Réalisé par Jimmy T. Murakami; écrit par Raymond Briggs d'après sa bande dessinée.
...L'agonie à l'unisson
Jamais sorti en
France bien qu’il ait reçu le Grand prix du long-métrage au Festival
international du film d'animation d'Annecy en 1987, le film d’animation de
Jimmy T. Murakami, adapté de la bande dessiné de Raymond Briggs, peut enfin
déployer sa belle mais tragique histoire. Réalisé en 1986, le film situe son
intrigue en pleine guerre froide et même si cela n’est pas explicite, on peut
en déduire que la période concernée est celle de la course aux armements à la
fin des années 70. En effet, la terreur règne et un couple de charmants
retraités vont vivre une attaque nucléaire, sans prendre la mesure de ce qui
vient de se passer…
Formellement très différent
des films d’animations d’aujourd’hui, au-delà de la technique d’animation, le
film de Murakami se distingue par le mélange qu’il fait d’images réelles et de celles
en dessin. Tout commence ainsi par des images d’archives d’actualités en noir
et blanc montrant une évacuation de civils. Le ciel, qui a une place importante,
apparaît également sous sa forme réel avec parfois une image retravaillée.
De même, l’intérieur de la maison nous est présenté en mêlant des prises de
vues de miniatures construites comme pour un film traditionnel aux dessins des
personnages et des décors. La frontière semble ainsi sans cesse osciller entre
deux univers, la fiction animée et le réel filmé, étrange sensation comme une
piqûre de rappel, comme pour nous maintenir en alerte et ne pas se laisser
complétement adoucir par la forme du dessin animé. La guerre est là, la menace
est concrète et le contraste des formes filmique scande que la fable à tout du
réel. Des images symboliques de la menace rythment d’ailleurs le récit. Dans
des tons monochromes surgissent successivement un sous-marin, un missile et un bombardier
qui ne rendent que plus pathétique le douillet quotidien du couple.
Ce qui saisit de surcroit,
c’est donc la douce naïveté qui anime Jim et Hilda, personnages tendres et
attachants qui attendent la menace sans peur, sans énervement, patiemment. La
situation est assez surréaliste : Jim construit un abri antiatomique de
fortune (avec 3 planches posées contre un mur pour former une petite cabane)
tandis qu’Hilda vaque avec bonhommie à ses tâches ménagères, trouvant que son
mari en fait trop. On ne sait pas dans un premier temps qui est le plus
déconnecté, celui qui s’attend au pire ou celle qui préfère rêver. Pendant que
Jim s’active, Hilda s’évade le temps de souffler sur un pissenlit et de
déclencher une séquence onirique où règnent la paix et l’amour. Scène
brutalement interrompue par le son du marteau de Jim qui cloue ses planches. Le
principe de réalité s’impose, deux approches s’opposent tout en concordant. En
effet, tous les deux font acte d’ostalgie
avant l’heure, appliquée à la seconde guerre mondiale : le bon temps ! s’exclament-ils. Et
de regretter cette période où, enfant, il fallait se cacher. Ils ne sont pas
nostalgiques de l’horreur, bien sûr, mais du mode de vie de l’époque.
L’inéluctable surgit
brutalement : à peine la radio annonce-t-elle l’attaque que
l’explosion surgit, l’abri va servir finalement, quant à son utilité…Un oiseau
désorienté avait annoncé le pire, quand tous s’envolent c’est qu’il est déjà
trop tard. Le huis clos devient anxiogène, les couleurs ont cédé la place au
terne, au noir, au ravage. Du paysage bucolique qu’offrait la fenêtre du salon,
il ne reste plus que la vue d’arbres calcinés. La bande son a également
changé : le souffle du vent devient la marque sonore du désolé, on entend
même le hurlement d’un loup tandis que des cloches sonnent le glas. Rien n’est
plus sauf la logorrhée du couple qui continuent à discourir sur les
choses du quotidien, ignorant superbement le chaos, constatant que le laitier
n’est pas passé mais que c’est normal vu les circonstances…
Dire, c’est vivre. Et ne pas
prendre en compte l’horreur les maintient en vie malgré la décrépitude physique
qui s’accentue (la verticalité des corps laisse sa place, dans la douleur, à
l’horizontalité forcée), notre tendresse envers cette lente agonie n’en n’est
que plus forte. Ils peuvent bien disparaître dans des sacs dans une mimèsis des
Amants de Magritte, leurs voix
continuent de parler, de nous parler.
L’élégie finale, belle et bouleversante nous ramène aux nuages, laissant
espérer que tout ceci ne sera qu’un mirage de passage et que l’Humain tiendra
compte des ravages du passé pour que n’existe pas ce funeste présage…
Romain Faisant, 27/06/12
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