son entrée chez une mère et sa fille en deuil. On retrouve là une thématique
récurrente au cinéaste : celle du passé qui fait retour et qui s’impose au
premier plan (le prisonnier dans Old Boy
libéré après des années comme dans Lady
Vengeance également). Il devient très vite cet objet de désir (amoureux
pour la mère, répulsif pour la fille) qui creuse un peu plus la fissure entre
celles qui sont finalement des étrangères l’une pour l’autre (scène du repas où
l’oncle est littéralement entre les deux). Une étrange relation va ainsi se
nouer entre ce trio dans une atmosphère de manipulations et d’initiation malsaine
entretenue par la mort et la violence.
Car tout est affaire de liaisons dans
ce méandre ombrageux : le lien entre le passé et le présent détermine les agissements
de l’oncle et son intérêt si vivace pour sa nièce. Cette dernière est troublée
par cet homme inquiétant et hésite quant à son attitude (elle le fuit à sa
sortie de classe mais scrute son reflet dans le bus). Ce qui lie la mère et la
fille semble bien inexistant, leur seul lien étant le mort (India passait son temps
à chasser avec lui, excuse répétitive de la mère). Ce système d’attaches,
fortes ou friables, à différents niveaux s’étant au mécanisme même du film
puisqu’il oscille entre plusieurs temporalités, jouant sur l’anticipation (générique
inaugural, scène de la salle de bain) ou le souvenir (récit d’enfance de l’oncle,
chasse avec le père). Le film nous entraine ainsi dans un labyrinthe fascinant
où entrent en collision des motifs connus du réalisateur comme la boîte à
cadeau (on se souvient de celle, tragique, de Old boy), les indispensables photos d’antan (donnant un éclairage
différent sur un événement, comme celles de Sympathy
for M.Vengeance) et la focalisation sur des détails pas si insignifiants
(au cours de dessin, India ne représente pas le vase et les fleurs mais le
motif intérieur. Marquage du film vers l’envers).
La réalisation de Park Chan-wook
fait ainsi la part belle à une stimulation visuelle baroque (décadrages,
personnages coupés, effets visuels étranges) qui maintient constante l’inquiétante
oppression qui règne dans la demeure et entre les personnages. La récurrence de
gros plans fétichistes sur les chaussures d’India fera ainsi sens de façon
éclatante et la dernière paire qui lui sera offerte deviendra un symbole muet d’une
puissante force évocatrice. En maître aguerri du montage choc, le réalisateur
agence ainsi toutes les pièces à travers des renvois, des analogies, des
suggestions et un implacable sens du déroulement. La scène de la tante dans la
cabine téléphonique en montage parallèle qui met en relation le trio de
personnages est remarquable d’intensité et la façon dont l’oncle use de sa
ceinture n’aurait pas déplu à Hitchcock (voir Frenzy, 1972). C’est donc une bien terrifiante transmission qui est
à l’œuvre ici, une éducation couleur sang mais où la fascination est aussi à
double tranchant…
02/05/13
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