Réalisé par Jacques Audiard; écrit par Jacques Audiard et Thomas Bidegain d'après l’œuvre de Craig Davidson.
...Les coups du sort
Le nouveau film de Jacques Audiard (en compétition à Cannes), toujours un événement, confronte avec force
et fracas un homme et une femme qui, chacun, ont un combat à mener. Au
sens figuré pour elle qui se retrouve en fauteuil roulant, au sens
propre pour lui qui se lance dans des combats à mains nues. Dur et marquant, le film de Jacques Audiard, adaptation du roman de Craig Davidson, nous heurte sans complaisance et avec puissance.
De rouille et d'os, c'est l'histoire d'une rencontre, celle de Stéphanie (Marion Cotillard, épatante), belle jeune femme qui aime plaire et d'Ali (Mathias Schoenaerts,
qui en impose) homme rustre et brutal mais père aimant, même s'il ne
sait pas toujours y faire. Il débarque chez sa sœur à Antibes avec son
fils de cinq ans, Sam. Vivotant, il finit par devenir videur dans une
boîte, c'est là qu'il rencontre Stéphanie, lors d'une bagarre. Premier
face à face qui inaugure ceux à venir: violence et entraide sont déjà
les deux maîtres mots. Attentionné malgré ses airs de brute, Ali
raccompagne celle à qui il est désormais lié, un plan sur ses jambes
découvertes tachées de sang annonce la meurtrissure.
En effet, alors que chacun a repris sa vie, on suit le
quotidien de Stéphanie, dresseuse d'orques dans un parc d'attraction et
le drame qui la frappe. Un accident lors du spectacle, un choc violent
avec un des mammifères la condamne à l'amputation des deux jambes. Comme
les photos d'elle que l'on a vues dans des cadres, sa vie n'est plus
dorénavant qu'un souvenir. A la musique tonitruante et aux chorégraphies
du spectacle succède la froideur d'une chambre d'hôpital, ses tuyaux et
ses fils, le gris de l'acier du lit. Éprouvante scène que celle de la
découverte de la mutilation, Stéphanie est réduite à l'état d'animal
rampant.
Métaphore animale qui n'est pas anodine puisque à l'opposé
s'exprime le corps puissant et fonctionnel d'Ali qui devient une bête de
combat, enragée. Ce corps brut et musculeux, c'était déjà celui de Bullhead (Michael R. Roskam, 2011). Arrivé sans but chez sa sœur, il semble trouver là un
accomplissement, ce qui n'est pas sans déplaire à Stéphanie qui a
repris contact avec cette rencontre du passé, avec cette vie d'avant. Ne
faisant preuve d'aucune commisération, Ali ne semble pas prendre en
compte le handicap de son amie, il la considère comme les autres.
Inenvisageable au départ pour elle, sous l'impulsion de ce dernier, la
voilà qui met le nez dehors et qui, emmenée sur son dos, va se baigner.
Là où elle voit des obstacles, il ne voit que la normalité d'une
relation amicale.
Dans l'eau Stéphanie retrouve sa liberté, dans les combats à
mains nus Ali se défoule. Un équilibre semble s'instaurer et même sur le
plan intime, où lors d'une amusante scène, Ali propose à Stéphanie de
raviver ses ardeurs, en bon copain. Elle redevient femme, dans sa chair
et dans son âme, comme dans cette scène intimiste où le retrait des bas
de protection qu'elle porte devient un geste sensuel. C'est le début
d'une réappropriation de jambes devenues étrangères. Sans oser se
l'avouer, chacun galvanise ainsi l'autre, comme la scène du combat
difficile où la seule vue de Stéphanie, de façon métonymique avec ses
prothèses, redonne à Ali le courage de vaincre.
Mais le caractère assez bestial et indépendant de ce dernier ne
va pas sans poser de problème, quant à Stéphanie, le regard des autres
peut s'avérer blessant et quelle place donner à Sam dans ce nouveau cap
qui s'instaure et où les choses demeurent bien instables. Fidèle à son
cinéma, Jacques Audiard réussit à imposer un nouveau choc filmique à
travers des destins poignants, entre ombre et lumière. Combatifs, ces
personnages gardent une trace dans leur chair, l'empreinte des blessures
de la vie tout autant que l'ascendant pris sur elle.
Romain Faisant, écrit le 18/05/12 et également mis en une dans la rubrique Express Yourself sur le site de l'express.fr.
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