Écrit et réalisé par Bruno Dumont
... L’espoir au fond de l’abîme
Les deux premiers plans sont exemplaires de la chute qui sera celle des personnages, du bond vers ce qui fait mal, aussi bien physiquement que mentalement. Soit un plan d’ensemble de la cour d’une ferme, boueuse, terne, un homme en sort : gros plan sur son bras, il vient de se faire mal. Il y a blessure comme il y aura meurtrissure. On ne reviendra jamais sur ce premier heurt, sur cette première chair blessée : elle est une inauguration, une préfiguration des tragédies à venir. De même, ce passage d’un plan à un autre nous fait éprouver une distance, un franchissement qui est soumis à l’idée même de choc, de brusquerie. Et c’est bien de cette brutalité que sera fait le devenir de ce personnage, Demester (Samuel Boidin) et de ses compagnons, là-bas, quelque part où il y a une guerre, où il y a des morts...
La froideur domine l’ensemble du film, que les paysages la reflète (la campagne en hiver) ou non (le soleil brûlant de là où l’on se bat). On voit vivre un petit groupe de personnages avant le départ des jeunes hommes vers cette guerre d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Ils semblent tous embourbés dans cette campagne morne, triste mais pourtant ils semblent heureux. La parole est rare, elliptique, sans surprises. La jeune Barbe (Adélaïde Leroux) se donne à qui elle décide de se donner, souvent à Demester pour qui elle éprouve une tendresse réciproque mais pourtant elle ne le choisit pas, elle est comme ça Barbe...
Une belle séquence précède le départ : le petit groupe est une dernière fois réuni dans la campagne, il fait froid, il fait moche, un feu se consume mais ne nous réchauffe pas, on pressent et on attend, glacé. Et les corps chutent dans cet ailleurs ensoleillé où il y a la guerre, où tout est injuste, où tout se paye, où tout est trace, de sang, d’horreur, de désespoir, de lâcheté, de survie...
Dans les Flandres, Barbe attend, déprime, ne se contrôle plus, un plan marquant, en plongée, nous la montre sur la pointe des pieds, les yeux fermés tournés vers le ciel, vers un ailleurs, vers une envolée, mais même sur la pointe, ses pieds ne la poussent pas autre part. Car c’est là, sur ce sol de campagne qu’elle restera. C’est là, à même ce sol qu’ont lieu ses étreintes avec les hommes et en particulier Demester.
Il aura pourtant fallu que cette terre soit quittée pour que puisse avoir lieu, dans le dernier plan, un rapprochement, des êtres et des âmes. Les corps, troublés et marqués à vie, finissent leur chute, se posent, se reposent et alors la parole se fait espoir. Il y a encore quelque chose de possible après l’infâme, peut être un amour teinté de mélancolie....
Romain Faisant, écrit le 25/09/06
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