samedi 31 mars 2012

► LA TAUPE (2011)

Réalisé par Tomas Alfredson ; écrit par Bridget O'Connor et Peter Straughan ; d’après l’œuvre de John le Carré.



… L’échiquier des âmes


A partir d’un canevas classique du film d’espionnage (un traitre dans les services secrets britanniques), le réalisateur peint un intéressant tableau d’une époque (la guerre-froide) mais surtout dresse le portrait d’hommes qui se retrouvent face aux autres tout autant que face à eux-mêmes. Le déroulement du film sera l’antithèse d’un espionnage à la James Bond : point d’action tonitruante et pourtant la tension sera tangible à chaque instant, dans les regards, dans les mots, dans les souvenirs où tout se dissimule. Car pour remonter à la source, il faut remonter le fil du temps et une séquence récurrente, la fête de Noël des agents du service, battra la mesure temporelle. 

Smiley, ironie nominative pour cet homme qui ne sourit jamais, se retrouve congédié avec son directeur pour l'échec dramatique (il y a eu fusillade) de la mission censée démasquer la taupe. Avant de reprendre du service, sommer par sa hiérarchie de mener à bout la traque. Chacun est donc suspect : ces sont les cinq membres du premier cercle du service, tous figurés par des pièces d’échecs, métaphore de la partie qui s’est engagée, dans l’ombre. Car la mission doit rester secrète, les pièces doivent donc être manipulées à leur insu. Le jeu des apparences est donc multiple puisqu’il faut, comme la taupe, paraître plutôt qu’être. Et si Smiley change de lunettes au début du film, ce n’est pas un hasard, ce subtil détail nous indique déjà le passage à un autre regard, sur le fait qu’une nouvelle vision est nécessaire pour décrypter le réel. Une analogie avec un enfant binoclard sera d’ailleurs faite ultérieurement, pris sous l’aile d’un agent disparu, ce dernier reconnaitra en lui les caractéristiques du bon agent secret : ce solitaire qui observe tout et voit tout derrière ses lunettes. 

Smiley (Gary Oldman, saisissant) canalise l’atmosphère pesante du film, à la fois terne et grise, il porte une certaine tristesse en lui tout autant qu’un attachement puissant à sa fonction. Toute l’histoire du film est celle de ces hommes qui évoluent dans ce milieu hermétique, de leurs solitudes, de leurs choix et de leur abandon : « je veux une famille ! Je ne veux pas finir comme vous autres ! » lancera une de leur source. On songe à La vie des autres (2006), car la démarche est dans le même esprit. La figure de l'agent solitaire n'est pas sans nous rappeler également celle tenue par Gene Hackman dans le remarquable Conversation secrète (Coppola, 1974). Le pouvoir isole, à l’image du plan où le responsable du service, quand il apprend l'échec de la mission, reste comme pétrifié, alors qu’un lent travelling arrière le laisse seul, perdu derrière le hublot de son bureau. 

L’échiquier des services secrets est ainsi également celui de leur vie, des hommes derrière les agents, trouver la taupe n’est que le Mac Guffin (ce qui fait agir les personnages). Se découvre alors un Smiley trompé par sa femme, une agent retraitée qui regrette le bon vieux temps, le jeune second obligé de « faire le ménage » dans sa vie comme l’exige la situation. Et d’ailleurs, cette histoire d’espionnage ne se révèle-t-elle pas finalement une histoire d’amitié, à la vie, à la mort ? Même s’il y a quelques éclats brutaux de violence, c’est le cheminement intellectuel qui occupe l’essentiel du film, où chaque pion doit être doté d’humanité pour que surgisse la vérité. Quand celle-ci est découverte, c’est bien sûr à l’image de ce qui s’est déroulé auparavant, à savoir calmement, sans emphase mais avec une implacable maîtrise, un simple pivotement de caméra. 

La séquence finale est aussi passionnante qu’inattendue dans sa forme. C’est une libération. Libération puisque la taupe est tombée mais aussi libération de cette atmosphère grise qui laisse place à une musique guillerette (La mer, de Charles Trenet) sur des images en forme d’épilogue qui prennent leur source lors de cette fameuse fête de Noël, où les serments se lisent dans les regards. Ces mêmes regards qui s’échangeront une dernière fois, à l’heure où s’achèvent les promesses et où dignement se donne et se reçoit la mort. Le retour d’un Smiley réhabilité au bureau fait écho à sa disgrâce inaugural, cette fois, il porte bien son nom quand s’achève le film et qu'il s’installe, plein cadre, à sa nouvelle place, littéralement de nouveau au premier plan. La partie s’est achevée, une autre peut commencer.     

Romain Faisant, écrit le 19/03/2012

► POLISSE (2011)


Réalisé par Maïwenn; écrit par Maïwenn et Emmanuelle Bercot



… Les poussettes vides


C’est un plan furtif, vers la fin du film, lorsque l’on voit divers parents, dont certains membres de l’équipe que l’on a suivi, déposer leurs enfants dans des écoles. Ce plan c’est celui d’une rangée de poussettes vides, devant l’école. Les enfants ont été déposés, confiés à un père, à une mère, à autrui, pour le meilleur mais aussi malheureusement pour le pire. Et c’est à ce pire que nous convie le film : brutal, frontal, cru, en un mot : réel. On est au plus près du travail de la BPM, la brigade de protection des mineurs, le film est documenté comme l’annonce un carton au début. 

L’intime et sa complexité sont ainsi d’emblée installés par un échange en champ-contrechamp entre une membre de l’équipe et une petite fille. Et la vérité ne va pas forcément de soi. C’est ainsi une immersion dans le quotidien de la brigade, à l’instar de films bien connus du genre comme L.627 (Tavernier) ou plus récemment Le petit lieutenant (Beauvois). On songe également forcément à Police de Pialat (d'autant plus avec cette homophonie du titre), sachant que le premier film de Maiwenn, Pardonnez-moi, présentait des accointances avec le cinéma de Pialat, dans le surgissement de la violence verbal, de la confrontation brutal à l’autre saisie à la volée et, déjà, dans la difficulté de cerner l’humain, de l’appréhender. 

Ce dernier verbe polysémique sied d’ailleurs parfaitement à Polisse puisque que l’on va assister à plusieurs  arrestations et donc confrontations où il s’agira bien de cela : comprendre ce qui a pu se passer dans tel ou tel cas avec une appréhension palpable des deux côtés : personne ne veut fauter. Mais c’est toute la problématique d’une telle profession : l’humain ne peut s’effacer devant l’horreur et l’odieux, de surcroit quand il s’agit d’enfants. Les coups d’éclats se mêlent ainsi aux éclats de rires. Il y a beaucoup de scènes où l’on voit l’équipe se restaurer, autant de moments d’aérations vitaux dans un service où le glauque est leur pain quotidien. Deux moments de grâce qui marquent : cette interpellation de roms qui se termine en danse avec les enfants. La scène de la boîte de nuit, discrètement introduite par le plan du miroir au plafond (passage dans l’envers) et où chacun se lâchent et relâchent la pression, oublie et s’oublie. 

L’immersion du spectateur est accompagnée par celle du personnage jouée par la réalisatrice elle-même, une photographe qui vient saisir les instants de la brigade. Mise en abyme. Très discrète, Maiwenn et donc son personnage, sont beaucoup plus en retrait, là où elle était au premier plan de Pardonnez-moi. Sa difficile intégration fait écho à la nôtre, car si le montage est bien moins nerveux que pour son premier film, la crudité est toujours là. Elle nous impacte et nous choque, jamais gratuitement, toujours insérée dans le processus de l’immersion, une confrontation journalière pesante et réelle. Parfois, il n’y a rien à faire : juste subir l’immensité de l’impuissance. C’est la scène de la séparation entre une mère et son enfant qu’elle laisse malgré elle, faute de logement. Le plan dure : comme l’équipe, on regarde et on écoute les cris, encore et encore. 

On le voit, c’est la place de l’humain dans ces sombres méandres qui se pose : subir, agir, prévenir. Et puis vivre, quand même, parce qu’il le faut bien. Les histoires personnelles se mêlent aux histoires professionnelles, inévitablement, car on touche au sensible et cette frontière perméable est bien compliquée à gérer. On pense ainsi au personnage d’Iris lors d’un face à face avec la mort, celle d’un nouveau-né qu’elle ne peut avoir. Résonances. Comme Fred, qui s’interroge sur ses propres rapports avec sa fille. Cette porosité peut aussi se muer en violence verbale extrême. Une des scènes marquantes voit ainsi s’opposer deux copines, deux collègues, Iris et Nadine où un point de non-retour est atteint, une explosion de l’humain, soudaine, terrible. Les moments de soupapes ne suffisent parfois pas. 

Comme eux, nous passons ainsi d’un état à l’autre : effaré, horrifié, amusé, révolté devant la suffisance odieuse d’un père, devant l’inconscience d’une jeunesse sans repères, devant un langage cru balancé avec désinvolture pour mieux instaurer une distanciation qui évite de sombrer. Tous n’y arrivent pas. La tragique fin, aussi inattendue que bouleversante, est là pour nous le signifier. Elle fait écho à la discussion inaugurale entre Iris et Nadine, qui, sur un ton trivial faisaient la différence entre la pulsion sexuelle et amoureuse. C’est une pulsion qui clôt le film. Le montage parallèle relie l’adulte et l’enfant, la chute et le rebond, au ralenti défile la mort et la vie. Résonne alors en nous la musique enfantine du générique de début « …Voici venu le temps des rires et des chants.. ». Les chants sont bien amers, même si, dans le lointain du générique de fin, les sonorités familières d’une cour de récréation nous ramènent sur l’île aux enfants.

Romain Faisant, écrit le 22/03/12        

► MELANCHOLIA (2011)


Écrit et réalisé par Lars Von Tier



...La mariée était triste

Tout commence par un ballet artistique, onirique et esthétique où des images très travaillées (inspirées du travail photographique de Gregory Crewdson), en extrême ralenti, sur de la musique classique (Wagner), nous montrent divers éléments clés et symboliques qui vont parsemer le film. On n’est pas loi du surréalisme à la Magritte et des toiles de Dali pour les allégories. Apparaît ainsi, entre autres, le cheval qui se couche dans un élégant mouvement, Claire et son fils dans les bras s’enfonçant dans le sol, Justine en robe de mariée, belle au bois dormant entravée de racines et enfin, fin du prologue comme fin du film : la collision entre la Terre et la planète Melancholia. Magnifier pour mieux détruire. Et l’attente de cet impact, comme l'annonce l'imposant cadran solaire du prologue,sera le fil rouge : réuni à l’occasion d’un mariage, un groupe d’êtres humains va vivre ses derniers jours. Nous sommes loin de l’ambiance de nombreux films traitant de la fin du monde puisque, de façon ironique, on célèbre la joie et la bonne humeur. En apparence, car les cœurs sont aussi sombres que le destin qui s’annonce. On se rassure comme on peut : les scientifiques disent que la planète sera épargnée mais les craintes subsistent chez les personnages.

La dualité est au cœur du film et aux deux planètes répondent le caractère opposé des deux sœurs. Claire a organisé la réception, rigoureuse et sérieuse, elle oscille entre amour et haine envers sa sœur. Il faut dire que Justine, la jeune mariée, est une âme mélancolique, plus que du spleen, cela est même pathologique. Elle passe d’un état à l’autre à la grande incompréhension de son entourage. On ne la comprend pas, elle ne se comprend pas. Organisation duelle du film également : il est scindé en deux parties : la réception du mariage et l’arrivée de Melancholia. « Sois heureuse ! » assène-t-on à Justine mais cette dernière n’est pas sur la même route que les autres, ses chemins de traverse sont multiples. Déjà, tout avait commencé par un problème incongru : l’immense limousine des mariés qui n’arrivait pas à emprunter un chemin de terre menant au domaine. Rien ne sera plus conforme à l’idée que l’on se fait d’un mariage. La déconstruction est en marche avec, comme déjà souligné, sa dose d'ironie.

Débute ainsi une lente déliquescence entre fuites répétées et actions impulsives, sous la voute céleste, là d’où vient la menace. Justine étouffe dans ce tableau parfait, figée comme le sont ces pages de livres d’art dans le bureau, exposés aux regards et qu’elle remanie fébrilement. Changer l’ordre des choses. Mais il faut faire comme si, alors par bribes, Justine s’amuse, sourit, essaye, prisonnière de son rôle de mariée dont elle doit porter le symbole vestimentaire en permanence. L’instabilité de Justine, l’oppression des convenances et la nervosité qui règne se traduisent formellement par la façon de filmer puisque que la caméra est mouvante en permanence, le recadrage, le zoom et même des mises en points et des balayages intempestifs ponctuent la mise en scène de la soirée. Nous sommes sollicités et maintenu sous tension tout comme Justine, nerveuse, qui ne veut plus être là et qui pourtant doit y rester. 

Sorte de contre-champ de la première, la seconde partie abandonne cette réalisation systématique et se concentre sur Claire en même temps qu’elle resserre le cercle familial. A la foule du début à succéder le noyau dur : les deux sœurs, le mari de Claire et leur fils. Quand l’inéluctable s’impose, c’est une autre face des femmes qui va se faire jour. Justine prend le dessus avec une certaine froideur tandis que Claire, fragilisée et désemparée, perd ses repères, se raccroche à la matérialité lors d’une fuite vaine (la voiture de golf). Son mari a été saisi de lâcheté, se sachant condamné, il préfère se suicider, seul. Déroute des âmes. C’est aussi au détour d’un abandon que les deux personnages perdues de Last night (McKellar, 1998) faisaient fi du chaos de la fin du monde pour s’ouvrir à l’amour, ne fusse que pour une seconde, une seconde d’éternité. Mais la vision poétique, à l'instar des images sublimées du début, recèlent toujours un arrière goût rance chez notre réalisateur et c'est une autre vision qu'il instaure.

Ainsi, les deux sœurs unissent leurs voies, bien que toujours en contradiction, Justine ayant sévèrement dénigré le tableau idyllique (du vin et de la musique classique, cette même musique qu'utilise précisément le réalisateur au début) qu'envisage d'organiser Claire pour leurs derniers instants. Justine, qui semble avoir trouvé de nouveaux repères dans l’approche de la fin, fataliste mais sereine, amène sa sœur vers la mort lorsque dans un premier temps, cette dernière n’avait de cesse de la tirer vers la vie. Il n’y a plus d’ailleurs, seuls demeurent le ici et le maintenant. Le vrai mariage est là : dans l’union et la communion face à la fin, mais contraint et forcé, celui-ci a-t-il encore un sens. Chacune aura éprouvé la difficulté de convertir l’autre, d’accepter un état de fait. Tour à tour, elles auront éprouvé la même chose. Mais que reste-t-il finalement de ces petits conflits et de ces acceptations quand vient l'assourdissante fin ? Le réalisateur, fidèle à lui-même, ne prend-t-il pas un malin plaisir à tout réduire en cendre après s'être délecté du petit théâtre de l'humanité ? A l'échelle stellaire, les soubresauts humains sont bien dérisoires...

Romain Faisant, écrit le 23/03/12 

► NOUVEAU SOUFFLE (2011)


Écrit et réalisé par Karl Markovics


… A rebours

Le film suit une avancée linéaire, celle de Roman, jeune majeur taciturne qui tente de se réinsérer, mais cette marche n’aura cependant de cesse de nous ramener en arrière. Pour construire, il faut avant tout solidifier la base. Et cette base, elle est complexe pour Roman, pas de père et une mère qui l’a abandonné enfant. Et puis il y a le drame qui l’a amené au centre de détention pour mineurs. On ignore dans un premier temps la raison de cet emprisonnement, et puis, comme pour le reste, on va comprendre, par bribes. Il y a d’ailleurs une échéance temporelle qui parcourt le film, celle de l’audition du jeune pour sa liberté conditionnelle, épée de Damoclès qui place les actions de Roman dans un contexte bien particulier. Et ce n’est que vers la fin, lors de cette audition, qu’on en sera un peu plus sur ce qui l’a envoyé en détention, la fin explicitant ainsi son statut initial. 

Cette démarche du portrait à rebours, sans quitter pour autant le temps présent, repose sur un ensemble d’analogies qui vont constituer la personnalité dont on suit le parcours. Il y a un itinéraire de vie comme il y a ce plan du début où on le voit marcher sur le bord d’une route, à la marge déjà, mais en mouvement, avançant sur une route pour l’instant sans but. Il se démarque des autres détenus ne serait-ce que par le dénuement des murs de sa cellule. Une exception, symbole de l’ailleurs, d’un désir fantasmé plus qu’envisagé : l’image d’un paysage qu’il colle au mur. Il y a un train, il y a un voyage. Et pourtant, de façon étrange, il décide de travailler à la morgue. Ce qui suscite l’incompréhension. On va comprendre, plus tard. 

La crudité de l’activité, la confrontation aux corps des décédés est reprise en écho par la récurrence des scènes de fouilles à la prison. Cette mise à nu du corps, verticalité vivante, tranchant avec l’horizontalité mortuaire. Résonance à l’échelle du film également, puisque la mise à nu est bien sûr celle, au sens figuré, du personnage. Il sera de nouveau fait référence à cette analogie avec la mort lors de la rencontre avec sa mère. Allongée sur le matelas, les yeux fermés comme ce cadavre qu’il avait imaginé être potentiellement celui de sa mère lors d’une scène à la morgue. Mère absente donc comme morte mais pourtant très présente pour Roman qui n’aura ainsi de cesse de s’ébattre dans la piscine du centre, cerné symboliquement par les eaux maternelles. Pivot incontournable, le face à face avec la mort est donc une clé, à l’image de celle que Roman porte autour du cou, il n’y sera jamais fait allusion, mais elle est là. 

Et puis, s’il y a mort, c’est qu’il y a vie. Roman trouvera ainsi une figure paternel de substitution, ferra entrevoir une joie de vivre lors d’une brève rencontre à bord d’un train avec une jeune fille, l’ailleurs n’était peut-être pas si loin. Roman se construit, cette fenêtre symbolique sur le mur de sa cellule, s’est ouverte. Mais le poids du passé complique l’avancée et le jeune n’accepte pas encore ce présent car il ne s’y sent pas encore bien. Il a ainsi une identité flottante pour autrui : gardien de prison pour la jeune fille, moniteur de plongée pour sa mère. Impossibilité d’être soi, de s’affranchir d’une vie marquée par le drame et ce choix de vivre autour des morts sonne comme un refus d’être pleinement vivant. Et puisque les bribes se sont faites plus précises, les choses se comprennent pour nous et s’assimilent pour lui. Comme pour cet énigmatique premier plan où, forcé à mettre un casque de soudeur, Roman l’enlève violemment d’un cri. Ce n’est que lorsque que l’on apprend par la mère qu’elle a voulu l’étouffer quand il était enfant que fait sens ce rejet d’un visage entravé. 

On le voit, le côté psychanalytique des actions parsème le film et donne ce ton à rebours. Il faudra un retour à l’événement traumatique, cette mort, au cours d’une bagarre avec un jeune homme de son âge, pour que puisse se faire le deuil. Cette disparition antérieur au récit et qui planait sur tout le film, latente et prégnante dans des actes que l’on comprend a postériori. Il aura fallu à Roman côtoyer la mort au plus près, dans sa réalité crue, pour mieux la dépasser, avec respect. Lui qui avait littéralement le statut de mort-vivant : sa mère l’a étouffé avant de le réanimer, qui avait ce statut d’entre-deux (nuit au centre de détention, jour au travail) se voit, par  cette confrontation avec la mort, dure et frontale, doter  paradoxalement d’une nouvelle vie.

Aussi bien le titre français que le titre original en allemand (Atmen : respirer) renvoient à l’acte respiratoire et donc au souffle vital. Et le mouvement de caméra ascendant final, où s'expire l'expiatoire, en forme de triptyque visuel, superpose trois notions fortes expérimentées par Roman. La mort (le cimetière), au début du plan, puis la ville (la vie) et enfin le plan se termine dans le ciel (l’ailleurs), avec un fondu au blanc. La page est blanche, il n’y a plus qu’à vivre, de nouveau.

 Romain Faisant, écrit le 26/03/12.