Écrit et réalisé par Michael Haneke
...L'insidieuse frontalité
Un couple reçoit des vidéos, c'est un plan fixe de leur maison, de jour ou de nuit...Cette entrée narrative nous renvoie évidemment au Lost Highwav de Lynch (1996). L'inquiétude et le mystère surgissent de façon brute, frontale à travers un plan récurent pour le moins anodin : celui de la maison. Mais c'est justement de sa redondance, de sa fixité affirmée que va naître la tension qui se double d'une mise en abîme. Car il y a deux plans, celui qui est donné à voir au couple qui est lui-même celui qui nous est donné à voir à nous, spectateur. Qui filme qui et quand ? Ainsi, lorsque l’on nous montre le plan de la façade de la maison : s’agit-il de celui tourné par l’inconnu et envoyé au couple ou celui filmé par le réalisateur du film que nous regardons...
Le cinéma et ses manipulations cachées... Qui manipule qui? C'est ainsi une question aux multiples destinataires intra et extra-diégétiques qui se pose. Tout comme le titre qui prend très vite son aspect polysémique : le mari (Daniel Auteuil) ment à la femme (Juliette Binoche) qui semble n'être pas si claire que cela avec son patron, l'accusé jure qu'il ne ment pas, quant au fils...Tout comme le fameux premier plan, celui de la maison, qui nous manipule déjà puisqu'il s'agit du plan de la cassette envoyée par l’inconnu.
Nous voilà dès ce début installés au cœur de la problématique : prédominance de l'image sur les personnages (ils ne sont que des voix off), installation de la durée, le spectateur est mis à la place des regardants narratifs, inscription de l'histoire dans le milieu littéraire (le mari est animateur d’une émission littéraire) par le générique qui s'écrit littéralement. Et puis surtout, installation de la frontalité, véritablement insidieuse, prise ici dans son sens médical : « dont l'apparence bénigne masque au début la gravité réelle ».
La frontalité du plan sera récurrente, fixant les personnages dans un espace duquel ils ne sont plus maîtres (voir quand le mari annonce à sa femme le suicide de celui qu'il soupçonnait : plan moyen, la femme debout, tête et pieds au raz du cadre), pris dans une sorte de dispositif visuel, presque scénique où ils ne sont plus que témoins, observés par nous et les caméras (voir la scène brutale du suicide qui rappel le bras coupé et le jaillissement de sang de Ténèbres, Argento, 1982). Ainsi puisqu'il n'y aura pas de contre champ sur le filmeur, c'est dans l’image que peuvent se chercher des réponses. Le dernier plan renvoie au premier de par sa fixité et sa frontalité, de par sa distance aussi : il nous donne à voir une chose et pourtant l'image filmique conserve son mystère, son caractère insidieux...
Romain Faisant, écrit en Octobre 2005.
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