Ecrit et réalisé par Lee Chang-Dong
...L’éclosion d’une inspiration
C’est l’histoire, en Corée du Sud, d’une dame âgée, Mija, qui cherche ses mots, au sens propre comme au figuré. Ainsi pourrait-t-on présenter ce film triste et souriant qui jamais ne tombe dans l’excès mais dépeint avec finesse et simplicité un cheminement et un accomplissement. Le film se partage le sourire et les larmes comme il va lier le beau et le tragique. La séquence inaugurale est révélatrice de cet état qui sera celui du film et le nôtre. En effet, dans un cadre idyllique, sur les rives du fleuve Han, sous le soleil, des enfants jouent dans les herbes. L’eau s’écoule paisiblement puis surgit tout aussi tranquillement un cadavre, charrié par l’onde. La caméra pointe alors cet insolite intrus qui vient rompre l’osmose précédemment installée. Le corps inerte devient ce qui focalise l'attention, plein cadre, tandis que les idéogrammes du titre s’inscrivent. De la même façon, Mija, qui a décidé de se mettre à écrire de la poésie, n’aura de cesse de chercher à mettre en mots le Beau, quintessence pour elle de ce que doit être un poème.
Or, c’est bien la tragédie qui va s’imposer dans son quotidien. Le corps est en effet celui d’une collégienne qui s’est suicidée et ce drame est lié au petit-fils de la vielle dame qui l’élève seule comme elle peut. Cet élément déclencheur va bouleverser l’existence de celle qui papillonnait avec insouciance et bonheur, élégante dame à la mémoire qui flanche. Car si elle cherche à mettre des mots poétiques sur la nature qui l’entoure, les mots du quotidien lui échappent de plus en plus. Comme s’échappe irrémédiablement un présent qu’elle ne maîtrise plus, obligée d’avancer à tâtons pour sauvegarder ceux qu’elle aime. Silencieux sacrifice. Son rapport à la disparue n’aura de cesse de l’emplir, alors qu’on lui assène une réalité financière (un dédommagement pour étouffer l’affaire), c’est la recherche d’une émotion, le parcours d’une âme qu’elle traque. Marchant littéralement dans les pas de celle qu’elle ne connaît pas et qui pourtant va l’inspirer.
Car voilà in fine le parcours du film et celui du personnage : l’inspiration, comme l’irruption du cadavre, ne prévient pas, du Laid peut naître le Beau (Baudelaire, Une charogne), de la douleur peut éclore le battement de cœur. Elle qui avait tant de mal à écrire sur les fleurs livre un poème qui donne enfin vie à la disparue, faisant du corps inerte un corps qui vit ses derniers instants. Et ce visage occulté, car plongé dans l’eau lors de la scène liminaire, soudain nous fait face. Apaisement. La dame peut alors s’effacer, laissant comme un testament sa poésie, avant que le temps n’éclipse sa mémoire. L’objet du malheur est devenu libérateur, l’eau continue de s’écouler, des enfants jouent, la boucle est bouclée. Une boucle élégiaque.
Romain Faisant, écrit en Février 2011.
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