Réalisé par Bavo Defurne ; écrit par Bavo Duferne, Jacques Boon et Yves Verbraeken
... Il était une chanteuse oubliée
Les divisions géopolitiques de la
Belgique nous avait fait oublier qu’il existait également deux cinémas au plat
pays : le cinéma belge désignant de façon habituelle et restrictive la
production wallonne et donc francophone. Or, ces dernières années les films
flamands ont bénéficié d’une visibilité accrue et la qualité de certains ont
permis une reconnaissance internationale : ce fut le cas avec le marquant Bullhead qui révéla l’acteur Matthias
Schoenaerts en 2011 et plus récemment avec le très sombre Les Ardennes qui a fait grande impression. Cette affirmation d’un
cinéma à part entière s’incarne entre autres chez le réalisateur flamand Bavo
Defurne qui après de nombreux
courts-métrages est passé au long en 2011 avec Sur le chemin des dunes. Ce film, chronique adolescente douce-amère
sur l’éveil amoureux, avait installé un univers et une patte caractéristique
que confirment Souvenir, son deuxième
film. Son goût pour le suranné est toujours de mise, sa première réalisation se
déroulait dans les années 60 tandis que pour Souvenir, si l’histoire se passe plus ou moins de nos jours, tout
renvoie le spectateur vers le passé dans un étrange écrin où le kitsch est un
motif soigneusement travaillé. Liliane est une ancienne gloire de la chanson :
elle a failli à l’époque remporter le concours de l’Eurovision puis la séparation
d’avec son manager et mari la précipita dans les abysses de l’oubli. Trente ans
plus tard, contrainte de travailler dans une usine alimentaire, elle se morfond
jusqu’à ce qu’un jeune employé, Jean, nouvellement arrivé, ne la reconnaisse. D’abord
agacée de devoir faire face à sa déchéance, elle s’attache à lui. Ce dernier
fait alors le pari fou de relancer la carrière de Liliane pour qu’elle redevienne
Laura, son nom de scène… Nostalgie et mélancolie sont les deux versants d’une
même intention : celle d’un réalisateur qui cultive le jadis avec malice
pour traiter de l’intemporel : l’amour. Souvenir, qui s’articule autour d’une Isabelle Huppert chanteuse,
est un conte bienveillant et pétillant.
Bavo Defurne avait déjà
expérimenté la reconstitution minutieuse d’un autre temps avec Sur le chemin des dunes : un grand
soin étaient apporté aux costumes et aux décors, ainsi qu’aux objets typiques d’une
époque révolue. L’appartement de Liliane bénéficie de ce savoir-faire dans tout
ce qu’il a de vintage. Alors qu’on devine que l’époque est contemporaine (l’équipe
de télé et surtout les portables, bien que très peu montrés), le film flotte
dans une ambiance rétro. Le lieu où habite l’ancienne vedette est d’ailleurs
comme figé : le mobilier, la décoration et surtout le poste de télévision
sont d’un autre temps (alors que l’écran est moderne chez les parents de Jean) !
Sans parler de la radio et du tourne-disque. Ce qui installe un décalage
surprenant mais intéressant, surtout que cela ne se limite pas à l’appartement
de Liliane, comme si elle diffusait autour d’elle le parfum de son passé. Jean
(Kévin Azaïs) a ainsi l’apparence d’un homme d’antan, avec sa moustache si
emblématique, il est d’ailleurs fasciné par cette femme qui chantait alors qu’il
n’était même pas encore né. Lorsque Liliane passe dans l’émission de télé-crochet, son micro à fil semble sortir
des années 70 tout comme le style du présentateur ! Ce qui contraste avec
le décor de l’usine où elle végète : le cinéaste exploite avec la même
minutie cette atmosphère clinique où règnent la répétition des taches
(succession de plans similaires), les couleurs aseptisées et la déshumanisation
(sonnerie du haut-parleur, couloirs livides). L’inverse des chansons chaleureuses
de feu le répertoire de Liliane dont la prestation à l’eurovision appartient
désormais au kitsch. L’affiche du film, réalisée par les emblématiques artistes
Pierre & Gilles, donnait d’ailleurs le ton avec ses couleurs volontairement
criardes et sa teneur symboliquement outrancière. Ce que le générique d’ouverture, à base de bulles effervescentes, prolonge
avec un certain psychédélisme. La réalisation se met au diapason et les scènes
où Jean ouvre les rideaux de la chambre de Liliane, dans un halo de lumière extérieure,
sont de la même teneur. Bavo Defurne en joue car il maîtrise suffisamment les
codes du genre pour en faire un principe formel.
Le cinéaste flamand a une prédilection
pour les plans fixes : Sur le chemin
des dunes en avait fait la démonstration, Souvenir installe cette pratique. A l’ère du mouvement, il n’est
pas anodin de privilégier ce type de réalisation qui sied parfaitement aux
histoires qu’il filme. Ses cadrages sont toujours peaufinés et mettent en
relation les personnages avec leur environnement, n’hésitant pas à pointer
parfois un détail, comme le morceau de sandwich de Jean au réfectoire. La
fixité des plans permet aux acteurs de prendre le temps de jouer dans la
continuité, ce qui est particulièrement prégnant pour Isabelle Huppert qui
chante face caméra. Ce n’est pas la première fois que l’actrice pousse la chansonnette
au cinéma (on se rappelle évidement sa saynète au piano dans Huit femmes ou encore de son duo avec
Catherine Frot lors du générique de fin des Sœurs
fâchées) ou en dehors des plateaux (sa collaboration musicale avec
Jean-Louis Murat). C’est en revanche une première de la voir interpréter un
rôle de chanteuse qui lui permet d’exprimer ainsi un autre de ses déjà nombreux
talents. Ces séquences de chant sont aussi délicieuses qu’enjôleuses car
Liliane est une Cendrillon de la chanson : elle troque la tenue réglementaire
peu saillante de l’usine (charlotte comprise) pour réendosser un costume (sa
robe d’alors) et réinvestir une scène qu’elle n’espérait plus fouler. De la même
façon, on passe des bulles du cachet d’aspirine à celles, plus envieuses, du
champagne. Mais à trop se prendre au jeu du come-back, ne risque-t-elle pas de
se faire submerger par le souvenir (elle retourne solliciter son ancien manager)
au détriment d’un avenir entrouvert (sa prise en main par Jean) ? Bavo Defurne
livre un film cohérent qui, comme le précédent, met en avant la tendresse et l’affection
pour des personnages muent par leur passion et où le passé peut être porteur d’avancées.
21/12/2016