Réalisé par Alexandre Sokourov; écrit par Alexandre Sokourov et Marina Korenava, d'après l’œuvre de Goethe.
...Une ténébreuse aventure
Le mythe de Faust a fasciné les arts et donc les cinéastes dès les
premiers temps du cinéma, Méliès en faisait ainsi déjà une adaptation en 1897
avant que Murnau nous livre une œuvre de référence en 1926. Beaucoup d’autres
suivront, de façon fidèle ou en réinterprétant ce conte populaire allemand du
XVIème siècle érigé au panthéon de la littérature par Goethe. Lion d’or à la
Mostra de Venise, le dernier film d’Alexandre Sokourov se saisit à son tour du
monument pour nous immerger dans une splendide odyssée démoniaque et onirique.
Sombrement puissant.
Le signifiant mouvement
inaugural nous installe d’emblée dans la thématique de la chute, celle de Faust
qui, voulant s’élever, ne fera que s’abaisser à l’instar du plan liminaire qui
nous fait passer du ciel étoilé à la vue du village dans les montagnes, lieu de
l’action montré en plongée. La lune apparaît, troublée par les nuages,
annonciatrice des bouleversements à venir tandis que résonne le tonnerre.
Aperçu apocalyptique qui par un fondu enchaîné lie le village au cadavre pourri
qu’examine Faust, métaphore de la Mort qui plane dans une atmosphère putride.
Le deuil de l’élévation vers
un salut céleste doit ainsi déjà être fait, à la belle voute étoilé a succédé
la crasse et la salissure, le repoussant et l’immonde. Les recherches
plastiques de Sokourov trouvent ici de nouveau une ampleur magnifique, les
décors minutieux et réalistes habitent l’écran sous une photographie sublime
qui oscille entre teintes jaunâtres et verdâtres. La texture de l’image
(tournage en 35mm) et ses contours vaporeux tendent vers la rêverie comme vers
le cauchemar. Sublimant le laid comme Baudelaire en son temps, la mise en scène
de Sokourov nous conduit à l’émerveillement mais aussi au bord d’une certaine asphyxie.
Il fait d’ailleurs le choix de revenir au format 1.37 : 1, le format
proche du carré, pour mieux enfermé ses personnages, pour mieux restreindre
leur liberté et augmenter cet étouffement à l’intérieur d’espaces sordides.
Déjà perdu, Faust (Johannes Zeiler)
sera d’ailleurs souvent associé au motif de la cage qui reviendra à plusieurs
reprises (on y voit enfermés des chats et surtout des oiseaux). L’emprise du
Mal est aussi celle du cadre.
Un principe formel qui va
devenir récurent traduit également ce basculement, cette perte progressive
d’humanité et cette avancée inexorable vers la mort. Il s’agit de la distorsion
de l’image qui s’augure juste avant la rencontre avec l’usurier (Anton Adasinsky) comme pour mieux
annoncer le glissement. En effet, il y a littéralement passage puisque Faust franchit
une arcade où il se fait agresser et chasse les mécréants comme il se chasse de
sa propre vie. Il y a eu franchissement et l’étape suivante est l’entrée dans
le bouge de l’usurier. Voyage sans retour. Cette séquence en huis clos,
oppressante par son contenu et sa mise en scène (plans serrés) sera
intégralement filmée en distorsion : le basculement est effectif,
l’horizontalité de la réalité a succombé à l’attrait du Malin.
Le voyage de Faust, quête d’amour
et de sublime se poursuivra dans le même esprit, le personnage de l’usurier,
personnage à la fois grotesque et difforme tout autant que diabolique (il
suspend les objets en gages comme autant de cadavres en devenir), rythmera la
marche vers l’inéluctable en entrainant celui qui a signé sa perte de son sang.
Il va soumettre à la tentation l’errant pour mieux le contraindre à lui céder. La
belle scène de la rencontre avec la jeune femme, Margarete, au lavoir, est vite souillée par la
monstration du corps dégénéré de l’usurier, l’immonde s’immisce comme une
prémisse. Plusieurs étapes se succèdent ainsi, entre tableaux merveilleux (la
séquence lyrique dans le bois et son tapis de verdure miroitant) et peintures
désenchantées (l’errance finale en territoire mortuaire). Un choix a été fait,
une destinée a été scellée et le pacte avec le Maudit n’a rien perdu de son
impact.
La puissance visuel du film ne
fait qu’un avec son propos et c’est à une singulière sensation filmique que
nous convie Sokourov, celle de nous faire basculer, nous aussi vers le sublime
et le sordide, vers ce voyage intérieur que ressent l’extérieur. Le cinéma de
Tarkovski et Bergman est tapi dans l’écho spéculaire. Et il faudra bien
l’imposante musique finale pour nous extirper de cet étrange cheminement où les
âmes perdues ne sont plus que des pas perdus.
Romain Faisant, écrit le 20 Juin 2012.
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