samedi 31 mars 2012

► POLISSE (2011)


Réalisé par Maïwenn; écrit par Maïwenn et Emmanuelle Bercot



… Les poussettes vides


C’est un plan furtif, vers la fin du film, lorsque l’on voit divers parents, dont certains membres de l’équipe que l’on a suivi, déposer leurs enfants dans des écoles. Ce plan c’est celui d’une rangée de poussettes vides, devant l’école. Les enfants ont été déposés, confiés à un père, à une mère, à autrui, pour le meilleur mais aussi malheureusement pour le pire. Et c’est à ce pire que nous convie le film : brutal, frontal, cru, en un mot : réel. On est au plus près du travail de la BPM, la brigade de protection des mineurs, le film est documenté comme l’annonce un carton au début. 

L’intime et sa complexité sont ainsi d’emblée installés par un échange en champ-contrechamp entre une membre de l’équipe et une petite fille. Et la vérité ne va pas forcément de soi. C’est ainsi une immersion dans le quotidien de la brigade, à l’instar de films bien connus du genre comme L.627 (Tavernier) ou plus récemment Le petit lieutenant (Beauvois). On songe également forcément à Police de Pialat (d'autant plus avec cette homophonie du titre), sachant que le premier film de Maiwenn, Pardonnez-moi, présentait des accointances avec le cinéma de Pialat, dans le surgissement de la violence verbal, de la confrontation brutal à l’autre saisie à la volée et, déjà, dans la difficulté de cerner l’humain, de l’appréhender. 

Ce dernier verbe polysémique sied d’ailleurs parfaitement à Polisse puisque que l’on va assister à plusieurs  arrestations et donc confrontations où il s’agira bien de cela : comprendre ce qui a pu se passer dans tel ou tel cas avec une appréhension palpable des deux côtés : personne ne veut fauter. Mais c’est toute la problématique d’une telle profession : l’humain ne peut s’effacer devant l’horreur et l’odieux, de surcroit quand il s’agit d’enfants. Les coups d’éclats se mêlent ainsi aux éclats de rires. Il y a beaucoup de scènes où l’on voit l’équipe se restaurer, autant de moments d’aérations vitaux dans un service où le glauque est leur pain quotidien. Deux moments de grâce qui marquent : cette interpellation de roms qui se termine en danse avec les enfants. La scène de la boîte de nuit, discrètement introduite par le plan du miroir au plafond (passage dans l’envers) et où chacun se lâchent et relâchent la pression, oublie et s’oublie. 

L’immersion du spectateur est accompagnée par celle du personnage jouée par la réalisatrice elle-même, une photographe qui vient saisir les instants de la brigade. Mise en abyme. Très discrète, Maiwenn et donc son personnage, sont beaucoup plus en retrait, là où elle était au premier plan de Pardonnez-moi. Sa difficile intégration fait écho à la nôtre, car si le montage est bien moins nerveux que pour son premier film, la crudité est toujours là. Elle nous impacte et nous choque, jamais gratuitement, toujours insérée dans le processus de l’immersion, une confrontation journalière pesante et réelle. Parfois, il n’y a rien à faire : juste subir l’immensité de l’impuissance. C’est la scène de la séparation entre une mère et son enfant qu’elle laisse malgré elle, faute de logement. Le plan dure : comme l’équipe, on regarde et on écoute les cris, encore et encore. 

On le voit, c’est la place de l’humain dans ces sombres méandres qui se pose : subir, agir, prévenir. Et puis vivre, quand même, parce qu’il le faut bien. Les histoires personnelles se mêlent aux histoires professionnelles, inévitablement, car on touche au sensible et cette frontière perméable est bien compliquée à gérer. On pense ainsi au personnage d’Iris lors d’un face à face avec la mort, celle d’un nouveau-né qu’elle ne peut avoir. Résonances. Comme Fred, qui s’interroge sur ses propres rapports avec sa fille. Cette porosité peut aussi se muer en violence verbale extrême. Une des scènes marquantes voit ainsi s’opposer deux copines, deux collègues, Iris et Nadine où un point de non-retour est atteint, une explosion de l’humain, soudaine, terrible. Les moments de soupapes ne suffisent parfois pas. 

Comme eux, nous passons ainsi d’un état à l’autre : effaré, horrifié, amusé, révolté devant la suffisance odieuse d’un père, devant l’inconscience d’une jeunesse sans repères, devant un langage cru balancé avec désinvolture pour mieux instaurer une distanciation qui évite de sombrer. Tous n’y arrivent pas. La tragique fin, aussi inattendue que bouleversante, est là pour nous le signifier. Elle fait écho à la discussion inaugurale entre Iris et Nadine, qui, sur un ton trivial faisaient la différence entre la pulsion sexuelle et amoureuse. C’est une pulsion qui clôt le film. Le montage parallèle relie l’adulte et l’enfant, la chute et le rebond, au ralenti défile la mort et la vie. Résonne alors en nous la musique enfantine du générique de début « …Voici venu le temps des rires et des chants.. ». Les chants sont bien amers, même si, dans le lointain du générique de fin, les sonorités familières d’une cour de récréation nous ramènent sur l’île aux enfants.

Romain Faisant, écrit le 22/03/12        

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