vendredi 28 mars 2014

► HER (2014)

Écrit et réalisé par Spike Jonze


... Extatique cybernétique

Il aura fallu attendre 4 ans (après Max et les maximonstres en 2009) pour que Spike Jonze nous propose une nouvelle œuvre atypique, sensible et exploratrice. Fasciné par la conscience humaine et ses circonvolutions qu’il avait, littéralement, mis en scène dans son premier film, le fameux Dans la peau de John Malkovich (1999), le réalisateur américain revient avec un film profondément en phase avec l’évolution technologique actuelle qui tend de plus en plus vers la réalisation des fantasmes des pères de la science-fiction. A savoir la possibilité pour l’humain, au travers d’outils ultra-connectés, d’échanger facilement avec ses applications informatiques comme avec un congénère. A l’heure où certains s’efforcent de créer des robots anthropomorphes pour faciliter notre quotidien, Spike Jonze ne conserve qu’un seul aspect de ces compagnons souvent montrés, la voix. En effet, Théodore fait l’acquisition d’un système d’exploitation informatique nommée Samantha avec qui il va nouer une relation surprenante, elle est un programme virtuel sans corps et sans visage, il est un être humain avec ses sentiments. Intrigante et intéressante perspective qui va être développée de façon magnétique dans un film à fleur de cœur cybernétique. 


Le début en trompe l’œil (Théodore rédigeant vocalement une lettre) pose en un instant le dispositif et les enjeux. La solitude d’un homme confronté à son ordinateur et dont les destinataires de ses mots lyriques sont des clients de l’entreprise dans laquelle il travaille : Belles-lettres-manuscrites.com. En un mouvement de caméra, le réalisateur dévoile l’envers bureautique et rompt le charme. Pour mieux le restaurer. En effet, Théodore (performant Joaquin Phœnix) n’est pas un employé lambada aux mots convenus répondant mécaniquement à la commande d’une lettre. Il est un Cyrano du XXIème siècle, sa prose est délicate, attentionnée et reconnue comme telle (son collègue standardiste le complimente à plusieurs reprises). Car plus qu’écrire, il vit à travers ses écrits les histoires des autres, comme ce couple dont il écrit les lettres depuis leur rencontre des années auparavant. Paradoxalement, il manie l’amour du bout de ses mots alors que lui-même est en plein divorce, qu’il fait traîner : « Je signerai les papiers quand je ne serai plus amoureux d’elle ». Figure tourmentée et mélancolique, le personnage de Théodore, derrière ses lunettes aux grosses montures noires, a perdu ce qu’il pensait être sa voie.


Et la voix qui va inaugurer une renaissance est féminine mais également virtuelle. Malgré cela, l’entente est immédiate, à peine installé, le système d’exploitation, Samantha, séduit Théodore : « Tu m’as bien cerné ! » s’amuse-t-il. Si le cinéma avait déjà formé d’improbables couples du même ordre basés sur une atypique relation, comme Albert Dupontel et sa poupée en silicone (Monique, 2002) ou encore Al Pacino dépassé par l’actrice virtuelle qu’un programme informatique a créée (Simone, 2002), l’angle choisit par Spike Jonze se distingue par l'émotion qu’il arrive à faire naître entre un personnage réel et un autre dont on n’entendra que la voix (celle, suave et enjouée de Scarlett Johansson). Dispositif singulier mis à l’épreuve du monde. Ainsi, Théodore et Samantha se lancent-ils avec fougue dans cette relation devenu rapidement amoureuse. Par le truchement d’outils technologiques (téléphone et son œil cyclope, oreillette connectée, qui rappellent en filigrane le présupposé artificiel), la relation se vit et s’épanouit (la fête foraine, les vacances à la montagne). Et l’éclosion des sentiments, des deux côtés, rend encore plus fusionnels ces deux êtres qui faisaient déjà littéralement corps via la connectique. Mais les cadrages n’oublient jamais de pointer l’absence dans la présence.


Car les évidentes limites d’une telle relation vont complexifier ce nouvel ordre des choses. Ne jamais pouvoir se toucher est un fait qui est résolu par la puissance du fantasme lors d’une scène intense où le réalisateur ose l’écran noir, laissant s’ébattre des voix au diapason. Le méconnu et pourtant précurseur Denise au téléphone (1995) jouait avec maestria sur ces problématiques, les personnages ne faisant que se téléphoner sans jamais franchir le cap de la rencontre réelle. Pour Théodore et Samantha cette impossibilité est moindre que ce qui les différencie vraiment : leur nature même. L’un est humain et mortel, l’autre est virtuel et en perpétuelle évolution : « J’apprends de mes expériences » annonce Samantha. Et ce, jusqu’à l’infini dans ce monde cybernétique à propos duquel Théodore ne connaît rien finalement. Cet impossible contre-champ sur l’être aimée permet à Spike Jonze de nous émouvoir passionnément à travers la vision et  l’audition d’une histoire d’amour peu commune qui est aussi une ode au pouvoir des mots.    

Sélectionnée et publiée par Le Plus du NouvelObs.com
            

22/03/14     

dimanche 16 mars 2014

► LES CHIENS ERRANTS (2014)

Écrit et réalisé par Tsai Ming-liang


... La fresque sur le mur

Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise, le film du réalisateur taïwanais Tsai Ming-liang marque sa différence avec la production occidentale actuelle, que ce soit dans sa forme comme dans sa conduite du récit. Des fragments d’existences grises et désespérantes s’allongent dans les marges de la ville, de ruines en réduits, un père et ses deux enfants survivent, parce qu’il le faut bien. Une femme solitaire qui nourrit des chiens abandonnés va trouver en eux une possibilité de vie. Le film, pour de nombreuses raisons, demande un effort. Il faut au spectateur accepter la démarche du réalisateur qui ne propose pas un accès conventionnel à son œuvre, poussant très loin l’aspect formel (fixité et longueur des plans), au risque d’exclure alors que le parti pris est d’inclure par le truchement du dispositif filmique les regardants aux regardés. Bien loin des couleurs et des échappées musicales de La saveur de la pastèque (2005), Les chiens errants est d’une froideur viscérale qui fait de cette constatation désabusée sur ces êtres hors du monde, une expérience troublante et déstabilisante. 


L’enchaînement des premiers plans installe la maîtrise cinématographique qui est celle de Tsai Ming-liang. Dans une sorte d’Éden enfantin champêtre, forcément éphémère, les deux enfants, un garçon et une fille s’amusent avant que la brutalité du montage y fasse succéder avec fracas un plan récurrent, celui du père, planté au milieu d’un carrefour bruyant, fouetté par le vent et la pluie, humain réduit à être un porte-pancarte. Sisyphe taciturne, il laisse les enfants livrés à eux-mêmes. Ces derniers ont l’habitude d’errer dans un supermarché où une animation gustative devient un moyen de subsistance, les sanitaires une salle de bain, les rayons une promenade. Le tout dans une indifférence générale. Le réalisateur installe rapidement des plans larges dans lesquels il montre au contraire la marche du monde (le ballet des voitures et des motos) qui contraste avec l’isolement de ces pauvres hères. De la même façon, de nombreux plans sont construits avec le paysage urbain et ses matériaux minéraux en amorce, de telle sorte que les personnages, décentrés, se retrouvent confinés dans les bords du cadre comme de  leur vie étriquée. Et quand un gros plan envahit l’écran, il impose la douleur et le désespoir, tel ce plan-séquence où le père entame un chant patriotique, debout avec sa pancarte, luttant contre les éléments, sa voix comme un cri de rage que personne n’entend. 


Cette déréliction vagabonde offre heureusement quelques bribes de ce qu’on ose à peine qualifier de bonheur, comme lorsque les deux petits s’amusent à transformer un chou en personnage anthropomorphe. Ils semblent accoutumés à cette vie miséreuse qui a ses rituels (lavement des pieds avec l’eau du siphon) sans intimité aucune (on se déshabille et on dort tous dans la petite pièce qui leur sert de maison). A l’instar du documentaire Au bord du monde (Claus Drexel, 2013), le film nous emmène de ce côté-là, derrière cette palissade que franchit la petite famille, dans ces endroits à l’abri des regards où une autre vie tente d’exister, dans le noir, dans les ruines de béton. Contraste saisissant du père qui au hasard d’errements où il porte sa pancarte comme on porte son fardeau, trouve refuge dans un appartement neuf. La finitude tranchant avec l’incomplétude de leur abri, de leur vie. De même, la femme qui les recueille s’est enfermée dans la décrépitude d’une maison noircie où des murs suintent des larmes désenchantées.  Film hiératique avec un étirement des plans comme on peut le trouver dans le cinéma de Carlos Reygadas, Les chiens errants privilégie l’image à la parole et pousse jusque dans ses retranchements l’expérience spectatorielle du regard sur l’autre.


Deux séquences miroirs, qui ne sont pas sans raison les plus longues du film, mettent le regardant particulièrement à l’épreuve. Dans les ruines bétonnées que fréquentent la femme aux chiens comme la petite famille, se trouve sur un mur, au milieu des gravats, une fresque. Une étendue de cailloux au premier plan puis des collines et le ciel. Même pas de couleur. Horizon à la fois bouché (le mur) et pourtant porteur d’ouverture (l’ailleurs du paysage). Elle contemple avec une fixation obsessionnelle cette représentation inanimée telle Madeleine dans Vertigo (1958) venait se fondre dans le portrait de Carlotta Valdes, jeu des regards et du hagard. Le contre-champ aura lieu à la toute fin du film où l’on se focalisera sur les visages de la femme et de l’homme. Les larmes féminines renvoyant à celles, masculines, versées lors du chant au carrefour. Une renonciation plus qu’une annonciation. Achevant son parcours formel, le réalisateur laisse le spectateur, dans le silence de sa pensée, seul face à sa dernière confrontation, seul face à la promesse de sa fresque.


16/03/14

mercredi 12 mars 2014

► DIPLOMATIE (2014)

Réalisé par Volker Schlöndorff ; écrit par Volker Schlöndorff et Cyril Gely, d'après sa pièce.


... Où se jouent les joutes
 

Diplomatie est de ces films dont l’Histoire nous a appris l’issue. Adaptation de la pièce éponyme de Cyril Gély avec le même duo d’acteurs, le film du réalisateur allemand francophile Volker Schlöndorff nous plonge dans ces ambiances singulières des fins de règnes, quand tout va s’effondrer, quand les protagonistes le savent et que pourtant des drames se jouent encore. Une fin de nuit, un début de journée, celle du 24 au 25 août 1944, un lieu : le bureau du général Dietrich von Choltitz à l’hôtel Meurice, un échange décisif entre deux hommes, le consul de Suède, Raoul Nordling et le général chargé par Hitler de laisser Paris en ruine.  Saisissante veillée imaginaire entre des personnages historiques ayant pris une part fondamentale dans le sauvetage de Paris. Ne se laissant pas prendre au piège du théâtre filmé, le film parvient à suspendre le spectateur aux mots des deux jouteurs en maintenant un rythme fatidique. La confrontation verbale se devait de reposer sur des acteurs charismatiques, André Dussollier et Niels Arestrup s’opposent avec une intense véhémence.


Unité de temps, de lieu et d’action, les éléments caractéristiques de la tragédie encadrent un film qui s’ouvre sur des images de ruines, la désolation est celle de Varsovie qui par anticipation annonce ce qu’aurait pu devenir Paris. Cet exposé des ravages de la guerre est précisément au cœur du propos puisque le film, comme la pièce, commence quelques heures avant que le général (Niels Arestrup, récemment césarisé pour son second rôle dans Quai d’Orsay) ne donne son ordre historique. L’arrivée du consul (André Dussollier) à la faveur d’un passage secret dans le bureau même du général donne le ton d’une conversion appartenant aux coulisses de l’Histoire. Même imaginaire, cette discussion est comme cette porte dérobée, dissimulée, dans l’ombre, et renvoie aux tractations réelles du général qui négocia en secret sa reddition. Passant d’une ambiance feutrée, le consul surgissant à pas de loup tel un chasseur observant sa proie, à une débâcle imminente, la tension est constamment maintenue, la réalisation tenant le spectateur en alerte de façon suggestive (sons de tirs à l’extérieur, fumées, lumières tremblotantes…). De même, le huis clos alterne avec des images d’archives en noir et blanc dans un jeu d’écho à l’Histoire qui contrebalance les phases oratoires par ce qui est en marche, là, dehors.


Le temps est compté et chacun va abattre ses cartes, mais progressivement, au fil du dialogue et des arguments. Le consul comme le général sont avant tout dans la posture que leur confère leur statut : l’un vient délivrer un courrier officiel, l’autre affirme le caractère irrémédiable de son choix, les lignes sont figées. Le colonel hausse le ton « Éloignez-vous du balcon ! » tandis que le consul use d’une classique diplomatie « Détruire Paris ne servira à rien ». C’est quand l’inflexibilité commence à tanguer qu’une redoutable partie d’échecs vocale se met en place, comme les pions du colonel sur la carte de Paris. Les deux acteurs, fort de leur expérience théâtrale commune (en 2011 au théâtre de la Madeleine) dans la pièce ici adaptée, se livrent à un duel des plus savoureux, remarquablement interprété, où, tour à tour, l’un domine l’autre alors que dans la profondeur de champ, Paris attend son sort. Volker Schlöndorff, marqué par l’histoire de son pays, a souvent mis en scène la Seconde Guerre mondiale, du Tambour (Palme d’Or en 1979) au Neuvième jour (2004), en passant par Le Roi des aulnes (1996), Diplomatie lui permet de resserrer encore plus la focalisation sur ce qu’il veut décortiquer : l’homme, au premier plan, face à ses actes, ses pensées et ses choix dans le temps dramatique du conflit. 


Bien que relativement connu, le renoncement du général  Dietrich von Choltitz n’avait jamais été traité comme point central d’un film. S’il y a bien sûr la fresque historique de René Clément, Paris brûle-t-il ? (1966) avec Orson Welles dans le rôle du consul et  Gert Fröbe dans celui du général, le film est une mosaïque montrant les actions des uns et des autres pour la libération de Paris. Diplomatie tire sa force et sa différence dans le duel unique de deux hommes (même si le réalisateur choisit, en filigrane, d’amorcer d’autres histoires et actes de bravoure pour signifier que tant d’autres ont œuvrés dans un but commun) sur lequel se greffent des émotions contradictoires. Ainsi, le général est à la fois le destinataire de la haine comme de l’espoir, il fait abattre des résistants et se montre sans remords mais il est aussi le seul qui peut préserver Paris de la folie d’un dictateur. Le mécanisme verbal et mental vers la renonciation se montrera dans toute sa subtilité, amenant ces hommes politique à faire surgir l’intime pour que s’intime l’ordre ultime. 


08/03/14

vendredi 7 mars 2014

► ONLY LOVERS LEFT ALIVE (2014)

Écrit et réalisé par Jim Jarmusch.


... La nuit et ce qui s'en suit

Projeté en compétition au dernier Festival de Cannes, le film de Jim Jarmusch est un voyage singulier dans une atmosphère nocturne particulièrement envoutante où des êtres qui ne sont pas humains  vivent l’expérience du temps, de la mélancolie, de la mort autour d’une romance qui a traversé les siècles. Le cinéaste poursuit l’évocation sensorielle et auditive des thèmes qui jalonnent une œuvre peu commune en s’insinuant dans un genre bien spécifique, celui du fantastique. L’orientation est périlleuse tant la passion, littéralement vampirique, car c’est de cela dont il s’agit, a déjà été traitée sous bien des formes dans bien des époques et dans bien des arts. Jarmush réussit pourtant à nous emmener dans des nuits nostalgiques et magnifiques où le sombre de l’âme côtoie la lueur de l’envie. Conscient de l’aspect très codifié du genre dans lequel il fait errer sa caméra, le réalisateur cultive un certain second degré  dans ce film baroque aux amours intemporelles.


Le tournoiement des deux plans d’ouvertures, l’un sur Adam (Tom Hiddleston), l’autre sur Ève (Tilda Swinton), nous fait basculer immédiatement dans un vertige visuel qui provoque sciemment le tournis chez le spectateur, instaurant ainsi une désorientation, une déstabilisation par cette rupture avec les horizontales et les verticales. C’est une autre relation au monde qui se donne à voir autant qu’une liaison forte entre deux êtres amoureux éloignés géographiquement. En effet, Ève vit à Tanger tandis que son mari Adam vit cloîtré dans les ruines de Détroit. « Pourquoi ne vivez-vous pas ensemble puisque vous ne pouvez vivre l’un sans l’autre ? » s’étonne le vieil ami du couple, Marlowe (John Hurt). Même à distance, la quête reste cependant la même : se procurer du sang pour vivre. Car ces vampires du XXI ème    siècle ne sont, en cela, pas différents de leurs ancêtres. De même, seule la nuit est bonne à vivre, ainsi, on ne se dit pas « Bonjour » mais « Bonsoir » pour commencer son crépuscule.


Jarmusch fait de son homme vampire un rockeur « romantique et suicidaire » qui semble avoir perdu l’envie de la nuit et préfère survivre entouré de reliques dans une maison d’un autre âge. Sa passion pour les vielles guitares est justifiée par ses goûts musicaux, lui l’ancien compositeur adulé, mais elle reflète aussi cette emprise du passé qui ne le quitte plus. Le mur constellé de photos antiques des grands hommes qu’il a côtoyés imprègne l’espace comme son esprit. Les lourds rideaux le protègent certes du soleil qu’on ne verra jamais, mais ils sont aussi une protection vis-à-vis d’un monde qu’il fuit (les rockeurs amateurs qui viennent le guetter sont source d’angoisse). La femme vampire, diaphane et peroxydée, est tournée vers l’avenir : « J’ai l’impression que le sable du sablier est en bas » se désole Adam, « Il faut le retourner alors » préfère Ève. Adam est entouré d’un matériel obsolète (vielles consoles d’enregistrement de son, téléphone hors d’âge, télévision datée) tandis qu’Ève le contacte via son écran de téléphone portable. Aller le retrouver, c’est l’extirper de sa poussiéreuse langueur.


Ce couple atypique aux nuitées ancestrales est l’héritier cinématographique d’un duo marquant aux pratiques similaires, Catherine Deneuve et David Bowie, dans le remarquable et culte Les Prédateurs (The Hunger, Tony Scott, 1983). La séquence de la boîte de nuit dans le film de Jarmusch y renvoie d’ailleurs directement. Lunettes noires et lumière stroboscopiques scandent la filiation. Les lumières froides et bleutées du film de Scott font néanmoins place ici à une atmosphère plus chaude, plus vivante. La déliquescence laisse place à la romance ravivée. Quand le monde dépérit (belle séquence dans les ruines du magnifique Michigan Theater devenu un parking), pour ceux dont les sentiments perdurent, tout redevient possible. Quitte à rejouer, encore et encore, la scène primitive des instincts vampiriques (sortir les crocs), comme le vinyle inaugural jouait un son d’antan sur fond de ciel étoilé.


Car si le film possède une telle atmosphère étrange et pénétrante, c’est que les images sont intimement liées à une musique très présente, le musicien Jarmusch a soigné l’aspect sonore des déambulations nocturnes qu’il filme. Les guitares, puissantes et vibrantes, dominent l’ensemble dans toutes les variations de leurs sonorités. Cet aspect musical est fondamental et donne lieu à des moments suspendus et envoutants (la chanteuse à Tanger), il est indissociable des émotions vécues nuitamment par ces amoureux ténébreux. Jarmusch aime cette obscurité qu’il avait déjà mise en scène dans Night on Earth (1991), cet autre monde qui se fait une place quand l’autre trépasse. Sur des accords de cordes et de sang, le film libère talentueusement des créatures passionnées qui célèbrent au clair de lune la force de l’union.

Sélectionné et publié sur le Plus du NouvelObs.com


22/02/14