mercredi 30 août 2017

► 120 BATTEMENTS PAR MINUTE (Cannes 2017)

Écrit et réalisé par Robin Campillo


... Brins de vies et grains de poussières

Plus habitué à la Mostra de Venise qu’au festival de Cannes (ses deux premiers films : Les revenants en 2004 et Eastern Boys en 2013 y ont été remarqués), c’est une entrée par la grande porte qu’effectue le réalisateur français Robin Campillo dans le palmarès Cannois. Il y a en effet obtenu le prestigieux prix du jury, présidé cette année par Pedro Almodóvar, pour son vibrant 120 battements par minutes qui relate l’agitation humaine et politique qui anime la section parisienne d’Act Up, au début des années 90. Cette association de lutte contre le SIDA, née aux États-Unis, s’est fait connaître à travers des actions parfois radicales, afin de dénoncer une certaine inertie des pouvoirs publics et mettre en cause des laboratoires sur leurs méthodes de recherches. Ce n’est pas la première fois que le cinéma français aborde frontalement la question de la maladie mais ce n’était pas du point de vue associatif. Il y a ainsi eu bien sûr les emblématiques Nuits fauves (1992) et Jeanne et le garçon formidable  (1997) puis plus récemment Les témoins (2006), qui faisait intervenir un personnage de médecin, joué par Michel Blanc, face à l’émergence de l’épidémie. Et dans le souvenir collectif au-delà de l’hexagone, on retrouve évidemment le Philadelphia (1993) de l’américain Jonathan Demme avec Tom Hanks. Dans Eastern boys, le réalisateur, qui, déjà, mettait en scène des personnages homosexuels, faisait à ce propos une brève allusion au test de dépistage. Mais force est de constater que le cinéma s’est moins intéressé à cette thématique au fur et à mesure des progrès médicaux qui, sans apporter encore un vaccin malgré des décennies de recherches, permettent désormais aux malades de mieux vivre et surtout bien plus longtemps. Le film de Robin Campillo est celui d’une époque qui n’a pourtant rien de révolu : les autorités sanitaires s’inquiétant d’ailleurs d’une recrudescence dans un monde où le SIDA n’est plus, en particulier pour la jeunesse, l’épouvantail qu’il était. 120 battements par minute est ainsi une puissante claque de rappel, narrant formidablement bien les combats d’hier avec ses coups de gueules, ses coups d’éclats et ses coups de cœurs. De l’euphorie militante jusqu’au drame intimiste, Robin Campillo oscille entre grâce et sensibilité avec ferveur et conviction dans un mouvement humain poignant qui secoue le corps, remue l’esprit et fait battre le cœur.


Si son premier film avait un tout autre sujet (des morts revenaient à la vie), il se distinguait déjà : loin d’en faire un film de genre, il prenait au contraire le contre-pied des codes habituels des films de zombies pour en faire une question sociale étonnante et insolite. Comment réintégrer ces revenants dans la société ? Puisqu’ils n’étaient ni agressifs ni dégénérés, il fallait bien leur faire une place…qu’ils n’avaient plus. 120 battements par minutes trouve un vrai écho avec ce film dans la problématique même de l’association Act Up : comment exister dans la sphère politique et médiatique, quelle place prendre dans le débat, comment être vivant quand vous êtes porteur de mort ? Dans un amphi bouillonnant où s’expriment toutes les sensibilités, le réalisateur n’élude pas les contradictions du mouvement, qui se définit lui-même comme « un groupe activiste », ni les dissensions au sein des membres. Cela donne lieu à de vifs échanges, souvent dans la bonne humeur (voir la séquence sur les slogans), que Robin Campillo sait capter dans toute leur exaltation, en agençant les plans comme se distribue la parole (il est d’ailleurs son propre monteur). L’impression d’authenticité de ces joutes tient également à des acteurs formidables, investis et habités, par leur rôle parmi lesquels on retrouve la désormais installée Adèle Haenel (Sophie) qui côtoie des nouveaux venus comme   Antoine Reinartz (Thibault). Tous sont dans une dynamique qui a pour but de franchir le rideau qui sépare la scène de la coulisse : c’est la métaphore qui ouvre habilement le film, cantonnés dans l’ombre, les militants veulent être vus et entendus, arracher une parole, quitte à choquer, qu’ils estiment d’utilité publique. Ils sont, littéralement, dans le contre-champ des autorités et tendent à rentrer, de façon fracassante, dans le champ, par des actions allant du collage d’affiches pour les plus sages à l’irruption sanguine (la couleur rouge sang étant l’un des motifs du film) au siège d’un laboratoire contesté.


Le film se divise clairement en deux parties, l’une étant centrée sur l’activisme et ceux qui l’anime: l’arrivée de nouveaux dès la réunion inaugurale permet précisément au spectateur d’entrer avec eux dans l’assemblée et dans l’histoire en cours. L’autre, qui nous mènera à la fin, emprunte volontairement un ton plus sombre et un rythme plus posé : au mouvement frénétique (voir les pom-pom girls) succède l’inhibition, celle de Sean (Nahuel Pérez Biscayart, qui, s’il ne s’agit pas de son premier rôle, explose véritablement dans son interprétation drôle, émouvante et décomplexée), un des piliers de l’association, rattrapé par le mal contre lequel il lutte haut et fort. Le groupe fait alors place à l’individualité, la bataille collective devient un affrontement solitaire. C’est avec toute la délicatesse et la justesse dont avait déjà fait preuve Robin Campillo dans Eastern Boys que 120 battements par minute se meut en une tragédie intime : celle d’un jeune homme qui dépérit et celle d’un autre, Nathan (Arnaud Valois), son compagnon, qui l’accompagne de toute sa tendresse amoureuse. Des corps qui revendiquent en corps qui jouissent puis en corps qui souffrent, le film scande ces étapes avec une même intensité et une fluidité entrainante (jamais le film ne fait ressentir sa durée de 2h15). La séquence de la veillée dans l’appartement de Sean et Nathan est bouleversante car elle marque le retour du groupe après l’isolement contraint de la maladie : la solidarité, malgré les querelles, est belle à voir et donne à l’amitié une place fondamentale. En cherchant à faire réagir les autres et la société, ils se seront au moins trouvés entre eux. Film de bande énergique, ce prix du jury à Cannes est un hymne à la lutte et à la chaleur humaine où ces brins de vies sont comme ces grains de poussières en suspension isolés par la caméra, aussi bien l’infiniment petit des cellules, que l’infiniment grande  secousse d’une transe vitale. 

26/08/2017