Écrit et réalisé par David Cronenberg; d'après l’œuvre de Don DeLillo
...Les mots du monde
Quand Cronenberg s'attaque à la crise financière, c'est depuis
l'intérieur d'une limousine high-tech et les propos d'un de ces jeunes
maîtres du monde, froid et régi par les chiffres. A travers cette tour
d'ivoire en mouvement, c'est au bouleversement d'un monde et d'un homme
que nous allons assister, bien assis, comme son protagoniste, dans notre
fauteuil. A l'instar du titre, le casting fait acte de cosmopolitisme
en organisant une improbable rencontre entre l'acteur star de la saga
Twilight, Robert Pattinson (enfin extirpé des griffes de la franchise)
et notre Juliette Binoche nationale. Mais ils seront nombreux à croiser
sa route lors de ce trajet initiatique où le monde défile tandis qu'un
homme s'effile...
Nous suivons donc le parcours dans les rues d'un New-York au
bord de l'implosion, d'un de ces maitres du monde financier qui ne
maitrisent rien au final. Et encore moins leur chute. Car c'est à cela
qu'Eric Packer (Robert Pattinson) est confronté, puisqu'il n'a
pas anticipé la montée du yuan, le voilà ruiné et avec lui tout un
monde. Insensible au bouleversement qui s'augure, il reçoit dans sa
limousine (une limo blanche, identique à toutes les autres, uniformité
des hautes sphères) divers protagonistes (informaticien, jeune geek,
théoricienne financière...) avec qui il exprime son cynisme, son
obsession du contrôle, sa suffisance mais aussi ses premières
interrogation sur lui-même. Le basculement est à l’œuvre.
Cela avait commencé par une première prise de parole d'Eric
lui-même avec un souhait inattendu et insolite qui inaugure le
déroulement du film, à savoir de longues conversations qui vont émailler
le trajet fait en limousine. Il veut en effet aller chez le coiffeur.
Première touche dissonante d'un portrait qui va progressivement
s'émanciper de sa propre image, ou tout du moins tenter d'y parvenir. Et
le lieu récurent de cette métamorphose sera donc ce bureau mouvant,
cette lino dans laquelle il siège, sur un grand fauteuil aux accoudoirs
connectés aux informations financières. On retrouve là l'idée d'ExistenZ (1999)
du même Cronenberg, où déjà, l'attachement au virtuel était viscéral et
même organique. C'est de nouveau le cas ici, puisqu'Eric agit et réagit
comme ces machines qui alimentent les marchés financiers. Froideur du
chiffre, statistiques, automatisme.
Ainsi, quand tout s'écroule (la faillite), le monde gronde mais
lui reste impassible, l'émotion ne surgit pas. Il est blindé de
l'intérieur comme l'est sa carrosserie, il est sourd au monde des rues
comme l'est sa limousine, insonorisée. La dualité des deux mondes est
sans cesse présente par cette opposition entre intérieur / extérieur,
standing du dedans / fracas du dehors où la révolte se fait entendre. Et
où s'observe la récurrence de la symbolique du rat (citation liminaire,
les rats exhibés par des quidams, la mascotte des émeutiers), image
forte, à la fois péjorative pour celui qui a de l'argent et repoussante
car renvoyant à la saleté, à la déchéance. Pourtant Éric s'en amuse,
jouant avec ce mot, se l'accaparant pour sa propre convenance (nouvelle
unité monétaire), n'accordant aucune importance à ceux qui l'ont érigé
en symbole, ces gens, là, dehors et à ce qu'ils expriment.
Mais cette perspective de la perte, cette chute annoncée et pas
encore ressentie, cette confrontation avec la mort (on ne cesse de
l'avertir d'une menace sérieuse) va vraiment éclater avec son entartrage
par un contestataire. Cela a un côté trivial et bouffon, qui tranche
avec le sérieux des conversations mais qui exprime cette revanche du
sans grade qui avec presque rien souille le grand du monde.
L'humiliation est là car c'est la première fois que l'on voit Éric
exprimer quelque chose, en l'occurrence de la colère.
Acte fondateur
puisqu'il est un marquage, au sens propre comme au figuré : il gardera
les traces de la souillure sur son visage et ses cheveux jusqu'à la fin.
Le monde vient de le heurter en pleine face et la machine qu'il était,
définitivement hors service. La frontière n'est plus, désormais il est
pleinement dehors, seule la crasse et la misère lui seront opposées. Lui
qui était toujours dans le futur, se confronte au présent des émotions à
travers son double inversé, son image en devenir : celle d'un de ses
ex-employés, homme du haut qui a déjà chuté. Il lui faudra alors
affronter les mots de la réalité mais peut-il aller jusqu'à en éprouver
les maux...?
En alliant le récit et la conversation, le chaos et la
recherche de soi, le pouvoir et la décadence, l'abstrait et le concret
des émotions, Cronenberg revisite ses thématiques à travers les affres
de la crise financière. Il réalise un film étonnant et détonnant, loin
des décors financiers habituels, sur non seulement une chute mais
surtout sur une quête du ressenti se substituant au pressenti.
Romain Faisant, écrit le 25/05/12 et également publié dans la rubrique Express Yourself sur le site de l'express.fr.
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