Réalisé par Xavier Beauvois ; écrit par Xavier Beauvois et Etienne Comar.
...Le chant du cygne
Les films dont on connaît l’issue tragique ont cette étrange atmosphère de sursis, chaque geste, chaque parole prononcée prend une ampleur d’autant plus forte que l’on sait qu’il s’agit là d’ultimes instants. Le film de Xavier Beauvois est ainsi à la fois un début et une fin, à l’instar du premier plan. Beau et sobre, simple et déterminant, c’est le moment du levant, c’est l’aube du film comme c’est l’aurore pour ces moines, hommes de Dieux, hommes de passage qui passent dans la vies des autres et par ricochet filmique, dans la nôtre. C’est le début et pourtant déjà la fin : le psaume mis en exergue à valeur d’épitaphe. S’en suit le plan des moines qui quittent leur chambre pour rejoindre la chapelle, les uns derrière les autres dans l’étroit couloir, ils passent à l’écran et sortent du cadre dans la profondeur de champ. Le dernier moine éteint la lumière. Eveil crépusculaire. Tout est dit, sans paroles, avec cette sobriété qui sera celle du film.
On ne peut parler du film sans citer le documentaire Le Grand Silence (Philip Gröning, 2006) sur la vie des moines de la Grande Chartreuse et dont l’âme vagabonde entre les murs du monastère qui nous occupe. La dimension documentaire fait d’ailleurs partie du film de Xavier Beauvois, tout est très précis et documenté, la justesse des actes concourant à la justesse de l’ensemble. On y retrouve ainsi le quotidien du monastère où chacun vaque à la tâche qu’il a choisie (jardinage, fabrication de miel, médecine) dans une harmonie des êtres et des sons.
Installés en terre Algérienne, les moines sont en effet parfaitement intégrés à la vie du village dont ils sont un rouage. Une eurythmie résumée par un plan : lors d’une fête musulmane, les hommes et leurs diverses croyances partagent un même moment de bonheur, unis par un mouvement panoramique de la caméra. La sonorité est également un élément fondamental qui fait écho à cet équilibre. Soulignons tout d’abord l’importance des instants des chants religieux, ils rythment le film et les journées comme ils scandent la foi des hommes dévoués. La disharmonie n’a pas sa place dans ce sanctuaire, son irruption brutale est d’autant plus marquante. Retenons un plan, celui qui amène le malheur : à une plage de silence succède le bruit du chantier de construction où s’affairent ceux qui vont être massacrés. La rupture sonore est violente, coup d’avance de la mise en scène qui installe cette disharmonie qui sera aussi celle des êtres.
Le débat fait en effet son entrée dans la communauté : faut-il partir ou bien rester ? L’interrogation devient vite celle des vocations et ces hommes vont voir leur foi mise à l’épreuve : jusqu’où va le dévouement ? De façon récurrente, nous assisterons ainsi aux réunions des moines et au-delà de leurs tâches quotidiennes ce sont ainsi des hommes que nous apprenons à connaître, chacun dans son individualité. La caméra prend le temps d’aller de visage en visage. Mais si chacun se questionne, c’est ensemble qu’ils font face à la menace, méfiants mais loyaux dans une union sacrée qui culmine lors de deux scènes intenses où le chant et la musique font corps avec les moines.
Tout d’abord lors du survol par un hélicoptère militaire du monastère : tous se mettent à chanter dans la chapelle pour couvrir le bruit menaçant, acte de défiance de ceux qui ont décidé de rester. Souvenons-nous du Pianiste (Polanski, 2001) qui continuait de jouer malgré les bombardements. Et puis, bien sûr, la bouleversante scène du dernier repas, aussi surprenante qu’émouvante. Au son du Lac des Cygnes de Tchaïkovski , les moines s’abandonnent et laissent leurs émotions éclater en silence dans un instant de partage puissant où, comme les notes de la musique, chacun passe du sourire à l’incertitude puis aux larmes. Prescience de la fin mais à l’unisson des destins.
Le film se clôt comme il a commencé, dans la sobriété, les moines sont au bout du chemin de croix, en ligne dans le brouillard de l’Histoire, ils avancent les uns derrière les autres avec leurs ravisseurs, comme lors de leur première apparition. La caméra reste pudiquement en retrait, légèrement mouvante, comme agitée des derniers soubresauts de vie de ceux qu’elle a soutenus.
Romain Faisant, écrit en Mars 2011.
Bravo pour ton travail , cela devrait donner envie à d'autres que nous pour t'employer à faire d'autres critiques bien construites et très fines.J'ai bien aimé ton analyse sur la main dans "le soleil vert" film culte que j'adore .Agnès et Dominique
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