Réalisé par Ken Loach; écrit par Paul Laverty
...Ceux qui trinquent
Après un film dur
et politique avec la guerre d’Irak en toile de fond (Route Irish), présenté à
cannes en 2010, Ken Loach nous revient avec plus de légèreté avec un film
amusant et humain, une bouffée d’optimisme dans un environnement inhospitalier et
qui a obtenu le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes. La part des Anges
est une rocambolesque aventure de quatre pieds nickelés qui ont décidé, pour
fuir la médiocrité, de dérober une chose pas banale : un fût d’un grand
cru de Whisky !
Les actes d’inculpations
tombent et s’enchaînent dans la première scène au tribunal, autant de couperets
symptomatiques d’une certaine misère sociale, un terreau fertile pour Ken Loach
qu’il avait cependant délaissé ces dernières années. Il faut remonter à Sweet sixteen pour retrouver cette
plongée dans l’univers violent et glauque des ados difficiles. Cependant, on
comprend vite que le ton sera cette fois-ci bien plus léger : les actes
commis par Albert, Rhino et Mo, jeune voleuse compulsive, prêtent à sourire. Le
pré-générique nous avait déjà montré Albert titubant sur le quai d’une gare
déserte en proie à la voix d’un haut-parleur qui se prenait pour Dieu, rien que
ça ! Le gag est de mise et cela fait du bien !
Ken Loach n’oublie néanmoins
pas ses fondamentaux et ne saurait nous livrer une simple comédie. Son film est
donc articulé autour de problèmes sociaux qui sont ceux que rencontrent ces
jeunes et en particulier Robbie (Paul
Brannigan, révélation du film, écorché vif à l’écran comme dans sa propre vie).
Ainsi, si la scène avec Albert déclenche la bonne humeur, elle met toutefois en
exergue deux particularités fortes qui seront celle du film. Dangereux
équilibriste, il manque d’un rien de se faire écraser par un train, à l’image
de ces futurs comparses, toujours sur le fil du rasoir, hésitant sans cesse
entre le bon et le mauvais côté. De même, la bouteille d’alcool qu’il tient à
la main et qui le fait divaguer est précisément la métonymie de leur aventure à
venir puisqu’il va s’agir de dérober un fût de whisky. Ironie amusante :
ce contenu, symbole de décrépitude et d’enlisement pour cette jeunesse égarée,
est appelé à devenir l’espoir de leur émancipation.
Le film prend ainsi un premier
départ qui va se focaliser sur Robbie, qui devient père alors même que son
passé peu glorieux le rattrape et que son présent se présente sous des auspices
bien peu favorables. Comme souvent chez Ken Loach, on assiste impuissant à
cette fatalité qui coupe l’élan de celui-là même qui tente de s’en sortir.
Robbie échappe ainsi à la prison pour mieux être puni par ceux qui lui en
veulent. De même, en conflit avec sa belle-famille, et alors qu’il s’apprête à voir
son enfant qui vient de naître, c’est un déchainement de violence qui l’attend
lors d’une scène pathétique où il se fait tabasser dans les escaliers, mis
d’office à la marge, poussé hors du couloir de la normalité. Le bonheur n’est
pas toujours gai. Souvenons-nous de Ladybird
(du même Ken Loach en 1994).
Le second départ du film sera
celui de la petite troupe mené par Robbie qui, initié par son mentor à la
dégustation du Whisky a décidé, comprenant que ses agresseurs ne renonceront
pas et que dans ces conditions, il ne peut vivre sa vie de famille, de dérober
le fût d’un grand cru de Whisky, à la valeur démesuré. A l’instar des Pieds
Nickelés et de leur goût pour le déguisement, les voilà attifés en Ecossais pur
souche en kilt ! Eux, les jeunes en réinsertion, côtoient ce monde des
amateurs d’alcool, si loin du monde des amateurs de beuveries qu’ils avaient
plutôt l’habitude de fréquenter. Bien loin de la violence urbaine, nos compères
traversent les paysages d’Ecosse et marquent ainsi la rupture avec leur
environnement.
L’entraide et l’amitié sont au
cœur de l’escapade et ces voleurs d’un nouveau genre s’en donneront à cœur joie
même si l’enjeu est des plus importants pour Robbie : lui permettre de
fuir avec sa copine et son nouveau-né. On est presque dans la fable, comme
cette allégorie de l’homme à l’âne raconté au début, et on s’y sent bien !
Les effluves qui prennent le dessus sont celles du rire et pour une fois que
l’alcool mène à la rédemption, c’est avec bonheur qu’on s’enivre du délaissement
du médiocre à la lumière de l’ocre.
Romain Faisant, 27/06/12
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire