Écrit et réalisé par François Ozon.
… Le crépuscule des instants
Romain (Melvil Poupaud) est photographe de mode, se dispute avec sa sœur, n’aime soi-disant pas les gosses, consomme occasionnellement de la drogue, il vit à 100 à l’heure. Mais Romain apprend qu’il va mourir dans quelques mois. Le film va égrener le temps qu’il lui reste. En effet, la temporalité est fondatrice de l’histoire et questionnement filmique : comment capter l’insaisissable, l’abstrait, comment retenir ce(eux) qui passe(nt), comment rester là et regarder, comment être là et filmer ?
C’est avec une mélancolie crépusculaire que François Ozon accompagne son personnage dans cet ultime passage, par son filmage fait de touches de douceur où les heures qui passent, instants douloureux, instants mélodieux, instants d’adieux, ramènent Romain vers ce qui a été. Plus il avance et plus s’impose la redondance du passé, de son passé. Ainsi l’enfant qu’il fut redevient-il présent, par le souvenir d’une part, en analepses, mais aussi de façon physique dans l’instant présent : ce qu’il a été est de nouveau devant lui.
Un glissement de sonorité et de prononciation nous fait très vite passer du temps qui reste au temps qu’il reste pour mieux souligner le choix révélateur du titre. Dès qu’il apprend son décès annoncé, Romain va enclencher une sorte de processus ontologique afin de fixer ce temps qu’il lui reste, afin que reste des moments qui sont inévitablement fugaces. Et l’instrument de cet acte est tout désigné : son appareil photo numérique. De façon réflexive le film en lui-même instaure le même processus puisqu’il inscrit sur sa pellicule un moment qui passe, qui pour le spectateur est au présent de la projection et qui en réalité a été et n’est donc plus.
Il s’agit donc bien d’une empreinte, comme les photos que prend Romain, il inscrit, imprime (mot auquel nous renvoie l’étymologie d’empreinte) par là dans le Temps ceux qui l’entourent et qui pour lui ne seront plus. Et il va lui-même se poser en tant qu’empreinte en s’auto prenant en photo en quelque sorte, mais non pas par un processus mécanique mais de façon physique en permettant l’engendrement d’un enfant, de son enfant. Il laisse ainsi derrière lui une empreinte en devenir, un ventre de femme qui porte la vie, qui porte du Temps.
Le très beau plan de clôture, crépuscule du dernier moment, fractionne, à la façon des photos scientifiques du XIXème siècle (voir Muybridge), les instants du soleil. Alors que Romain, apaisé, est ombre et fixe, défile en lenteur le Temps qui reste. « Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste, il n’y que le temps qui dure » (Diderot, Lettre sur les aveugles, 1749).
Romain Faisant, écrit le 12/12/05
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