dimanche 30 août 2015

► COUP DE CHAUD

Réalisé par Raphaël Jacoulot ; écrit par Raphaël Jacoulot et Lise Macheboeuf




... La vie de Josef

Peu connu du grand public, Raphaël Jacounot est pourtant de ces réalisateurs français qui, sans bruit, filment un univers qui leur est propre en sachant tirer d’un drame une peinture psychologique et sociale. Troisième long métrage en 9 ans, Coup de chaud fait suite à Avant l’aube (avec Jean-Pierre Bacri et Vincent Rottiers) qui avait déjà marqué la critique en 2011, tandis que Barrage en 2006, plus confidentiel, inaugurait le goût du cinéaste pour le huis clos. En effet, que ce soit la maison étouffante de son premier film, l’hôtel isolé dans la montagne pour le second ou un petit village du Lot-et-Garonne pour son dernier, chacun de ses films profite d’un lieu resserré où se débattent des personnages en proie aux doutes, à la défiance et aux non-dits. En ces périodes caniculaires, Coup de chaud trouve un écho dans l’actualité car le village a deux problèmes : la sécheresse menace les champs des agriculteurs et en particulier celui de Diane, une cultivatrice acculée. L’autre préoccupation est humaine et concerne Josef. Jeune homme singulier qui en d’autres temps se serait vu péjorativement appelé « l’idiot du village ». C’est qu’il a manqué d’oxygène à la naissance, alors, depuis, il n’a pas toujours le comportement qu’il faut. Bienveillant à son égard, le maire du village, Daniel, essaye depuis des années d’arrondir les angles avec ses administrés quant aux bêtises du grand dadais. Mais la chaleur cristallise les tensions et l’attitude de Josef exaspère de plus en plus les villageois. Quand des faits troubles de plus en plus sérieux se produisent, les nerfs lâchent et une certaine psychose envahit la bourgade qui va la mener à une tragédie. Raphaël Jacounot a cette capacité à filmer les rapports humains dans ce qu’ils ont d’ambigu et de latent tout en distillant savamment les éléments épars d’un drame souterrain. Sous la chaleur, il n’y a pas de place pour la candeur… 

« C’est pas de sa faute. Il est pas méchant » : devant son petit conseil municipal réuni, Daniel, le maire (le toujours bon Jean-Pierre Darroussin) tente de calmer les esprits face à une Diane qui se plaint une nouvelle fois des agissements de Josef, qui, entre autres, s’amuse à faire du rodéo avec sa voiture au milieu de ses vaches. La famille est un peu à part au village, Daniel connait l’énergumène depuis sa naissance et a donc une empathie particulière pour l’adolescent. C’est à lui qu’incombe la tâche d’aller parler à la mère du jeune homme quand il dépasse les bornes. Ce n’est pas pour rien qu’il est également le vétérinaire : doux et prévenant, le bien être des habitants lui tient à cœur. Mais son rôle de filtre entre Josef et les autres va être mis à mal avec le franchissement symbolique que représente la grille de la maison du jeune homme. Lors d’un accès de fureur, Diane ira s’en prendre à lui directement dans sa cour. Cette notion de frontière, au sens propre comme au figuré, est d’importance dans Coup de chaud car elle se vit à plusieurs niveaux. Josef est plus toléré qu’accepté, en particulier par les autres jeunes. La séquence de la petite fête le montre heureux et dansant mais la caméra du réalisateur n’oublie pas de l’isoler totalement à l’écran, pointant la mise à l’écart d’un groupe qui se joue de lui. Les limites sont aussi celles que franchit Josef, géographiquement, en pénétrant de façon cavalière chez Rodolphe (Grégory Gadebois), l’artisan récemment installé ou lors de son irruption au domicile de la vielle dame. Mais il y a aussi ce voisin qui convoite les terres de Diane. Chacun a donc des seuils à défendre dans ce qui apparait comme des périmètres autant physiques que psychologiques.

Karim Leklou, qui joue Josef, confère au personnage toute son ambivalence et sait le faire osciller entre bonhommie enfantine (lorsqu’il raconte ses petites blagues) et comportement inquiétant (son œil qui surprend Manon, une jeune fille de son âge, flirter, participe du ressenti hésitant qu’éprouve le spectateur vis-à-vis de lui). Car malgré son côté maladroit avec les autres et son pouvoir de nuisance (avec sa musique techno à fond), il dégage aussi quelque chose de sympathique, en particulier quand il s’éprend de Manon et lui offre une sucette puis tente de la faire rire. Il a les préoccupations de son âge mais on ne lui pardonne pas sa différence et son attitude jouant contre lui, il est un bouc émissaire désigné. La disparition d’une pompe à eau cruciale pour Diane (la très convaincante Carole Franck) et l’agression de Manon, malgré l’incertitude des faits, mettent définitivement Josef dans la ligne de mire. Sa simple présence est considérée comme une menace. Ce qui vaudra l’une des scènes fortes du film où Diane lui exprimera violemment l’opprobre du village. La médiation a laissé place à la détestation jusqu’à un paroxysme au suspense entretenu tout en retenu. Raphaël Jacounot livre une vérité brute, celle d’une gangrène villageoise qui conduit chacun et chacune à faire face à ses propres contradictions. Ce Coup de chaud, inspiré de faits réels, est une fiévreuse introspection sur le comportement humain.

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com

12/08/15