jeudi 28 juin 2012

► LA PART DES ANGES (2012)

Réalisé par Ken Loach; écrit par Paul Laverty


...Ceux qui trinquent

Après un film dur et politique avec la guerre d’Irak en toile de fond (Route Irish), présenté à cannes en 2010, Ken Loach nous revient avec plus de légèreté avec un film amusant et humain, une bouffée d’optimisme dans un environnement inhospitalier et qui a obtenu le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes. La part des Anges est une rocambolesque aventure de quatre pieds nickelés qui ont décidé, pour fuir la médiocrité, de dérober une chose pas banale : un fût d’un grand cru de Whisky !

Les actes d’inculpations tombent et s’enchaînent dans la première scène au tribunal, autant de couperets symptomatiques d’une certaine misère sociale, un terreau fertile pour Ken Loach qu’il avait cependant délaissé ces dernières années. Il faut remonter à Sweet sixteen pour retrouver cette plongée dans l’univers violent et glauque des ados difficiles. Cependant, on comprend vite que le ton sera cette fois-ci bien plus léger : les actes commis par Albert, Rhino et Mo, jeune voleuse compulsive, prêtent à sourire. Le pré-générique nous avait déjà montré Albert titubant sur le quai d’une gare déserte en proie à la voix d’un haut-parleur qui se prenait pour Dieu, rien que ça ! Le gag est de mise et cela fait du bien !

Ken Loach n’oublie néanmoins pas ses fondamentaux et ne saurait nous livrer une simple comédie. Son film est donc articulé autour de problèmes sociaux qui sont ceux que rencontrent ces jeunes et en particulier Robbie (Paul Brannigan, révélation du film, écorché vif à l’écran comme dans sa propre vie). Ainsi, si la scène avec Albert déclenche la bonne humeur, elle met toutefois en exergue deux particularités fortes qui seront celle du film. Dangereux équilibriste, il manque d’un rien de se faire écraser par un train, à l’image de ces futurs comparses, toujours sur le fil du rasoir, hésitant sans cesse entre le bon et le mauvais côté. De même, la bouteille d’alcool qu’il tient à la main et qui le fait divaguer est précisément la métonymie de leur aventure à venir puisqu’il va s’agir de dérober un fût de whisky. Ironie amusante : ce contenu, symbole de décrépitude et d’enlisement pour cette jeunesse égarée, est appelé à devenir l’espoir de leur émancipation.

Le film prend ainsi un premier départ qui va se focaliser sur Robbie, qui devient père alors même que son passé peu glorieux le rattrape et que son présent se présente sous des auspices bien peu favorables. Comme souvent chez Ken Loach, on assiste impuissant à cette fatalité qui coupe l’élan de celui-là même qui tente de s’en sortir. Robbie échappe ainsi à la prison pour mieux être puni par ceux qui lui en veulent. De même, en conflit avec sa belle-famille, et alors qu’il s’apprête à voir son enfant qui vient de naître, c’est un déchainement de violence qui l’attend lors d’une scène pathétique où il se fait tabasser dans les escaliers, mis d’office à la marge, poussé hors du couloir de la normalité. Le bonheur n’est pas toujours gai. Souvenons-nous de Ladybird (du même Ken Loach en 1994).

Le second départ du film sera celui de la petite troupe mené par Robbie qui, initié par son mentor à la dégustation du Whisky a décidé, comprenant que ses agresseurs ne renonceront pas et que dans ces conditions, il ne peut vivre sa vie de famille, de dérober le fût d’un grand cru de Whisky, à la valeur démesuré. A l’instar des Pieds Nickelés et de leur goût pour le déguisement, les voilà attifés en Ecossais pur souche en kilt ! Eux, les jeunes en réinsertion, côtoient ce monde des amateurs d’alcool, si loin du monde des amateurs de beuveries qu’ils avaient plutôt l’habitude de fréquenter. Bien loin de la violence urbaine, nos compères traversent les paysages d’Ecosse et marquent ainsi la rupture avec leur environnement.

L’entraide et l’amitié sont au cœur de l’escapade et ces voleurs d’un nouveau genre s’en donneront à cœur joie même si l’enjeu est des plus importants pour Robbie : lui permettre de fuir avec sa copine et son nouveau-né. On est presque dans la fable, comme cette allégorie de l’homme à l’âne raconté au début, et on s’y sent bien ! Les effluves qui prennent le dessus sont celles du rire et pour une fois que l’alcool mène à la rédemption, c’est avec bonheur qu’on s’enivre du délaissement du médiocre à la lumière de l’ocre. 


Romain Faisant, 27/06/12

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