Écrit et réalisé par Robin Campillo
... Brins de vies et grains de poussières
Plus habitué à la Mostra de
Venise qu’au festival de Cannes (ses deux premiers films : Les revenants en 2004 et Eastern Boys en 2013 y ont été
remarqués), c’est une entrée par la grande porte qu’effectue le réalisateur
français Robin Campillo dans le palmarès Cannois. Il y a en effet obtenu le
prestigieux prix du jury, présidé cette année par Pedro Almodóvar, pour son
vibrant 120 battements par minutes
qui relate l’agitation humaine et politique qui anime la section parisienne
d’Act Up, au début des années 90. Cette association de lutte contre le SIDA,
née aux États-Unis, s’est fait connaître à travers des actions parfois
radicales, afin de dénoncer une certaine inertie des pouvoirs publics et mettre
en cause des laboratoires sur leurs méthodes de recherches. Ce n’est pas la
première fois que le cinéma français aborde frontalement la question de la
maladie mais ce n’était pas du point de vue associatif. Il y a ainsi eu bien
sûr les emblématiques Nuits fauves
(1992) et Jeanne et le garçon formidable (1997) puis plus récemment Les témoins (2006), qui faisait
intervenir un personnage de médecin, joué par Michel Blanc, face à l’émergence
de l’épidémie. Et dans le souvenir collectif au-delà de l’hexagone, on retrouve
évidemment le Philadelphia (1993) de
l’américain Jonathan Demme avec Tom Hanks. Dans Eastern boys, le réalisateur, qui, déjà, mettait en scène des
personnages homosexuels, faisait à ce propos une brève allusion au test de
dépistage. Mais force est de constater que le cinéma s’est moins intéressé à
cette thématique au fur et à mesure des progrès médicaux qui, sans apporter
encore un vaccin malgré des décennies de recherches, permettent désormais aux
malades de mieux vivre et surtout bien plus longtemps. Le film de Robin
Campillo est celui d’une époque qui n’a pourtant rien de révolu : les
autorités sanitaires s’inquiétant d’ailleurs d’une recrudescence dans un monde
où le SIDA n’est plus, en particulier pour la jeunesse, l’épouvantail qu’il
était. 120 battements par minute est
ainsi une puissante claque de rappel, narrant formidablement bien les combats
d’hier avec ses coups de gueules, ses coups d’éclats et ses coups de cœurs. De
l’euphorie militante jusqu’au drame intimiste, Robin Campillo oscille entre
grâce et sensibilité avec ferveur et conviction dans un mouvement humain
poignant qui secoue le corps, remue l’esprit et fait battre le cœur.
Si son premier film avait un tout
autre sujet (des morts revenaient à la vie), il se distinguait déjà :
loin d’en faire un film de genre, il prenait au contraire le contre-pied des
codes habituels des films de zombies pour en faire une question sociale
étonnante et insolite. Comment réintégrer ces revenants dans la société ?
Puisqu’ils n’étaient ni agressifs ni dégénérés, il fallait bien leur faire une
place…qu’ils n’avaient plus. 120
battements par minutes trouve un vrai écho avec ce film dans la
problématique même de l’association Act Up : comment exister dans la
sphère politique et médiatique, quelle place prendre dans le débat, comment
être vivant quand vous êtes porteur de mort ? Dans un amphi bouillonnant
où s’expriment toutes les sensibilités, le réalisateur n’élude pas les
contradictions du mouvement, qui se définit lui-même comme « un groupe
activiste », ni les dissensions au sein des membres. Cela donne lieu à de
vifs échanges, souvent dans la bonne humeur (voir la séquence sur les slogans),
que Robin Campillo sait capter dans toute leur exaltation, en agençant les
plans comme se distribue la parole (il est d’ailleurs son propre monteur).
L’impression d’authenticité de ces joutes tient également à des acteurs
formidables, investis et habités, par leur rôle parmi lesquels on retrouve la
désormais installée Adèle Haenel (Sophie) qui côtoie des nouveaux venus comme Antoine
Reinartz (Thibault). Tous sont dans une dynamique qui a pour but de franchir le
rideau qui sépare la scène de la coulisse : c’est la métaphore qui ouvre
habilement le film, cantonnés dans l’ombre, les militants veulent être vus et
entendus, arracher une parole, quitte à choquer, qu’ils estiment d’utilité
publique. Ils sont, littéralement, dans le contre-champ des autorités et
tendent à rentrer, de façon fracassante, dans le champ, par des actions allant
du collage d’affiches pour les plus sages à l’irruption sanguine (la couleur
rouge sang étant l’un des motifs du film) au siège d’un laboratoire contesté.
Le film se divise clairement en
deux parties, l’une étant centrée sur l’activisme et ceux qui l’anime:
l’arrivée de nouveaux dès la réunion inaugurale permet précisément au
spectateur d’entrer avec eux dans l’assemblée et dans l’histoire en cours.
L’autre, qui nous mènera à la fin, emprunte volontairement un ton plus sombre
et un rythme plus posé : au mouvement frénétique (voir les pom-pom girls)
succède l’inhibition, celle de Sean (Nahuel Pérez Biscayart, qui, s’il ne
s’agit pas de son premier rôle, explose véritablement dans son interprétation
drôle, émouvante et décomplexée), un des piliers de l’association, rattrapé par
le mal contre lequel il lutte haut et fort. Le groupe fait alors place à
l’individualité, la bataille collective devient un affrontement solitaire. C’est
avec toute la délicatesse et la justesse dont avait déjà fait preuve Robin
Campillo dans Eastern Boys que 120 battements par minute se meut en une
tragédie intime : celle d’un jeune homme qui dépérit et celle d’un autre,
Nathan (Arnaud Valois), son compagnon, qui l’accompagne de toute sa tendresse
amoureuse. Des corps qui revendiquent en corps qui jouissent puis en corps qui
souffrent, le film scande ces étapes avec une même intensité et une fluidité
entrainante (jamais le film ne fait ressentir sa durée de 2h15). La
séquence de la veillée dans l’appartement de Sean et Nathan est bouleversante
car elle marque le retour du groupe après l’isolement contraint de la
maladie : la solidarité, malgré les querelles, est belle à voir et donne à
l’amitié une place fondamentale. En cherchant à faire réagir les autres et la
société, ils se seront au moins trouvés entre eux. Film de bande énergique, ce
prix du jury à Cannes est un hymne à la lutte et à la chaleur humaine où ces
brins de vies sont comme ces grains de poussières en suspension isolés par la
caméra, aussi bien l’infiniment petit des cellules, que l’infiniment
grande secousse d’une transe vitale.
26/08/2017