Réalisé par Tommy Lee Jones ; écrit par Wesley Oliver, Kieran Fitzgerald et Tommy Lee Jones, d'après l’œuvre de Glendon Swarthout.
...Quitter l'Ouest
Tommy Lee Jones revient au
Festival de Cannes après y avoir triomphé en 2005 avec le prix d’interprétation
masculine pour son premier film réalisé pour le cinéma, Trois enterrements ainsi que celui du scénario pour Guillermo Arriaga. Présenté en compétition
officielle, The Homesman confirme
l’attrait de Tommy Lee Jones pour les grands espaces et les trajectoires,
physiques et mentales, de ses personnages. Son dernier film atteste à nouveau
de son talent de réalisateur, s’engageant dans les sillons disparus du western
(même si ces dernières années ont vu ponctuellement resurgir le genre),
l’histoire (adapté du roman de Glendon Swarthout) envoie sur les routes
désertiques un atypique attelage composé d’une femme au fort caractère qui doit
ramener dans leur famille trois femmes ayant perdu la raison, aidée d’un homme
bourru qu’elle a sauvé in extremis de la pendaison. L’aventure s’annonce
compliquée et singulière. La mise en scène soignée et inspirée ne perd jamais
ses personnages dans les paysages, elle s’y attache et lève parfois le coin de
ce voile de poussière qui obstrue le passé de ces étranges passagers. Portrait
sensible et mélancolique de solitudes, affectives ou psychologiques, le film
investit à sa façon un genre codifié pour y inscrire des destinées intimement
liées.
Les premiers plans (successions
de paysages désertiques typiques) sur fond de soleil couchant ne sont pas un
simple indicateur topographique mais également un marqueur psychologique. Le
vide et le statique dominent ces paysages état-d’âme à l’horizontalité assenée
(récurrente ligne d’horizon terre-ciel) avant d’être fendus visuellement par
l’entrée de Cuddy (épatante Hilary Swank) qui laboure son champ. Son arrivée
procède d’une double rupture : elle remplit un cadre (au format Scope)
dépourvu d’humanité et marque de son empreinte ce qui lui préexiste en traçant
littéralement son sillon. C’est également la mise en avant d’un personnage
central, une femme de tête, qui, déjà, par son travail au champ, est dans les
pas des hommes. En effet, c’est elle, face
à la mauvaise volonté des maris des femmes devenues folles, qui décidera
de se charger de leur transport. Cuddy est à la manœuvre (elle se fait
construire une carriole aménagée) et tient bon face à ses détracteurs même si
elle se rend compte de l’ampleur de la tache (beau plan où de dos elle
contemple l’immensité à parcourir).
Les femmes ont ainsi une place
principale dans cette odyssée westernienne (d’ouest en est, du Nebraska à
l’Iowa) mais elles sont des personnages en souffrance. Il y a tout d’abord les
trois femmes qui se sont coupées de la réalité et qui toutes ont un traumatisme
en lien avec la maternité (l’une a tué son bébé, l’autre a vu ses trois enfants
mourir et la dernière n’a pu en donner à son mari). Quant à Cuddy, l’abandon de
ces femmes par leur mari, la renvoie au propre rejet dont elle souffre de la
part des hommes qui la trouve rude et autoritaire. Faire ce trajet est aussi
pour elle, puisque rien ne la retient, le moyen d’être autre chose que la femme
célibataire s’occupant seule de sa ferme. Elle s’est substituée aux maris et
cet acte mal vu semble la couper
définitivement d’un statut qu’elle a pourtant essayé de tenir (recevoir
un homme, lui faire à dîner, lui chanter une chanson). Contraignant Briggs
(Tommy Lee Jones, qui compose un intéressant personnage roublard) à
l’accompagner puisqu’il lui est redevable d’une vie, elle assume son
autorité : « Jurez devant Dieu
de m’obéir ».
Aux cris et à la violence
inaugurale (le mari qui ligote sa femme, la rage d’un autre lors du départ, la
carriole à bestiaux aménagée avec des anneaux pour attacher si besoin ces
femmes qui font peur…) succèdent les pointes d’humanité de personnages renfermés
qui doivent cohabiter. Cuddy fait preuve d’un altruisme (comme lorsqu’elle
console les petites filles d’une des femmes) et d’une douceur qui s’oppose à la
rigidité qu’on lui a toujours renvoyée. Car s’il faut prendre soin de ces
voyageuses particulières, qui prend soin d’elle ? La fragilité n’est pas
forcément du côté qu’on croit. Séparée momentanément de l’attelage, la scène où
elle retrouve, après avoir erré, Briggs et les femmes, montre toute la détresse
qui est la sienne. Elle la formalisera verbalement par une demande la ramenant
à son intention profonde dont l’issue inattendue sera à l’image d’un film à la
tonalité douce-amère. De même, ces
femmes muettes manifesteront d’une façon particulièrement touchante le fait
d’être devenues des solitaires solidaires. Portée par la musique délicate
(piano et cordes) de Marco Beltrami, le film réussi de Tommy Lee Jones fait de
ces exclus d’émouvants migrants, ceux dont on voulait perdre la trace et dont
le cheminement conférera une place.
Sélectionné et publié sur Le Plus du NouvelObs.com
18/05/2014